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Histoire et voix : personnages et personæ porteurs d'histoire(s) (XXe et XXIe s.) (Paris-Sorbonne)

Histoire et voix : personnages et personæ porteurs d'histoire(s) (XXe et XXIe s.) (Paris-Sorbonne)

Journée d’étude

Histoire et voix : personnages et personae porteurs d'histoire(s) (xxe et xxie siècles)

Samedi 21 mai 2016

Maison de la Recherche de l'Université Paris-Sorbonne –  28, rue Serpente, Paris 6e.

 

L’enjeu de cette journée d’étude sera de mener une réflexion double qui portera sur la notion d’histoire et sur celle de voix lorsqu’elles entrent en jeu dans un contexte de représentation littéraire ou artistique. Nous souhaitons nous inscrire dans le cadre de la réflexion sur l'écriture de l'histoire dans les littératures du xxe et xxie siècles, en posant plus précisément la question de la voix qui transmet, narre, chante ou dénonce le « cauchemar de l'histoire[1] », c'est-à-dire en étudiant, dans sa dimension poétique et performative, la construction des narrateurs, personnages ou personae qui sont porteurs d'histoire(s), et les nouvelles représentations de l'histoire qu'ils suscitent. Nous envisageons de nous pencher non seulement sur la fiction romanesque et sur la représentation théâtrale, mais aussi sur la poésie et sur la construction du sujet poétique qui se confronte à l’histoire, c’est pourquoi nous étendons les catégories romanesques de narrateur/personnage à celle de persona comme sujet poétique. La réflexion sera donc transgénérique, portant en littérature non seulement sur le roman mais aussi sur la poésie et le théâtre, et inclura également d’autres arts, en particulier le cinéma et la bande dessinée, où la narration est étayée par l’image. Nous nous intéresserons surtout, mais pas exclusivement, aux corpus caribéens, maghrébins et africains, où la question de la voix se pose de manière particulièrement féconde étant donné la prégnance de la transmission orale comme discours concomitant, et éventuellement concurrent, face à l’historiographie coloniale et post-coloniale.

L’histoire peut tout d’abord être comprise au sens large comme l’ensemble des événements passés, sans que l’on se limite à ceux du xxe siècle. Le terme est certes à prendre en compte dans sa dimension politique, mais peut renvoyer à des situations sociales et culturelles. Toutefois, n’est histoire que ce qui est mis en mots, organisé et transmis par l’autorité d’une voix. Si l’on pense en premier lieu à celle de l’historien, néanmoins la littérature et les arts du xxe et du xxie siècles ont porté au jour des voix multiples qui contribuent à proposer également une lecture du passé historique. Ce développement peut être lu en parallèle avec une évolution de la discipline historique au cours du xxe siècle. On trouve dans de nombreux travaux historiographiques une réflexion féconde sur l’écriture de l’histoire, et plus spécifiquement sur la question de la subjectivité de l’historien et sur l'importance des histoires individuelles, qui apportent un nouvel éclairage aux études sur les relations entre le récit historique et le récit de fiction[2] : dès lors les théoriciens de la littérature insistent sur la légitimité des œuvres littéraires à représenter et à problématiser le passé. Dans La transcription de l’histoire. Essai sur le roman européen de la fin du XXe siècle, Emmanuel Bouju montre comment le roman utilise régulièrement les ressources de la fiction pour mettre en place un jeu de voix qui contribue à « une pratique littéraire de l’histoire »[3], et qui renouvelle la représentation du passé historique en lui conférant une dimension plus intime. Nous souhaiterions étendre cette réflexion à d'autres terrains que le roman.

La voix doit être considérée selon plusieurs approches, étroitement liées à la représentation textuelle de l'oralité. Si nous ne limitons pas sa définition au concept narratologique, il nous paraît cependant essentiel d’interroger le statut et la position des narrateurs, personnages ou personae prenant en charge le récit des événements à l'intérieur du texte et du contexte socio-culturel dans lequel ils s'inscrivent, pour dégager la portée de leur voix.
L’attention peut ensuite se concentrer sur la matérialité de la voix, quand elle est représentée dans le texte : y a-t-il une mise en scène, une dramatisation spécifique de la parole retraçant un épisode historique, et dans quelle mesure la matérialité (la texture de la voix, la gestuelle de la figure qui parle) joue-t-elle dans la construction et la transmission de l'histoire ?

La question du destinataire, représenté ou non dans le texte, est également essentielle : s'il y a une transmission à l'intérieur du texte, des dialogues ou des échos entre plusieurs voix, comment s'organise cette circulation des voix dans le texte et quel est son effet sur la construction d'une ou de plusieurs versions de l'histoire ? Comment s'articule la tension entre le dit et l'écrit, et comment l’oralité recomposée permet-elle de problématiser la représentation historique ? Et dans un mouvement inverse et complémentaire, si les faits historiques nourrissent les littératures du xxe et du xxie siècles, dans quelle mesure déstabilisent-ils l'écriture et les genres littéraires, et complexifient-ils l'émergence d'une voix pour les dire ?  Lorsque ces voix se donnent pour objectif de rompre les silences, par quel tour de force esthétique imposent-elles leur présence ? Puisque toute écriture de l’histoire implique une sélection des faits et un point de vue organisateur, quel nouveau rapport établissent-elles entre ce qui doit être dit et ce qui sera tu ? Il conviendra d’examiner les dimensions éthiques et politiques du texte qui découlent de la construction et de l’articulation des voix au sein des œuvres.

       

Les propositions de communication de 300 mots maximum, rédigées en français, en anglais ou en espagnol, accompagnées d’une brève biobibliographie, sont à envoyer au plus tard le 29 février à Marion Labourey ( marionlabourey@gmail.com ) et Cécile Chapon ( cilchapon@gmail.com ).

 

 

 

 

 

[1]              « History is a nightmare from which I am trying to awake. », citation de Ulysses de James Joyce reprise par Derek Walcott en épigraphe de son essai « The Muse of History », What the Twilight Says, New York, Farrar Strauss and Giroux, 1998, p. 36-64.

[2]              Carlo Ginzburg construit notamment une réflexion sur les rapports entre histoire et fiction à travers quinze essais rassemblés dans son ouvrage Le fil et les traces. Vrai faux fictif, traduction de Martin Rueff, Paris, Verdier, 2010.

[3]               Voir tout particulièrement  Emmanuel Bouju, La transcription de l’histoire. Essai sur le roman européen de la fin du XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2006, dans le second chapitre : « La trace et la voix : reconnaissances », p. 39-62.