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Gustave Flaubert et le monde arabe (Sfax, Tunisie)

Gustave Flaubert et le monde arabe (Sfax, Tunisie)

Publié le par Marc Escola (Source : Arselène Ben Farhat)

Université de Sfax (Tunisie)

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Laboratoire de Recherche Interdisciplinaire en Discours, Art, Musique et Economie

(LARIDIAME, LR18ES23)

Colloque international

Appel à communications

 

« Gustave Flaubert et le monde arabe »

Les 2, 3 et 4 décembre 2021

 

2021 sera l’année du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert. Cet événement suscitera dans les pays arabes et plus particulièrement en Tunisie de nombreuses activités scientifiques. Notre projet consiste à analyser la complexité des rapports de Flaubert avec le monde arabe. Est-il l’incarnation de l’Autre qu’il faut tenir à distance ou est-il un espace idéal de partage et de dialogue ? Pour répondre à ces questions, nous allons nous référer essentiellement à la correspondance de Flaubert au cours de son voyage en Egypte, au Liban et en Palestine (1849-1851) et à son Carnet de voyage à Carthage élaboré au cours de son séjour en Tunisie et en Algérie (1858) en privilégiant trois directions de recherche.

En premier lieu, nous étudierons les liens entre ces textes. Certes, ils appartiennent à des périodes différentes de la vie de l’auteur (par exemple son voyage en Egypte en 1849 et en Tunisie en 1858), à divers types textuels et genres littéraires (carnet de voyage, lettres, fragments descriptifs, notes de voyage, notes de travail, etc.), à des finalités différentes (documentation, études, préparation d’un roman, saisie au fil des jours et sans plan préétabli des impressions, des paysages et des découvertes prises sur le vif, etc.) Cependant, le chercheur est conduit à identifier et à analyser le jeu d’échos qui se tissent entre ces différents textes au niveau thématiques, génériques et poétiques et à voir comment est représenté au niveau imaginaire le monde arabe A titre d’exemple, l’examen des lettres et du "Carnet de voyage 10" montre que la visite de l’auteur à Constantine en 1858 est évoquée à travers les moments heureux qu’il a passés en Egypte en 1849. Des passages du Carnet de voyage de Flaubert à Carthage révèlent que l’Orient s’impose à plusieurs reprises comme un ailleurs qui implique non pas la disparition de l’univers magrébin, mais sa métamorphose en monde merveilleux à l’image du monde merveilleux égyptien. Le voyage de Flaubert en Afrique du Nord est vécu comme l’exploration d’un monde nouveau et comme un retour à des terres connues ; « c’est un point de retour vers le passé, un lieu de mémoire intime. » écrit Yvan Lelerc (« Journal d’un article sur Flaubert et Maupassant voyageurs en Tunisie », dans Tunis, Carthage, l'Orient sous le regard de l'Occident du temps des Lumières à la jeunesse de Flaubert, Presses Universitaires de Rouen, 1999, p. 118).

L’étude comparative des deux types de production nous permet ainsi de découvrir l’évolution de Flaubert au niveau intellectuel, esthétique et culturel. Après la longue et douloureuse élaboration de Madame Bovary, nous nous demandons si l’auteur a pu rompre totalement avec l’héritage romantique et avec les images exotiques du  monde oriental. L’écriture du carnet 10 peut-elle être interprétée comme une tentative de "désécriture" de certaines lettres du jeune Flaubert encore marquée par le Romantisme ? Peut-elle être lue comme une entreprise de dénonciation qui s’exerce contre la fascination du topos romanesque et contre les lieux communs et des stéréotypes qui alimentent les écrits et les récits de voyages des écrivains de son époque ?

Toutefois, la correspondance de Flaubert (1849-1851) et son carnet de voyage en Afrique du Nord (1858) ne se définissent pas uniquement comme le journal de bord de la gestation et de l’évolution du "moi" de l’écrivain, ils constituent aussi de précieux documents sur la vie quotidienne des Arabes de l’époque.

 En effet, Flaubert s’est intéressé, au cours de son voyage au Moyen-Orient, aux monuments archéologiques dont certains ont été détruits ou pillés et nous a également révélé de riches tableaux descriptifs de la nature ainsi que du désert égyptien.  Flaubert est attiré aussi par l’image des Egyptiens qu’il rencontre : « Les Arabes trottinent sur leurs ânes avec leurs femmes empaquetées d’immenses voiles noirs ou blancs. On s’adresse le bonjour, Tayëb, et on continue son chemin. » (A sa mère, 23 novembre 1849, Correspondance, tome I, "janvier 1830 - juin 1851 », édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, Gallimard, 1973, Bibliothèque de la Pléiade, p. 533).  C’est aussi le cas du carnet 10 qui manifeste la capacité de Flaubert à représenter non seulement « des Arabes couverts de grands linges grisâtres » (Carnet de voyage à Carthage, Flaubert Œuvres complètes, Tome III : 1851-1863 , Édition publiée sous la direction de Claudine Gothot-Mersch avec la collaboration de Jeanne Bem, Yvan Leclerc, Guy Sagnes et Gisèle Séginger, Gallimard, 2013, Bibliothèque de la Pléiade), mais aussi des scènes de leur vie quotidienne   : « un enfant et un homme battent le linge avec leurs pieds, coutume arabe, cela fait un rythme » (Carnet de voyage à Carthage, op. cit.).  Flaubert va également capter de multiples images des régions tunisiennes qu’il traverse.

Cependant, le plus remarquable c’est que toutes les scènes évoquées dans le carnet de voyage et dans les lettres se limitent au seul instant de la vision. Le discours descriptif l’emporte souvent sur le discours commentatif. Même accompagné d’un guide, l’auteur de Madame Bovary se borne à noter les spectacles qui s’offrent à son regard sans tenter d’accumuler trop d’explications ou de commentaires. C’est qu’il est un observateur attentif quand il assiste avec son ami Du Camp à des Cérémonies et à des fêtes. Il nous fournit du coup de riches informations sur le mode de vie des Arabes en Egypte, en Palestine et au Liban, sur leurs mœurs, leurs rites et leurs traditions au cours des mariages, des funérailles, des pratiques religieuses, etc. Peut-on, dans ce cas, affirmer que cet Orient qui émerge de la correspondance de Flaubert et du carnet 10 est, comme le note Edward Saïd, une création de l’Occident triomphant du XIXe siècle, voire même un acte d’appropriation historique et culturelle ? Said va encore plus loin en évoquant Flaubert. Selon lui, les rapports qu’établit l’auteur de Madame Bovary avec une courtisane au cours de son séjour en Egypte lui permet « non seulement de posséder physiquement Kuchuk Hanem, mais de parler pour elle et de dire à ses lecteurs en quoi elle est "typiquement orientale". Ma thèse est que la situation de force entre Flaubert et Kuchuk Hanem n'est pas un exemple isolé ; elle peut très bien servir de prototype au rapport de forces entre l'Orient et l'Occident et au discours sur l'Orient que celui-ci a permis. » (Edward Saïd, p. 18) Les images de l’Orient flaubertiennes véhiculent ainsi, selon Said, une vision ethnocentrique fondée certes une quête de soi-même mais à travers le rejet de l’Autre. Faut-il accepter une telle dichotomie ? Flaubert est-il réellement cet Occidental qui perçoit les Orientaux comme ignorants, serviles, incapables d’accéder à la culture ?

Nous tenterons, dans le cadre de ce colloque, d’explorer de telles questions. Nous nous demanderons si la vision flaubertienne du monde arabe est fondée sur l’ethnocentrisme ou sur la multiplicité, la diversité et la cohabitation culturelle.  Permet-elle la reconnaissance de l’Autre dans sa différence ethnique, culturelle et religieuse tout en évitant l’effacement de soi ? Une telle vision du monde multiculturelle explique-t-elle pourquoi Flaubert occupe une place importante dans les pays arabes aujourd’hui et pourquoi il est un objet d’intérêt des chercheurs et des traducteurs ?

  Cependant, notre colloque ne va pas s’intéresser uniquement à l’attitude de Flaubert envers le monde arabe, mais également au point de vue des Arabes envers Flaubert.  Pour mener aisément une telle recherche, nous disposons d’un précieux moyen : « Flaubert sans frontières » qui est une base de données bibliographiques évolutive dirigée par Florence Godeau et Yvan Leclerc. Elle fournit une belle bibliographie des traductions et des adaptations des textes de Flaubert.

Il serait donc intéressant d’étudier la réception de l’auteur de Madame Bovary dans le monde arabe et de tenter de définir les types de textes traduits et le profil des lecteurs ciblés : quels sont les critères de choix des œuvres de Flaubert traduites en arabe ? Pour qui sont-elles traduites ? Est-ce pour l’élite ou pour le grand public ? Nous notons que certains traducteurs arabes ont choisi de rester fidèles aux textes d’origine en restituant l’univers de Flaubert dans sa singularité et sa complexité. D’autres traducteurs sont peu fidèles. Leurs manipulations et leurs transformations des textes de l’ermite de Croisset dévoilent, chez eux, une volonté de les adapter et même de les intégrer au contexte culturel, social, religieux et historique du monde arabe.  Nous citerons les exemples suivants des œuvres traduites : 

  • Sa Correspondance : Flaubert en Egypte en 1849, traduction en arabe par Salah Sâlah, préface de Edward Said, Abou Dhabi, Emirats Arabes Unis, Dâr al-Suidî li al-nachr wa al-tawzi', collection šarq al-ġarbiîne , 2005, 215 pages.
  • Ses romans : - Madame Bovary, traduction en arabe par Mohamed Mandour, Le Caire, Egypte, Dâr al Charqiyyât li al Nachr wa al Tawzi', 1993, 308 pages.

- L'Éducation sentimentale (1869), traduction en arabe par Élie Maroun Khalil, Beyrouth, Liban, Dâr Manchourat Oueidat/Marianne en collaboration avec Gallimard, collection Rawâ'‘ al Adab wa al Fikr Manqoula ilâ al Arabiya, 1983 pages.

-  Salammbô, traduit en arabe par Tayeb Triki, préface de Mohamed Masmoudi, Tunis, Tunisie, dâr al-janoub li al-nachr, 2008),

  • Ses contes : Trois contes, traduction en arabe par Fatma al Tabbal, Beyrouth, Liban, Dâr wa Maktabat al Hilal, 2012, 349 pages.
  • Son carnet de voyage à Carthage (Carnet de voyage à Carthage, traduit en arabe par Farid Al-Zâhî, Abou Dabi, Emirats Arabes Unis, : al-hay’âẗ Abū Daby lilsiyahâ wa al thaqâfat Isdârât Dâr al Kotob al wataniya, 2013, 101 pages.
  • Ses écrits de jeunesse : traduit en arabe par Marie Tawq, Abou Dhabi, Emirats Arabes Unis, Kalimâ li al-târjamâ, collection « Les Classiques de la littérature française», 2013.

Une telle analyse des différents types de traductions permet de voir comment est perçu Flaubert  dans les pays arabes et comment ses œuvres prennent vie et se prolongent en dehors du contexte français.

En somme, l’étude des rapports entre Gustave Flaubert et le monde arabe s’inscrit dans une dynamique d’échange et de dialogue ainsi que dans un mouvement de lectures croisées entre l’Orient et l’Occident. Le rôle des traducteurs est d’éliminer l’obstacle linguistique et d’assurer un dialogue interculturel permanent entre les nations.

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Quelques repères bibliographiques :

  • Tunis, Carthage, l'Orient sous le regard de l'Occident du temps des Lumières à la jeunesse de Flaubert, ouvrage collectif par Éric Wauters, Presses Universitaires de Rouen, 1999.
  • Flaubert à Tunis : 150ème anniversaire de Salammbô ,24 avril 2008 : Ali Abassi, Colette Becker, Arselène Ben Farhat, Pierre Brunel, David Ellison, Ralph Heyndels, Fadhila Laouani, Issam Marzouki, Jacques Noiray Publications de l’ENS de Tunis et des Editions Sahar, 2009.
  • Le voyage en Orient de Gustave Flaubert : révolution ou évolution dans l’approche de l’Orient, dans Cahiers ERTA, N° 15, 2018.
  • Badreddine  Ben Henda, , Voyage au bout de la nuit flaubertienne. Emotions, tensions et intentions, Editions Latrach, Tunis, 2018. 
  • Manon Brunet, « Les lettres orientales de Flaubert (1849-1850) ou La fabrique d’un imaginaire romanesque », dans Tangence, n° 65, 2001, p. 72-81.
  • Arselène Ben Farhat, « La réception des œuvres de Gustave Flaubert dans les pays arabes : traduire et adapter sans trahir ? », dans Flaubert sans frontières : Les traductions des œuvres de Flaubert, sous la direction de Florence Godeau et d’Yvan Leclerc, Revue Flaubert, n° 17, 2018.
  • Arselène Ben Farhat, « Journal de bord de Flaubert : le carnet de voyage à Carthage », dans Flaubert à Tunis, Publications de l’ENS de Tunis et des Editions Sahar, 2009, pp. 77-90.
  • Colette Juilliard, Imaginaire et Orient, l'écriture du désir, Paris, Éditions l’Harmattan, 1996.
  • Hugues Laroche, « Être au parfum : la pyramide de Flaubert » In: Romantisme, 2000, n°107. pp. 23-36.
  • Stéphanie Dord-Crouslé, « Axiologie des inscriptions chez Flaubert, voyageur en Orient », Revue d'histoire littéraire de la France, 2009/3 (volume 109), p. 573-586.
  • Yvan Leclerc, « Journal d’un article sur Flaubert et Maupassant voyageurs en Tunisie », dans Tunis, Carthage, l'Orient sous le regard de l'Occident du temps des Lumières à la jeunesse de Flaubert, Presses Universitaires de Rouen, 1999, p. 117-132.
  • Yvan Leclerc, « Flaubert contemporain : bilan et perspectives », Romantisme, N° 135, 2007, p. 75 à 86.
  • Ildikó Lőrinszky, L’Orient de Flaubert : des écrits de jeunesse à "Salammbô" : la construction d'un imaginaire mythique, Paris, Torin, Budapest, l’Harmattan, 2002.
  • Monia Mouakhar Kallel, Flaubert et Sand : Le Roman d'une correspondance, Editions Jugurtha International, 2012.
  • Rachid Naim, « L’Arabe aux yeux de l’Orientalisme littéraire », Estudios Románicos, Volume 21, 2012, pp. 129- 142.
  • Antoine Philippe, Les récits de voyage de Chateaubriand. Contribution à l'étude d'un genre, Paris, Champion, 1997.
  • Thierry Poyet, La Gens Flaubert. La fabrique de l’écrivain entre postures, amitiés et théories littéraires, Paris, Lettres modernes Minard/Classiques Garnier, coll. Bibliothèque des lettres modernes, série critique, 2017, 618 pages.
  • Thierry Poyet, Flaubert, éditions Ellipses, 2020, 512 p.
  • Edward Said, L'orientalisme, Paris, Seuil, 1997.
  •  Gisele Seginger, Salammbô dans les arts, série Gustave Flaubert, n° 8, Lettres Modernes, Garnier, 2016.
  • Gisele Seginger, "La Tunisie dans l'imaginaire politique de Flaubert." Nineteenth-Century French Studies, vol. 32, no. 1-2, 2003.
  •  David Vinson, « L’Orient rêvé et l’Orient réel », Revue d'histoire littéraire de la France, 2004/1 Vol. 104 | p. 71 à 91.

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Les propositions de communication, d’environ une demi page, (titre et résumé) accompagnées d'une courte notice biographique sont à envoyer uniquement par voie électronique avant le 15 juin 2021 aux deux adresses suivantes

flaubertarabe21@gmail.com

benarselene@gmail.com

Les frais de participation pour les étrangers seront de 80 euros, ou leur équivalent en dinars tunisiens. Les participants tunisiens seront redevables de 120 dinars. 

- L’hébergement : La réservation à l’hôtel pour les chercheurs tunisiens et étrangers sera assurée par le comité d’organisation. Mais le payement sera effectué à l’hôtel par les participants tunisiens et étrangers eux-mêmes.

Comité scientifique :

Badreddine Ben Henda, Mohamed Chagraoui, Yves Chevrel, Arbi Dhifaoui, Sonia Fitouri-Zlitni, Kamel Gaha, Pierre Garrigues, Florence Godeau, Monia Mouakhar kallel, Foued Laroussi, Thierry Poyet, Kamel Skander, Yvan Leclerc, Mustapha Trabelsi et Naima Tlili.

Comité d’organisation :

Samia Kathoumi, Arselène Ben Farhat, Taieb Haj Sassi, Inès Hamed, Sonia Meziou, Zouhour Barkallah Rebai et Mohamed Amin Kacem.

Calendrier

15 juin 2021 : réception des propositions de communication
15 juillet 2021 : notification aux auteurs
2, 3 et 4 décembre 2021 : Colloque international

Décembre 2022 : publication

 

Responsables : Arselène Ben Farhat et Mustapha Trabelsi

Laboratoire de Recherche Interdisciplinaire en Discours, Art, Musique et Economie (LARIDIAME)

Adresse :   Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Sfax (Tunisie)