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Henry Bauchau. Le (contre-)pouvoir de la parole

Henry Bauchau. Le (contre-)pouvoir de la parole

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Myriam Watthee-Delmotte)

Henry Bauchau : le (contre-)pouvoir de la parole

Cette journée constitue le second volet du colloque sur «Identités et (contre-)pouvoirs littéraires »
dans le cadre du programme annuel 2005-2006 sur « le pouvoir de la parole »
de l'Action de Recherche Concertée : « Héroïsation et questionnement identitaire en Occident ».


Université catholique de Louvain (Louvain-la- Neuve), 26 avril 2006


Argument


Les mots, l'armée de mots va son petit chemin de larmes […] Je peux me défendre et même attaquer par l'écriture. (Le régiment noir, Labor, 1992, p. 34)



Pour le linguiste John Austin, prendre la parole est accomplir un acte. Quelles sont les spécificités de l'acte de parole pour Henry Bauchau, dont la vocation littéraire est née d'une obscure « espérance » (Journal d‘Antigone, Actes Sud, 1999, p. 212) liée à l'expérience psychanalytique ? Cette oeuvre, dans ses multiples variations thématiques et génériques, semble exprimer de manière récurrente le lien entre parole et pouvoir (sur le monde, sur autrui, sur soi) ou contre-pouvoir (résistance active ou passive, choc ou équilibrage). Chez ce juriste passionné d'idéologie devenu dans l'après-guerre, dans le cadre d'une cure, l'auteur d'une oeuvre puissamment poétique qui donne volontiers dans le mythique et l'onirique, il s'avère particulièrement pertinent d'observer à la fois la conscience de la puissance normative du langage et de sa force perlocutoire, et l'intuition d'une part irréductible d'interdit et d'indicible vers laquelle un certain type de parole peut, malgré tout, faire signe.

Thématiquement, l'écrivain fait une place à la parole des oracles, des hommes de loi, des pères, qui exercent une autorité souvent coercitive, autant qu'au cri de révolte et de détresse des faibles, ou encore à la parole sacrée de l'aède. Si les deux premiers romans s'ouvrent sur l'interdiction ou l'ordre donné, c'est la supplique (la figure du mendiant) qui marque positivement les autres. À la langue de bois des décideurs, cet « instrument à dire une chose pour cacher la vraie »(Le régiment noir, op. cit., p. 33), qui assure leur ascendant, l'écrivain oppose la parole énigmatique de l'analyste ou du sage, dont le travail libérateur tient à l'exercice d'une maïeutique langagière ; il évoque encore le consentement à l'autonomie prononcé par les figures maternelles et les « déliants »(Heureux les déliants, Bruxelles, Labor, 1995.), ou le pouvoir de transmission de la parole devenue chant. Des premiers poèmes (1948) au dernier roman paru, L'Enfant bleu (2004), la déchirure entre la langue, héritage social qui implique un formatage des représentations, et la parole qui tente de mettre en forme la présence d'un sujet, voire sa crise, est au coeur de l'oeuvre d'Henry Bauchau.

Formellement, quels sont les modes d'efficacité de cette parole littéraire, « son de voix » personnel devenu écriture, confiée au support du livre adressé au lecteur inconnu ou vouée à la représentation théâtrale ? Comment cette parole se module-t-elle selon les différents genres pratiqués (théâtre, poésie, récit et roman, journal, essai…) ? Brouilleur de frontières génériques autant qu'il affectionne les ambiguïtés et démultiplications de points de vue et les ambivalences identitaires, Henry Bauchau semble jouer conjointement sur plusieurs ressorts du pouvoir d'expression littéraire. Direction et lâcher prise sont deux choix possibles dans ses stratégies discursives ; le jeu sur les hypotextes côtoie l'innovation au service d'une même fin créatrice : si le langage de l'écrivain est une institution culturelle lestée de nombreux antécédents et références, sa parole est mise au jour d'un idiolecte porteur d'un système de valeurs individuel qui, souvent, s'ancre dans l'oxymore. Comment l'efficacité de cette polyphonie se construit-elle ? Par quels jeux sur le signifié, le signifiant, les connotations, les non-dits, etc., cette parole s'offre-t-elle comme un dialogue initié avec le lecteur ? Comment combine-t-elle les sédimentations sémantiques et le feuilletage du sens, la précision notionnelle des concepts, l'impact émotionnel immédiat de l'image ? Comment le logos et le mythos arrivent-ils à interférer ici dans un jeu qui est toujours celui de la construction identitaire ?

Enfin, l'écrivain s'attache aussi à montrer les limites du pouvoir de la parole, ses impasses, son besoin du silence, ou encore sa pauvreté à l'égard des formes non-verbales d'expression. La parole n'est qu'une des voies de la pensée, une des formes de la communication. Ainsi Oedipe et sa fille Antigone, parvenus à une entente profonde entre eux pour avoir éprouvé ensemble l'âpreté des chemins d'exil, constatent qu' « alors il n'y a plus de paroles entre eux, plus de limites dans les mots, plus aucune possibilité de se soustraire à cette autre langue qui les englobe, qui est là, sur un seuil incertain, malgré la formidable certitude »(Oedipe sur la route, Actes sud, 1990, p. 272).

Programme

09h00 : Introduction par Myriam Watthee-Delmotte (FNRS/UCL)
09h30-10h30 : Béatrice Bonhomme (Nice) : « Blanche Jouve et la parole analytique »
10h30-11h30 : Catherine Mayaux (Cergy) : « Dépendance de la parole et dictature du poème dans Heureux les déliants »
11h45-12h45 : Régis Lefort (Bordeaux) : « Le silence et le pouvoir d'une parole absente »
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14h30-15h30 : Anne Neuschäfer (Aachen) : « Entre Brecht et Shakespeare: Quelques réflexions sur le théâtre d'Henry Bauchau »
15h30-16h30 : Frédérique Joseph-Lowery (Atlanta) : « L'écriture désarmante d'Henry Bauchau » (sur le roman)
16h45-17h45 : Geneviève Henrot-Sostero (Padova) : « La voix de l'ombre »
17h45 : Conclusion par Claire Lejeune (CIEφUM/UMH) (sous réserve)

19h : Lecture dramatique de textes d'Henry Bauchau par l'acteur Pietro Pizzuti. Salle du Conseil du Collège Érasme. Entrée libre