Essai
Nouvelle parution
Georges Forestier, Jean Racine

Georges Forestier, Jean Racine

Publié le par Eloïse Lièvre

Georges Forestier

Jean Racine

 

Coll. nrf/Biographies

Paris, Gallimard, 2006

942 pages, 35 euros

 

 

En librairie le 21 avril 2006

 

 

 

 

Est-il une vie plus difficile à interpréter que celle de Racine ? Orphelin issu d'une famille de petits notables implantée dans un bourg endormi de Picardie, La Ferté-Milon, il a fini, pourvu de la noblesse héréditaire, comme l'un des plus proches courtisans du Roi-Soleil. Admirateur passionné de celui-ci, dont il fut chargé d'écrire l'histoire, il n'en rédigea pas moins, secrètement, un Abrégé de l'histoire de Port-Royal, monastère si haï du monarque qu'il le fit raser dix ans après avoir accepté que Racine s'y fît inhumer. Éduqué par les jansénistes de Port-Royal qui avaient le théâtre en horreur, il s'est empressé de courir après la gloire procurée par la poésie dramatique. Puis, l'ayant obtenue, et avec elle la richesse, il chercha à faire oublier qu'il avait été un poète de profession, allant jusqu'à condamner la pratique même du théâtre comme les plus austères dévots de son temps, sans renier pour autant ses tragédies qui lui avaient conféré de son vivant l'immortalité.

Pour interpréter cet étonnant parcours, fait apparemment de ruptures, de paradoxes et quelquefois de trahisons, on a invoqué jadis la cruauté et la violence de ses tragédies qui, sous des dehors policés, révéleraient une personnalité tourmentée et même sauvage. On a ensuite vu dans leur auteur un ambitieux sans scrupule, rendu tel par un manque originel, celui d'avoir été très tôt un orphelin pauvre, redevable de son exceptionnelle éducation à la charité des « Messieurs » de Port-Royal qui pouvaient à tout moment le renvoyer à son néant ; habité par l'avidité de réussir, il aurait réalisé une « carrière » exemplaire dans laquelle le théâtre n'aurait été qu'une étape et un moyen de parvenir.

Loin de s'essayer à une nouvelle interprétation de ce parcours, la présente biographie se contente de l'éclairer en réexaminant l'ensemble des documents originaux concernant Racine et en tentant de faire la part entre ce que nous apprennent les documents et ce qu'ont transformé ou inventé les légendes qui se sont constituées dès le lendemain de sa mort. Il n'est pas anodin de découvrir par exemple que le prétendu orphelin démuni de la tradition, privé en outre de son grand-père et tuteur à l'âge de dix ans, est en fait officiellement devenu à la mort de celui-ci le pupille de son autre grand-père, un certain Pierre Sconin qui se trouvait être l'homme le plus riche et le plus puissant de La Ferté-Milon… et dont il hérita même quelque bien à sa mort.

En même temps, cette biographie lie étroitement le parcours de l'homme à son activité d'écrivain. Non pour chercher ce qui dans l'homme éclaire l'écrivain ou ce qui dans ses écrits éclaire l'homme, mais pour montrer l'écrivain à l'oeuvre, à partir de ce que l'on peut reconstituer de la genèse de ses pièces. Tout cela, organisé selon la chronologie la plus stricte — malgré la disparition de pans entiers de sa correspondance et la rareté des témoignages à certaines époques de sa vie — et non selon une disposition chronologico-thématique, permettra au lecteur de découvrir des continuités là où l'on ne voit souvent que ruptures, des fidélités là où l'on ne voit qu'opportunisme, des cohérences sous les paradoxes apparents.