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Gautier et la langue

Gautier et la langue

Publié le par Marc Escola (Source : Anne Geisler)

 

                                           Colloque international

                                       jeudi 9 et vendredi 10 juin 2016

                                              Gautier et la langue

 

« Au plus haut sentiment littéraire, il réunit des qualités de style, un talent de description qui l’ont fait reconnaître universellement pour un de nos plus savants maîtres en l’art d’écrire », avertit l’éditeur Hetzel, en tête de l’Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq en 1858. Constamment présenté comme un auteur qui apportait un soin tout particulier à la langue, Gautier a lui-même contribué à fixer le trait, en revendiquant l’importance qu’il accordait à la forme, tant dans son œuvre propre que dans celles des artistes et écrivains qu’il eut à juger. Cette attention, qui a sans doute dicté en partie la célèbre dédicace au « poète impeccable », au « parfait magicien ès lettres françaises » de Baudelaire, a profondément déterminé la réception de l’œuvre de Gautier, trop souvent limitée à « l’art pour l’art ».

Les détracteurs de Gautier ont retourné l’argument : son goût poussé pour la langue serait la preuve de « tendances matérialistes » qui l’inciteraient à rechercher les mots « le mieux faits pour peindre les objets extérieurs », à étudier le dictionnaire et à emmagasiner « dans sa mémoire une foule d’expressions inusitées, de tours archaïques », à recourir aux dictionnaires de manière excessive et lassante. Cette passion  dissimulerait son absence de cœur, sa carence d’idées, voire son immoralité : « Consacrer un talent réel, incontestable, un génie descriptif merveilleux, une prose colorée, saisissante, riche en images, pleine d’élégance et de verve à broder sur un canevas semblable, c’est un crime, à moins pourtant que ce ne soit une maladie », note Eugène de Mirecourt à propos de Mademoiselle de Maupin dans un essai sur Théophile Gautier en 1867.

Quel que soit l’angle adopté, on remarque que la reconnaissance de ce talent propre à Gautier est unanime. Reprise par la fin-de-siècle – on peut penser par exemple à ce que Huysmans écrit dans À rebours –, elle aboutit vers le milieu du XXe siècle à la thèse de Georges Matoré, Le Vocabulaire et la Société sous Louis-Philippe (1951), qui met entre autres l’accent sur les néologismes de l’écrivain. Gautier lui-même a participé à cette légende, en insistant sur son aisance à écrire sans ratures, par opposition à Balzac. Mais, dans le même temps, il s’est souvent agacé de n’être considéré que comme un descripteur, ce qui entretint son sentiment d’être incompris.

Ce colloque international examinera la question du rapport de Gautier à la langue, au sens large, dans les divers genres qu’il a pratiqués : critique, récits de voyage, poésie mais aussi romans, contes, nouvelles, théâtre. En tant que tel, le sujet n’a jamais été traité, en raison sans doute des difficultés qu’il y avait à se détacher de l’image figée du ciseleur et du maître de l’art pour l’art. Maintenant que les approches critiques se sont multipliées, il est temps d’explorer ce domaine et de rouvrir les perspectives autour de la question : au prix de quel gauchissement de son rapport à la langue et au style l’image de Gautier en est-elle venue à se confondre avec « l’art pour l’art » ? Pour répondre à cette question, le colloque réunira des spécialistes de Gautier et des questions  de langue.

Car Gautier a opposé aux détracteurs qui le condamnaient à n’être qu’un écrivain de l’art pour l’art, une définition plus large de la langue, dans laquelle il refusait fondamentalement de séparer fond et forme. C’est ainsi qu’il écrit dans le prospectus de L’Artiste en 1856 : « […] nous n’avons jamais pu comprendre la séparation de l’idée et de la forme, pas plus que nous ne comprendrions le corps sans l’âme, ou l’âme sans le corps, du moins dans notre sphère de manifestation, une belle forme est une belle idée, car que serait-ce qu’une forme qui n’exprimerait rien? » Il a beaucoup écrit sur le style, refusant d’un côté le diktat des grammairiens et des membres de l’Institut, fustigeant de l’autre les négligences de style, les à-peu-près ou les fautes de français. Sa critique témoigne de son ouverture à propos de la variété des styles : il loue l’écriture de Balzac – à rebours de ses contemporains –, en soulignant à quel point son style est la forme la plus appropriée à son œuvre, ou félicite tels vaudevillistes d’avoir « non pas du style, mais un style ».

Outre sa passion pour la langue française, le colloque explorera celle que Gautier éprouvait pour les langues, y compris celles qu’il ne parlait pas, comparant leurs possibilités respectives, s’intéressant aux exercices de transposition d’une langue dans l’autre ou d’un langage dans l’autre. L’examen de sa pratique d’écrivain et de critique sera également l’occasion d’interroger sa célèbre « richesse langagière ». Qu’il s’agisse de ciseler les poèmes d’Émaux et Camées, de recourir à l’ekphrasis pour donner à voir une œuvre d’art, de se placer en situation de dépaysement absolu, de raconter les expériences limites ou de dire l’indicible, Gautier n’a cessé d’ériger la justesse comme l’une des qualités maîtresses de la langue.

 

Parmi les pistes envisagées :

  • Les sources de la langue : dictionnaires, néologismes, onomastique, modèles, emprunts
  • Les spécificités du langage selon les genres et les domaines
  • Le rapport aux langues étrangères (langues mortes comprises) et à la traduction
  • Les techniques de la description, l’ekphrasis et la transposition, le défi de l’indicible
  • Les représentations de la langue et le jugement sur la langue des autres
  • La traduction de l’œuvre de Gautier.

 

Organisatrices : Françoise Court-Perez (université de Rouen) ; Anne Geisler-Szmulewicz (université d’Evry) ; Marie-Hélène Girard (Yale University et université de Picardie).

Comité scientifique : Françoise Court-Perez, Anne Geisler-Szmulewicz, Marie-Hélène Girard, Alain Guyot, Martine Lavaud, Sylvain Ledda, Sarga Moussa, Paolo Tortonese.

Les propositions (descriptif de 2000 signes) sont à adresser à : Anne Geisler : geisler.anne@wanadoo.fr, pour le 30 janvier 2016 au plus tard.

Colloque organisé par la Société Théophile Gautier avec le concours des universités Paris 3/CRP 19, Paris 7/ Centre de ressources Jacques Seebacher Paris-Diderot, Paris IV Sorbonne/EA 4503 et Rouen/CEREDI.

Les deux journées du colloque se tiendront à Paris (universités Sorbonne Nouvelle Paris 3 et  Denis Diderot Paris 7).