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Homosexualités et fictions en France de 1981 à nos jours (revue Fixxion, n°12)

Homosexualités et fictions en France de 1981 à nos jours (revue Fixxion, n°12)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Fixxion)

Homosexualités et fictions en France de 1981 à nos jours

 Le 27 juillet 1982, le gouvernement socialiste français abrogeait l’article 331, alinéa 2, du Code pénal datant de l’Occupation et permettant de punir “d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 60 à 20 000 francs toute personne qui aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu mineur du même sexe” – une disposition qui n’existait pas pour les actes hétérosexuels. Le 25 juin 1984, Michel Foucault mourait à Paris du sida.

Le début des années 80 voit ainsi s’ouvrir pour les homosexuels et les lesbiennes en France une période qui pourrait s’annoncer heureuse grâce à une volonté politique explicite, une période de reconnaissance, mais qui est presque aussitôt rattrapée par le mystère d’une nouvelle maladie mortelle frappant les seuls hommes homosexuels. Les deux évènements sont étroitement liés dans l’histoire des représentations, l’accès aux discours et l’affirmation d’une identité que l’on commence à dire “gay et lesbienne”.

2016 : Le sida reste une maladie incurable associée prioritairement à l’homosexualité masculine, et le gouvernement français, de nouveau socialiste, s’illustre par ses hésitations autour du mariage “des personnes homosexuelles” et leur droit à l’adoption ou la procréation médicalement assistée, prouvant par là même, et en rappel de la bataille du PACS de 1999, que les questions homosexuelles sont devenues des enjeux politiques majeurs et récurrents du pays, de ceux qui font gagner ou perdre des élections.

C’est cette explicite politisation de l’identité homosexuelle publique (et des discours homosexuels revendiqués comme tels, ou des discours sur l’homosexualité) telle qu’elle s’instaure durablement en France à partir de 1981 qui servira d’axe thématique et chronologique au présent volume consacré aux représentations de ce moment (ou représentations dans ce moment) encore en cours par l’expérience de la fiction. Parce que ces années ont vu en France et continuent à voir une exceptionnelle production de livres, de films, de photographies, d’expressions discursives de tout genre et toute forme qui installent durablement le sujet homosexuel comme une référence sociétale et politique. À cet égard, la France et ses dirigeants rejoignent alors une évolution intellectuelle et une orientation politique qui étaient déjà largement actives dans les pays anglo-saxons ou d’Europe du Nord de culture protestante : ce pourquoi certains discours de la culture et des représentations venus de l’étranger, et en particulier des États-Unis, toujours en avance sur les politiques, ont eu et ont encore autant d’importance et d’influence en France.

Représentations : affirmations et interrogations d’une identité politique (place de l’un/l’une dans la cité) sexuée intempestive, discutée, par les pratiques de discours de la fiction ; la communication se fait par le truchement d’une configuration langagière et culturelle. Fiction : modalisation modélisante de discours inscrite explicitement dans des références imaginaires construites et posées par le sujet racontant – la fiction implique le récit comme discours fondateur dans la durée. En somme, dans le cadre de cette chronologie historiquement privilégiée et fortement dramatisée, on se propose d’envisager l’homosexualité comme expérience de fiction (et de discours).

Dans la mesure où tout roman sur l’homosexualité reste toujours reçu comme un livre d’homosexuel, comme un “aveu” de l’auteur (et il en va exactement de même avec les films), le choix de la fiction peut sembler un détour, un artifice qui n’aurait pour fonction que de rendre lisible et acceptable une expérience qui, sans cette médiation d’une représentation par la fiction, resterait au rayon des déclarations impudiques et anecdotiques. Car le “roman homosexuel”, c’est-à-dire, le récit de vie d’un homosexuel, est irréductiblement lu (et écrit ?) comme une autobiographie plus ou moins libre – voir la déclaration lapidaire de Dominique Fernandez en 2012 : “Cette règle : un roman gay ne peut être que l’œuvre d’un gay, a perduré pendant tout le XXe siècle, et je ne pense pas qu’elle soit caduque aujourd’hui”[1]. Tel est le paradoxe du pacte fictionnel du discours homosexuel, forme de réponse au pacte autobiographique hétérosexuel auquel il veut échapper pour récuser l’obligation de la “confession” explicite. Et, précisément, au moment où, après des décennies d’incertitudes et d’hésitations stylistiques (des caricatures malveillantes des comiques populaires aux compassions empathiques des humanitaires populistes), l’histoire l’admet enfin comme sujet politique de référence, puisqu’il y a désormais un vote des homosexuels, le sujet homosexuel s’invente et se politise en (s’)inventant une histoire par la fiction et une représentation de cette histoire autant qu’une histoire comme représentation, dont il est le principe et le vecteur et dont il entend faire une épreuve de liberté et de résistance aux discours autres – on reconnaît là l’héritage de Jean Genet, mort en 1986 après avoir rompu son long silence narratif en rédigeant Un captif amoureux, texte qui réinvente un espace et un territoire de la fiction puissamment politisés par la pratique d’une écriture autobiographique comme expérience d’engagement.

 

Problématiques envisagées :

• Contextualisation empirique de la production homosexuelle : les éditions homosexuelles, les productions homosexuelles, les revues et publications homosexuelles, les rééditions de textes anciens, la distribution, la réception. Un roman publié chez Gallimard est d’abord un roman “littéraire”, un roman d’auteur, à destination de “tous”, donc des hétérosexuels ; un roman publié aux Éditions Gays et Lesbiennes est un roman publié par et pour les homosexuels : il ne sera ni acheté ni lu par les hétérosexuels et le nom de son auteur importe peu.

• France et étranger : influences, modèles et contre-modèles, culturels et politiques : les fictions françaises de ces années sont nourries de sources étrangères, notamment américaines et de cultures populaires, c’est une rupture forte avec la tradition d’avant-guerre (Gide). Ceux que l’on appelle désormais en langage politiquement correct américain “les gays”, et les lesbiennes, revendiquent une internationalisation de leurs références, de leurs modèles, tout comme les causes homosexuelles politiques ou religieuses deviennent désormais des mouvements mondiaux dont les conséquences d’un pays à l’autre sont immédiates.

• Fiction et maladie : le sida a inventé un nouveau genre littéraire, le récit de maladie, le récit d’agonie. Hervé Guibert pose les bases sur un principe simple d’autobiographie avant de privilégier les ressources et les richesses de l’autofiction pour modifier et élargir la référence. En cela, la “littérature” (re-)devient une épreuve du temps réel contre la mort dans un temps retrouvé.

• Femmes, homosexualités et théorie des genres dans les fictions : ces années voient s’affirmer une distinction et une différence très fortes entre identité gay et identité lesbienne, au point que les deux problématiques sont parfois opposées l’une à l’autre, en particulier en politique (question de l’adoption ou de la GPA). Il y a une spécificité “femme” incontestable dans les discours de représentations de la fiction qui s’inscrit également dans l’évolution du féminisme et la vulgarisation des théories des genres.

• De la théorie à la fiction : héros et icônes : le discours français homosexuel de fiction de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle s’énonce sous l’autorité exemplaire de quelques icones universitaires : Roland Barthes (mort en 1980), Michel Foucault (mort en 1984), Monique Wittig (morte en 2003). Le mouvement est lancé et devient rétroactif, emportant a posteriori Simone de Beauvoir et Violette Leduc, Guy Hocquenghem et René Schérer, etc. Au-delà des anecdotes des identifications de personnes, c’est la porosité entre discours analytique intellectuel et discours narratif et démonstratif qui est l’une des particularités de ce moment, illustrée, par exemple, par le cinéma de André Téchiné. La sociologie, la philosophie telles que la pratique Didier Eribon interrogent aussi les expériences de la fiction.

• Élargissement des genres et des formes par l’affirmation de discours d’un sujet : même si ces années voient l’émergence de quelques genres de référence précisément codés et subvertis, parfois par une franche homosexualisation du propos et du style (roman policier gay ou lesbien, livres pour enfants gays ou lesbiens), parfois par un éclatement problématisé des identités sexuelles et sexuées (par exemple dans une culture queer), les pratiques de fiction comme expérience et expérimentation ne se limitent plus au roman, à la littérature ni au cinéma. Le discours homosexuel s’impose dans la bande dessinée, dans la chanson populaire, à la télévision, dans le sport, dans des blogs sur Internet, jouant toujours des dialectiques du vrai et du faux, de la pudeur et de l’indécence, du contingent et du légendaire. Et lesbiennes et homosexuels s’inventent en inventant des histoires merveilleuses et terribles.

 

Proposition d’article (en français ou en anglais) à rendre à erbordas@club-internet.fr et O.N.Heathcote@bradford.ac.uk avant le 15 juin 2015 ; réponse pour avis le 15 septembre 2015 au plus tard.

Si avis positif, remise de texte (en français ou en anglais) à erbordas@club-internet.fr et O.N.Heathcote@bradford.ac.uk avant le 15 décembre 2015.