Questions de société

"Grammaire à l'agrégation : les torts et les raisons", par le Groupe de Réflexion sur les Concours

Publié le par Marc Escola (Source : GRC)

Grammaire à l'agrégation externe de lettres modernes : quelques mots de la fin.


Le différend qui avait opposé en 2005 M. Le Guillou, président du jury de l'agrégation, et la commission de français moderne du jury a récemment trouvé une issue juridique. L'Association "Groupe de réflexion sur les concours" livre ici quelques réflexions concernant l'interprétation de ce dénouement.

Grammaire à l'agrégation : les torts et les raisons


« Un président de jury de concours qui, sans consultation préalable, entame une réforme de l'évaluation de certaines épreuves avant d'avoir été officiellement nommé. Un membre du jury (président de commission) qui démissionne plutôt que de cautionner cette réforme. Une pétition signée par plus de cinq cents universitaires, enseignants et chercheurs, qui demande le retrait de cette réforme. Douze membres du jury, convoqués à la réunion de choix des sujets, qui ne sont pas nommés ou renommés dans l'arrêté de nomination des membres du jury. Deux membres du jury qui démissionnent par solidarité à l'égard de leurs collègues évincés. Une deuxième pétition qui rassemble cette fois plus de six cent soixante signatures...
Tels sont les événements qui ont marqué l'entrée en fonction de M. l'inspecteur général Philippe Le Guillou à la présidence du jury de l'agrégation externe de lettres modernes. »


Ces lignes sont extraites d'un article publié dans Le Monde de l'Éducation (n° 357, avril 2007, pp. 20-21), sous le titre, donné par la rédaction du magazine, « Grogne à l'encontre des jurys de concours », et signé par le bureau de l'association Groupe de réflexion sur les concours. L'article expliquait notamment que « les universitaires évincés du jury [avaient] déposé auprès du Tribunal administratif de Paris un recours en excès de pouvoir demandant la communication de l'acte de nomination non publié ayant autorisé M. Philippe Le Guillou à entamer la réforme en question au mois de juillet 2005 », soit près de deux mois avant l'acte de nomination paru dans le Bulletin officiel du 8 septembre 2005.


Petite mise au point sur les possibilités de recours


Ce que l'article du Monde de l'Éducation n'expliquait pas, c'était que les universitaires évincés du jury s'étaient vu proposer trois possibilités de recours :

1) demandes de dommages et intérêts ;
2) demande de suspension de l'arrêté de nomination des membres du jury 2006 (daté du 23 décembre 2005), qui entérinait leur éviction ;
3) demande de communication d'un acte de nomination non publié ayant autorisé M. Philippe Le Guillou à entamer la réforme en question au mois de juillet 2005.

Pour des raisons de délais, l'acte de nomination des présidents de concours paru le 8 septembre 2005 ne pouvait pas être attaqué. Les universitaires évincés ont exclu non seulement les demandes de dommage et intérêts, leur but n'étant pas le profit personnel, mais encore la demande de suspension de l'arrêté de nomination des membres du jury 2006, parce qu'ils ne souhaitaient pas compromettre le bon déroulement de la session 2006, ni risquer d'entraîner l'annulation de cette dernière.

La troisième possibilité présentait l'alternative suivante : soit l'acte de nomination existait, et il pouvait être attaqué sans mettre en cause la nomination de l'ensemble des membres du jury ; soit il n'existait pas, et le Ministère de l'Éducation nationale était obligé de le reconnaître, reconnaissant du même coup que M. Philippe Le Guillou n'était pas autorisé à entamer la réforme en question au mois de juillet 2005 et que sa reconduction à la présidence du jury de l'agrégation externe de lettres modernes constituait, selon les termes du droit, une « erreur d'appréciation manifeste ».

L'association « Groupe de réflexion sur les concours », fondée le 23 septembre 2006, s'est associée à la démarche juridique choisie par un mémoire en intervention. La requête a été examinée en audience publique le 9 novembre 2007.


A-t-il tort ? A-t-il raison ?


Le 7 décembre 2007, le Tribunal administratif de Paris a rendu son jugement et, contre toute attente, condamné les requérants à verser deux mille euros pour « requête abusive ». Prenant appui sur cette condamnation, M. Philippe Le Guillou se croit autorisé à écrire dans ses voeux aux membres du jury actuel que le Tribunal administratif « [lui] a donné raison ». En réalité, il convient de dire très clairement que si les requérants ont été condamnés à verser cette somme, ce n'est pas sur le fond de l'affaire, mais uniquement sur la forme. Le Ministère ayant reconnu pour la première fois à la fin de l'année 2006, dans son mémoire en défense, qu'il n'existait aucun acte de nomination non publié, antérieur à l'arrêté du 8 septembre 2005, les requérants auraient dû demander un désistement d'instance. Sur le fond au contraire, la notification de jugement formule une appréciation négative, si ce n'est une condamnation : « […] pour regrettable qu'elle soit, la circonstance que ce document n'existe pas […] fait obstacle a sa communication » (Tribunal administratif de Paris, 7ème section – 2ème chambre,  jugement du 7 décembre 2007, dossier 0609794, p. 3). En langage juridique, la mention « pour regrettable qu'elle soit » signifie que la pratique ministérielle était contestable et  ne « donne » en aucun cas « raison » à M. Philippe Le Guillou. En outre, il n'était pas partie dans cette affaire : la requête déposée concernait le Ministère, non le président du jury.

M. Philippe Le Guillou peut toutefois à bon droit se sentir quitte, puisque l'association, pour les mêmes motifs qui ont amené les universitaires évincés à écarter les deux premières possibilités de recours, renonce à demander l'annulation de la session 2006 du concours de l'agrégation — ce que la notification du jugement rend désormais possible.

L'association GRC se félicite cependant d'avoir obtenu, grâce à cette requête, un premier succès : la modification effective du calendrier des opérations du concours, la nomination des présidents de jury ayant lieu désormais au moment de leur prise de fonction, en juillet, et non en septembre.

Enfin, sur le fond, savoir la tentative de modifier la place de l'étude de la langue dans les épreuves orales de l'agrégation, qui est à l'origine de toute l'affaire, il faut rappeler que M. Philippe Le Guillou a été désavoué puisque son projet de réforme n'a pas été retenu et qu'il a dû rétablir la double évaluation, par des spécialistes, de l'épreuve orale de grammaire. La décision du Tribunal administratif de Paris ne donne pas un sens nouveau à cette trop longue histoire. Elle n'en constitue pas le dénouement qui légitimerait une relecture a posteriori de la totalité de ses épisodes.


« Cette affaire maintenant classée sans suite »


Parallèlement, courant 2006, une plainte en diffamation a été déposée à la gendarmerie de Paris contre les auteurs de la pétition de soutien qui avait recueilli plus de six cent soixante signatures (voir la citation du Monde de l'éducation). Inédite dans le milieu universitaire, cette action émanait de certains membres de la commission de grammaire nommés le 23 décembre 2005, en remplacement de leurs collègues évincés. Selon les informations révélées par l'un des plaignants, cette affaire, qui avait ému la communauté universitaire, est « maintenant classée sans suite ».


Où est passé le rapport sur la grammaire ?


Les inquiétudes des universitaires concernant la place de la grammaire au concours de l'agrégation externe de lettres modernes étaient fondées et elles le restent. Le rapport du jury sur la session 2007 ne comporte plus de section consacrée à l'épreuve orale de grammaire (hormis dans la table des matières). Il est vrai que l'introduction du rapport 2006, signée du président Le Guillou, préconisait déjà de ne pas accorder aux épreuves techniques « une place excessive, une préparation intelligente pre[nant] en compte les différents coefficients, et le travail se déplo[yant] alors tout naturellement à partir de ces divers indices ». L'introduction du rapport 2007, pour sa part, ne fait plus aucune allusion à l'existence d'épreuves, écrite ou orale, de grammaire au concours de l'agrégation externe de lettres modernes.


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L'association GRC prépare actuellement des journées de réflexion sur l'avenir des concours de recrutement de l'Éducation nationale. Toutes les informations seront communiquées sur le site de Fabula.


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GROUPE DE RÉFLEXION SUR LES CONCOURS