Essai
Nouvelle parution
H. Atlan, Le Monde de la fraude

H. Atlan, Le Monde de la fraude

Publié le par Marc Escola

De la fraude - Le monde de l'onaa
Henri Atlan


Paru le : 18/03/2010
Editeur : Seuil
Collection : La Librairie du XXIe siècle
ISBN : 978-2-02-096755-6
EAN : 9782020967556
Nb. de pages : 315 pages

Prix éditeur : 21,00€


Evaluer l'importance d'une fraude financière est possible.

Cependant, comment prendre la mesure d'un presque mensonge, de la mauvaise foi ? Par exemple dans l'industrie pharmaceutique ou dans les imbrications écolo-scientifico-idéologiques. Et comment arbitrer des manigances poli-tiques, apprécier les supercheries de certains professionnels de la communication ? Henri Atlan, membre du Comité Consultatif National d'Éthique à sa création, choisit de nous éclairer à l'aide du concept d'onaa qui désigne en hébreu à la fois la fraude, dans les transactions financières, et la blessure verbale infligée par des paroles.

Le monde de l'onaa est celui de l'entre-deux: on ne rêve plus ici de Platon, d'une vérité absolue, totale. À l'idéal d'une impossible pureté, on substitue la conception d'une réalité plausible, utilisant les limites de la loi pour imposer un moindre mal. Le monde de l'onaa est celui du presque vol, du quasi-mensonge. Nous sommes ici dans un univers de pratiques qui ne croit pas à la pureté d'une solidarité fusionnelle, garantie par la présence d'un dieu.

Aujourd'hui, il semble qu'aucun discours, pas même l'usage d'énoncés scientifiques, n'est à l'abri de dérapages frauduleux, volontaires ou involontaires. En temps de crise financière et morale, qui fragilise les démocraties, Henri Atlan éclaire des textes quelquefois anciens pour repenser le statut de la fraude dans notre monde contemporain.

SOMMAIRE:

LE CERCLE DE LA VALEUR

Un faux paradoxe
Le cercle de la valeur
Vrai bien et souverain bien

SUBIR ET FAIRE LE MAL

Sur le mal et sa banalité
Paroles frauduleuses ; fraudes et blessures verbales

LE LANGAGE ET LA MONNAIE

L'AUTEUR:

Biologiste et philosophe, Henri Atlan a publié dans la même collection notamment : Tout, non, peut-être.
Education et vérité (1991), Les Etincelles de hasard 1 et II (1999 et 2003), L'Utérus artificiel (2005).

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Dans Le Monde du 11/4/10, on pouvait lire un article de R.-P. Droit sur cet ouvrage:

Voyage en zone floue

Entre un juste prix et un mot juste, au premier regard, on ne saisit pas bien le rapport. On entrevoit mieux leurs liens en les abordant à partir de la fraude : celui qui trompe sur la marchandise lèse son semblable, celui qui ment également. Dans les deux cas, l'échange se trouve faussé, quelque chose de fondamental dans les relations humaines, commerciales ou verbales est truqué et biaisé.

 

35326566343963613461326136336430 Tout serait simple s'il n'y avait qu'une seule valeur pour chaque chose, une vérité incontestable pour chaque parole. Dans la réalité, au contraire, les zones floues sont immenses. C'est là que fleurissent tricheries permises, petits mensonges, arrangements. Mais où commencent exactement les trucages ? Et comment discerner entre ceux qui sont pardonnables et ceux qui ne le sont pas ?

 

Ce qui est passionnant dans De la fraude, le nouveau livre du biologiste et philosophe Henri Atlan, c'est que la réflexion se développe sur plusieurs registres constamment reliés. Le terme hébreu onaa lui fournit son point de départ. Ce mot désigne à la fois la fraude et le dommage qu'elle cause, et le Talmud de Babylone l'applique aussi bien aux relations commerciales qu'aux propos échangés. Toute tromperie blesse.

Mais il faut ajouter : plus ou moins, c'est pourquoi l'onaa est un monde de l'entre-deux, ni tout à fait criminel ni vraiment innocent. Comme le sont, par exemple, les techniques de propagande, de marketing ou de communication - mais aussi les machines, automates et artefacts que nous fabriquons en fraudant, en quelque sorte, avec les processus de la nature.

L'importance de ces analyses réside d'abord dans la capacité d'Henri Atlan à relier de vieux textes talmudiques ou kabbalistes aux questions de notre temps, multipliant les ponts entre sciences, philosophie et problèmes d'aujourd'hui. Ainsi la fraude lui permet-elle de réfléchir sur les liens entre échanges économiques, échanges linguistiques et objets techniques, trois registres abordés dans leurs relations réciproques et dans le rapport qu'ils entretiennent avec le lien humain.

Cette grande leçon d'intelligence revient sur le statut de la vérité et la définition du mal, mais n'oublie pas l'information scientifique dans les médias, la place du mensonge sur Internet, les ruses de l'écologie politique ou des lobbies pharmaceutiques. On y croise notamment Spinoza et Simondon, Nietzsche et Rabbi Eliezer, Thucydide et Wittgenstein, ou Rorty et Plutarque, réunis dans une jubilation bien tempérée.

Le résultat est un magistral exemple de mesure. Car la réflexion sur les degrés de fraude, ceux qui sont pardonnables et ceux qui ne le sont pas, écartent symétriquement deux positions extrêmes dont les effets néfastes sont multiples. Rêver d'éliminer toute fraude conduit à sacraliser les normes et engendre le risque de la pureté totalitaire.

Vouloir dissoudre l'idée même de fraude en relativisant toutes les normes fait le jeu du nihilisme. Reste à tenter de construire quelques règles dans un monde déglingué, avec ses inévitables tromperies et blessures. Reconnaître leur réalité, tenter de discerner leurs degrés, c'est se donner les premiers moyens de les réduire.


De la fraude. Le monde de l'onaa d'Henri Atlan, Seuil, 320 p., 21 €


Roger-Pol Droit Article paru dans l'édition du 11.04.10