Questions de société

"Gide et Pasolini, comme si de rien n’était", par F. Proust

Publié le par Jean-Louis Jeannelle

 

Gide et Pasolini, comme si de rien n’était

Par François Proust, consultant en matière culturelle, ancien professeur de philosophie, auteur de Maximes à l’usage des dirigés et de leurs dirigeants, Payot/Rivages.

 

   Un bulletin de l’Éducation nationale à lire sur Internet prescrit chaque année par moitié les œuvres au programme du baccalauréat littéraire. Restent Œdipe-Roi de Sophocle et le film éponyme de Pier Paolo Pasolini, arrivent Les Faux-monnayeurs d’André Gide et le Journal des faux-monnayeurs. Gide et Pasolini, comme si de rien n’était !

   L’année passée, des adolescents ont été choqués par l’attirance de Pasolini pour les « mauvais garçons » et horrifiés par sa mort. Dans un lycée de la banlieue parisienne, on a entendu : « Les homosexuels, il faudrait tous les brûler ! (sic)». Les principaux personnages des Faux-monnayeurs sont homosexuels. Étrange que le dit bulletin ajoute une longue propédeutique pour guider le professeur, mais rien sur Pasolini qui revendique son film comme autobiographique, ni sur la personne de Gide, lui-même. Gide et Pasolini mis en scène et censurés en même temps. Le professeur, que va-t-il dire ? : « On n’a pas été formés à ça !».

    La connaissance qu’ont les adolescents de l’homosexualité, qui leur vient de notre monde social, est confuse, fausse, non apaisée. Ils ont entendu leur père traiter d’en… ou de sale pé… un automobiliste plus prompt à occuper une place de parking. Ils croient que l’homosexualité est un comportement masculin ; qu’il s’agit d’une pratique contre nature s’apparentant à une maladie, qu’elle consiste à séduire les jeunes ; que les homosexuels sont tous efféminés ; que l’homosexualité féminine est plus « naturelle » que la masculine (fantasme ou méconnaissance ?). Les élèves confondent homosexualité, pédérastie, perversion, pédophilie. Ils peuvent dénier leur existence, une collègue explique Verlaine, un élève s’exclame contradictoire : « Il n’y a pas de gays chez nous (sic), ça n’existe pas, c’est interdit.» Ils ignorent que le taux de suicide des jeunes homosexuels est plus élevé que celui des jeunes hétérosexuels. Les garçons ont probablement peur de l’homosexualité qui les déviriliserait. Celles ou ceux qui ont eu des relations homosexuelles occasionnelles se demandent avec inquiétude s’ils le sont pour toujours (Qu’ils se rassurent, non !). Les hellénistes sont plus cool, qui connaissent le mythe des androgynes que raconte Platon dans ce chef-d’œuvre universel qu’est Le Banquet.

   Le professeur, que va-t-il dire aux élèves ? Il s’agirait, à notre avis, de fournir des éléments de vocabulaire, de droit et de culture générale, de répondre aux questions et de ratisser sottises, méchancetés, ricanements. De n’être ni provocateur, ni intrusif, la classe n’est le lieu ni des coming out, ni des décompensations psychiques. De faire court, objectif, clair, mais prudent. Voici cinq pistes dédramatisantes, croyons-nous, à l’usage du professeur pour l’instruction de 58 000 candidats.

1- Qu’un ou une homosexuelle est une personne attirée par le même sexe que le sien ; homo, qui vient du grec, ne renvoie pas à homme mais à semblable comme dans homonyme. Qu’un ou qu’une hétérosexuelle est une personne attirée par l’autre sexe que le sien ; hétéro comme dans hétéroclite. Par apocope on dira un ou une homo, un ou une hétéro.

2 - Qu’il n’y a que deux sexes, mais au moins quatre orientations sexuelles non hétérosexuelles désignées par l’acronyme LGTB : lesbiennes, gays, transgenres, bisexuel(le)s. Lesbienne vient de l’île grecque Lesbos qu’habitait la poétesse de l’Antiquité, Sappho. Les références au monde grec, considéré comme l’un des plus civilisés, montrent à quel point l’allosexualité, ou diversité sexuelle, est non seulement un fait ancien dans l’espace et le temps, mais aussi chose culturelle.

3 - Qu’on peut se sentir viril et attiré par les hommes ; se sentir féminine et attirée par les femmes. Attiré(e) par un homme le samedi et le dimanche par une femme. Vivre un désaccord entre son sexe et ses attirances, vouloir changer de sexe, porter les vêtements du sexe opposé. Si l’identité sexuelle relève de la sphère publique, l’orientation sexuelle relève de la sphère privée.

4 - Que l’homosexualité a été dépénalisée en France le 4 août 1982, (Les terminales littéraires 2017 n’étaient pas encore nés) que la majorité sexuelle pour les homosexuels a été remontée au niveau de celle des hétérosexuels, à savoir 15 ans ; qu’en 1992, l’Organisation Mondiale de la Santé l’a déclassifiée des maladies mentales. Remarquable progrès moral à l’échelle sociale. Mais de nombreux pays pénalisent encore lourdement les homosexuels.

5 - Qu’innée ou acquise, la cause de l’homosexualité est inconnue. Qu’elle est présente dans toutes les classes sociales, tous les métiers, toutes les populations, tous les pays. Que ne représentant que 5 à 10% de la population, les LGTB ne constituent pas une menace anthropologique, qu’ils ne souhaitent grosso modo que ceci : ne pas être battus, ni moqués, ni mis à l’écart, c’est-à-dire discriminés. Qu’enfin, revers et victoire ironiques de l’histoire, posent problème non plus l’homosexualité, mais les homophobes et l’homophobie.

  Quant au scandaleux, avouons qu’à côté de l’ancêtre du roman policier, Sophocle, de son parricide, de son inceste et de son automutilation, Gide et Pasolini font petites figures et que l’élève pourra finalement tout reprocher à l’Éducation nationale sauf qu’elle lui aura raconté des histoires.