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Habiter et travailler au même endroit

Habiter et travailler au même endroit

Publié le par Marc Escola (Source : Thierry Poyet)

APPEL À CONTRIBUTIONS

PROJET D’OUVRAGE COLLECTIF

 

 

Programme Habiter

 

« Habiter et travailler au même endroit »

 

 

Dans le cadre du programme « Habiter », porté par le séminaire de sociopoétique du CELIS (EA 4280), Université Clermont Auvergne, il s’agira de réfléchir sur une forme de l’habiter très spécifique : lorsque le lieu de la résidence personnelle se confond avec le lieu professionnel, comment vit-on là où on travaille ? Et : comment travaille-t-on là où on vit ?

Une interrogation transversale rapproche ces différents aspects : quand le « chez soi » devient public, du moins quand le lieu de l’intimité s’ouvre sur l’extérieur et à l’Autre (qui n’est plus seulement la famille éloignée ou le cercle des amis, mais bien des « étrangers »), alors il en va d’une manière (supplémentaire) d’« habiter l’ailleurs » : un ailleurs qui échappe au moi, au cercle du privatif et du secret de l’intimité pour s’ouvrir sur un investissement socialisé de l’espace personnel.

Habiter le lieu professionnel revient à interroger les « lieux du quotidien » dans leur diversité et leur étrangeté, soit une marginalité de l’habitat qui rend compte de la singularité de celui qui habite, la représente ou la fabrique.

Les littératures romanesques et autobiographiques mais aussi des textes plus intimes, épistolaires et mémoriels (carnets et journaux intimes), des XIXe et XXe siècles notamment, semblent nombreux à témoigner de cet entrelacs de relations entre le professionnel et l’intime à travers un habitat partagé, volontairement ou pas. Le corpus est large d’un grand nombre d’occurrences où l’intimité et la socialité d’un même individu s’interrogent, s’interpénètrent dans un lieu chargé de valeurs symboliques, cultivées ou subies, significatives d’une identité personnelle et professionnelle.

 

 

Penser la nature de la relation entre le lieu et le métier

 

La littérature a donné de nombreux exemples de personnages romanesques pour lesquels le lieu personnel d’habitation se confond avec le lieu de travail, généralement pour des raisons d’ordre strictement professionnel lorsque les conditions pratiques et fonctionnelles, les contraintes économiques ou légales imposent la confusion des lieux. Il peut s’agir d’un logement de fonction occupé sous l’effet de l’obligation professionnelle, par exemple le directeur d’école, le chirurgien chef de service à l’hôpital au XIXe siècle; d’un lieu de résidence qui juxtapose le privé et le professionnel, par exemple le cabinet du médecin abrité dans sa propre demeure, le logement qui est attenant à la boutique, l’atelier (du peintre) installé dans une des pièces du logement, le bureau de l’écrivain ; d’une simple pièce mise à disposition, la chambre de bonne dans les combles ou une quelconque dépendance de la résidence bourgeoise, à peine à l’écart mais toujours à proximité immédiate ; de pièces de réception transformées, un jour par semaine, en « salon » où l’artiste (ou l’ami(e) d’artistes) reçoit et met son lieu d’habitation au service d’une place à conquérir, le fait même de « recevoir » relevant de l’activité professionnelle à part entière ; etc.

On pourra par une approche transversale ou une étude monographique contribuer à l’élaboration d’une typologie des métiers qui participent de l’assimilation entre le lieu professionnel et le lieu de résidence, parfois heureuse, parfois plus malheureuse (et aussi comprendre comment le travail renoue éventuellement avec son sens étymologique lorsque les espaces cessent d’être cloisonnés).

Aspects envisageables :

-       Définition de ce qu’est un lieu professionnel ou un domicile quand il devient un habitat « mêlé »

-       La dimension obligatoire ou choisie de la confusion des habitats : bonheur ou contrainte ?

-       La nature du lien au lieu professionnel : intégration, aliénation…

-       La place de l’intimité 

-       Etc.

 

 

Construire son identité : la dimension sociale et l’honneur attaché à incarner une profession

 

Le mélange des fonctions résidence/profession est lourd de conséquences quant à la manière de construire sa propre identité individuelle lorsque l’univers mêlé estompe l’écart entre le professionnel et l’intime, aide à confondre les temps de l’activité et du repos, assimile la fonction professionnelle à l’identité personnelle et contribue à altérer état et fonction de l’individu. Lorsque le lieu double ainsi sa raison d’être, il interroge la conception même des situations professionnelles : où peut vivre le directeur d’école sinon dans son école ? Comment mieux être assimilé à sa fonction de médecin sinon en habitant à côté ou au-dessus de son cabinet ? L’honneur attaché à certaines professions, notamment libérales (médecins, notaires, pharmaciens…) contribue à installer définitivement l’individu dans le lieu où il travaille : en y vivant, en s’y rendant toujours disponible, il s’affirme mieux encore dans sa fonction, jusqu’à se confondre. Ce n’est plus M. Untel mais Dr Untel, Me Untel…

Aspects envisageables

-       Fonction et représentation des lieux

-       L’espace comme définition de l’individu social

-       Le métier comme identité/identification : du social à l’ethos

-       Hiérarchie des lieux et des occupations : quand la vie personnelle devient secondaire par rapport à la vie professionnelle…

-       Etc.

 

 

Approche sociale et sociologique

 

Dans la confusion des lieux, s’expriment tout à la fois une position sociale (l’aisance et la reconnaissance de celui qui occupe un logement de fonction, au contraire l’asservissement du domestique, du fermier dans sa ferme, du tisserand dans son atelier…) et une relation à l’Autre (supériorité sociale, dépendance…). Ainsi, peut s’exprimer, lorsque se confondent en un même lieu l’espace personnel et l’espace professionnel, une hiérarchisation de la société, une manière de considérer le jeu des relations sociales, qu’il en aille d’une notoriété ou d’une misère sociale. Les sentiments personnels (fierté vs honte), les conditions de vie (confort vs promiscuité), les conséquences du travail sur la vie personnelle (gestion de son emploi du temps, stress, gestion de l’espace, problèmes de pollution…) marquent mieux encore la ligne de partage entre nantis et indigents, bourgeois et ouvriers. Dans quelle mesure, pour le nanti, la reconnaissance liée à la fonction permet-elle de profiter des avantages du lieu professionnel pour bonifier la résidence personnelle (la maison de maître du médecin ou du notaire qui accueille aussi le cabinet ou l’étude… la bibliothèque de l’écrivain qui déborde du bureau et remplit bientôt toute la maison…) ? Dans quelle mesure, pour l’ouvrier, le travail à la maison de tous les manuels/manœuvres (la couturière ou la lessiveuse qui rapportent de l’ouvrage à la maison de l’ouvrage…) est-il amené à transformer l’emploi en asservissement ? Au contraire, comment le travail peut-il être vécu comme un moyen d’intégration sociale quand il oblige à la rencontre de l’Autre ?

Aspects envisageables

-       Conséquences du travail chez soi sur la vie de famille

-       Le travail dans une temporalité sans garde-fou : un asservissement de l’emploi du temps ?

-       La dimension intégrative du travail : quel lien social pour un travail à domicile ?

-       La professionnalisation de l’espace personnel

-       Etc.

 

 

Confinement et télétravail : quelle littérature à venir ?

 

Le XXIe siècle ouvre sur de nouvelles modalités de l’« habiter le lieu professionnel ». Le télétravail aide à confondre lieu professionnel et résidence personnelle, à mêler espaces et temporalités : il peut rendre le « travailleur » incapable de se défaire de son activité professionnelle, quitte à mettre en péril sa vie personnelle (aliénation de la vie privée : familiale, amoureuse…). La récente expérience de confinement, dans la plupart des pays, avec la pandémie du Covid19, a contribué à un développement accéléré du télétravail, donc à une généralisation, ponctuelle mais bien réelle, de l’assimilation du lieu professionnel au lieu de résidence privée, en faisant du lieu de vie le nouveau lieu de travail. Le salon ou la chambre à coucher, parfois des espaces plus insolites (un balcon, une salle de bains ou la cuisine) sont devenus les nouveaux bureaux, en général de manière obligée. La presse de ces dernières semaines a largement relevé les risques de cette assimilation d’un lieu à l’autre et pourtant, avec le déconfinement, de nombreux Français par exemple souhaitent qu’on les laisse poursuivre leur activité sous la forme du télétravail. Comment la littérature a-t-elle déjà pu rendre compte de cette modernité-là ? Comment témoignera-t-elle de l’expérience Covid-19 en matière d’organisation de la vie, d’occupation des lieux, de transformation du rapport à l’Autre (le collègue vs la famille) ? Que restera-t-il de cette réévaluation des espaces et des temporalités, ponctuelle ou appelée à devenir définitive ? De nombreux journaux de confinement, écrits testimoniaux ont déjà vu le jour qui proposent une première réflexion avant que le roman, peut-être, ne s’empare de la thématique…

Aspects envisageables

-       Dimension aliénante/affranchissante d’une vie sans frontière entre le privé et le professionnel

-       Dimension romanesque de l’individu/personnage à l’identité floutée

-       Représentations de la vie familiale

-       Le rapport à l’Autre au XXIe siècle

-       Etc.

 

L’appel à contributions est ouvert à des propositions relevant des littératures française et européenne, de la littérature comparée, de préférence du XVIIIe siècle à nos jours.

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Les propositions de contributions (maximum 3000 signes), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 15 août 2020 à l’adresse suivante :

Thierry.poyet@uca.fr

Les réponses seront données au 15 septembre 2020 au plus tard, les contributions devront être remises pour le 31 mars 2021.

La publication est envisagée dans les conditions habituelles aux Presses Universitaires Blaise-Pascal.