Revue
Nouvelle parution
G. Séginger (dir.), Flaubert et la peinture

G. Séginger (dir.), Flaubert et la peinture

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Laboratoire Lisaa)

Flaubert et la peinture

Sous la direction de Gisèle Séginge

Caen : Revue des lettres modernes, collection "Série Gustave Flaubert", 2010.

Présentation de l'éditeur : 

À une époque où les références picturales abondent dans les textes littéraires, où les écrivains se font critiques d'art, écrivent des romans sur les arts et les artistes, où certains ont pratiqué eux-mêmes le dessin ou la peinture (Gautier, Fromentin, Zola), Flaubert se démarque par des réflexions esthétiques sur la spécificité de la littérature. Pour écrire il éprouve toujours la nécessité de se donner à voir l'objectif – même lorsqu'il n'existe plus comme dans le cas de l'antique Carthage – et il affirme que le but de l'écriture est avant tout de représenter, de faire voir, non d'énoncer des opinions. Pourtant, alors que le visuel est important dans ses oeuvres et qu'après sa mort – l'interdit de l'illustration étant tombé – elles ont abondamment inspiré les artistes, Flaubert n'accorde presque pas de place à la peinture dans ses romans et se montre hostile aux rapprochements entre les arts. Les références à la peinture dans la Correspondance ne sont pas non plus abondantes même si, avant 1851, les Voyages en Italie (1845), en Bretagne (1847) et en Orient (1849-1851) ont conduit Flaubert dans de nombreux musées. Mais au-delà de 1851, les références à la peinture sont très dispersées dans la Correspondance et les peintres contemporains sont peu souvent cités. Dans l'oeuvre, un seul artiste apparaît dans L'Éducation sentimentale : un peintre raté. On ne s'étonne donc pas si l'opinion de Raymonde Debray-Genette a longtemps prévalu. Dans un siècle d'échanges entre peinture et littérature, de partage des idées esthétiques, où la peinture a parfois eu un rôle important dans l'émergence d'une école (on parle d'abord de réalisme en peinture), et a stimulé les écrivains (Zola invente le naturalisme dans les années 1864-1866 en réfléchissant sur la peinture qu'on appellera par la suite impressionniste), Flaubert serait-il une exception ? C'était le point de vue de Raymonde Debray-Genette qui estime que Flaubert a résisté au rapprochement entre peinture et littérature « en théorie et en pratique ». Contrairement aux écrivains de son temps qui voulaient brosser des tableaux, avec obstination Flaubert, au contraire, aurait « cherché des procédés d'écriture autonomes, qui neutralisent réalisme et plasticité » (Métamorphoses du récit). Il faut replacer cette réflexion dans le contexte des années 1970-1980 et du développement des travaux de l'Institut des Textes et Manuscrits Modernes. Raymonde Debray-Genette s'efforce alors d'éliminer définitivement le soupçon de réalisme qui a pesé sur Flaubert dès son vivant, puis dans les histoires littéraires, et elle veut repousser l'approche d'une oeuvre qui privilégierait l'étude du référent. Or, le rapport à la peinture, au faire voir, avait souvent été lié au XIXe siècle à la revendication d'une exactitude dans la représentation du réel. C'est dans le contexte d'une promotion de l'Écriture, de son autonomie, à une époque où les études flaubertiennes ont beaucoup contribué à l'essor de la génétique, que la double référence au réalisme et à la peinture est rejetée par Raymonde Debray-Genette qui s'attache plutôt à l'étude d'une poétique de l'écriture et du travail documentaire, c'est-à-dire davantage au lisible qu'au visible.

Mais les travaux plus récents sur la spatialité, la théâtralité, le visuel dans l'oeuvre de Flaubert (Isabelle Daunais, Marshall Olds), et quelques études centrées directement sur le rapport de Flaubert à la peinture (Adrianne Tooke et Bernard Vouilloux) nous permettent de revenir à ce qui demeure une question. Ce volume se propose de s'interroger sur la distance ou la résistance que Flaubert paraît entretenir avec la peinture soit pour en expliquer les raisons soit pour remettre en cause une idée qui a longtemps prévalu dans la critique flaubertienne, et qui explique peut-être la rareté des travaux sur ce point.

Ce volume montre que les références à la peinture sont bien plus nombreuses qu'on ne la souvent dit. Dans les années de formation et de transformation de l'esthétique flaubertienne (1845-1851) les réflexions sur la peinture dans la Correspondance et les Voyages sont plus nombreuses et plus développées que les notes sur les livres lus. Dans les années suivantes, malgré leur relative raréfaction, elles ne disparaissent pas complètement et une connaissance des Salons artistiques qu'il visitait, des milieux liés à l'art qu'il fréquentait (salon de la princesse Mathilde, des Goncourt) permettent de cerner la connaissance qu'il avait de la peinture de son époque. Les articles, entretiens et les notes éditées dans ce volume précisent donc à la fois la culture et les goûts de Flaubert en matière de peinture. Ils circonscrivent le contexte artistique avec lequel il entretient des rapports soit en émettant l'hypothèse d'influences plus ou moins directes, soit en constatant des similitudes dans le choix des sujets et la manière de voir. Ils nous aident à mieux percevoir la place de la peinture dans la formation et la réflexion esthétique de l'écrivain. Ils proposent enfin et surtout une série de réflexions sur les spécificités de la visualité flaubertienne et du « tableau », sur les rapports qu'ils entretiennent avec la peinture ou à l'inverse sur leur manière de prendre forme selon des modalités propres à la textualité et particulières à la forme narrative. L'un des objectifs des études réunies dans ce volume est de préciser les règles narratologiques, les orientations d'une esthétique et d'une poétique du récit qui particularisent la pratique flaubertienne du tableau dans ses romans. L'absence de références explicites à la peinture dans les romans est loin de manifester un refus ou une dévalorisation du visuel ou de la peinture. Les textes construisent bien une visualité par des moyens propres. On ne peut donc pas parler de l'indifférence de Flaubert à la peinture mais plutôt d'une méfiance à l'endroit de la critique d'art, c'est-à-dire d'une certaine position énonciative (liée au commentaire et au discours de savoir). À l'inverse, sa position d'écrivain s'affirme fortement à partir de trois grands refus : que la littérature puisse tenir sa légitimité de manière seconde (d'un autre art), que l'auteur doive accepter un jeu de rôle socio-linguistique (amateur, critique ou connaisseur), que l'oeuvre produise une interprétation (contrairement à la critique d'art).

Table de matières

Avant-propos par Gisèle SÉGINGER

FLAUBERT ET LA PEINTURE

L'oeil du peintre, par Luce CZYBA (université de Franche-Comté).

Flaubert et les peintres orientalistes, par Martine ALCOBIA (Portugal)

Le roman d'un monde pictural, par Isabelle DAUNAIS (université Mc Gill)

« Ces grands carrés noirs bordés d'or ».

L'aventure du regard à la Vaubyessard, Sylvie TRIAIRE (université Montpellier III)

Les arts visuels dans la genèse de Salammbô, par Érika WICKY

Tableaux flaubertiens, par Marshall Olds (université du Nebraska)

Portraits d'Emma : interprétations iconographiques de Madame Bovary, par Bruna Donatelli (université Roma 3)

Entretien avec Adrienne Tooke (université d'Oxford), par G. SÉGINGER

Entretien avec Bernard Vouilloux (université Bordeaux III), par G. SÉGINGER

ÉTUDES

Flaubert et le « presque religieux », par Juliette AZOULAI (université de Rouen)

« L'histoire est de vous, le roman est de moi ». Salammbô, la Bible et l'Histoire des usages funèbres et des sépultures des peuples anciens d'Ernest Feydeau, par Agnès BOUVIER (ITEM/CNRS).

INÉDIT

Les notes de Flaubert sur la revue L'Artiste, par Stéphanie Dord-Crouslé (CNRS/LIRE) et Félicie Mercier (université Lyon III).

CARNET CRITIQUE

Gustave Flaubert, Correspondance, V, édition d'Yvan LECLERC (par Pierre CAMPION) – Christine QueffÉlec, L'Esthétique de Gustave Flaubert et d'Oscar Wilde, les rapports entre l'art et la vie (par Jacqueline ERNST) – Georges Palante, Le Bovarysme, Une moderne philosophie de l'illusion (par Delphine JAYOT) – Anne-Marie BARON, Romans français du XIXe siècle à l'écran. Problèmes de l'adaptation (par Florence PELLEGRINI).