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Freaks. Écritures de la marge et imaginaire du monstrueux (ENS Paris)

Freaks. Écritures de la marge et imaginaire du monstrueux (ENS Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Arthur Ségard)

Freaks. Écritures de la marge et imaginaire du monstrueux

Séminaire d'élèves de l'ENS (département Littérature et Langages)

Toutes les semaines du semestre, du 23 janvier au 17 avril

 

Le mot freak, qui signifie originellement « monstre » et se réfère de façon plus spécifique au « monstre humain » exposé dans les freak shows, désignait, dans l’Amérique des années 1960, un marginal ou un drogué. Au cours de la décennie, et à mesure que s'aggrave la crise d'autorité qui aboutira au Watergate et au retrait des troupes du Vietnam, des écrivains et des musiciens contestataires opèrent un retournement du stigmate en se qualifiant eux-mêmes de freaks. L’expression connaît une certaine fortune, son sens originel étant souvent remotivé : certains artistes se présentent comme des monstres, c'est-à-dire, selon la définition de Foucault, comme « le mixte de deux règnes, (...) le mélange de deux espèces, (...) le mixte de deux sexes (...). Enfin, c’est un mixte de formes (...). Transgression, par conséquent, des limites naturelles, transgression des classifications, transgression du tableau, transgression de la loi comme tableau : c’est bien de cela, en effet, qu’il est question dans la monstruosité. » C’est ainsi que David Bowie se montre en homme-chien de freak show sur la pochette de Diamond Dogs, qu’il endosse des rôles d’extra-terrestres au cinéma, ou s'expose comme androgyne dans ses chansons et ses apparitions publiques. Ces transgressions « contre-nature » redoublent des transgressions à des codes sociaux jugés obsolètes. Les freaks emploient une rhétorique de naturalisation de l’écart, à portée politique. C’est cette rhétorique et ses paradoxes qu’il s’agira d’élucider. Comment se revendiquer comme auteur lorsqu’on se revendique par ailleurs comme déviant, voire comme monstrueux ? Quels sont les usages sociaux du stigmate ? À quelles conditions sont-ils compatibles avec des processus de légitimation ? 

Foucault note que l’histoire des anormaux « commence tout simplement avec King Kong, c’est-à-dire qu’on est tout de suite, d’entrée de jeu, au pays des ogres. La grande dynastie des Petits Poucets anormaux remonte précisément à la grande figure de l’ogre. (...) Comment donc l’espèce de grande monstruosité exceptionnelle a pu finalement se distribuer, se partager, dans cette nuée de petites anomalies, de personnages qui sont à la fois anormaux et familiers ? » Cette question, qu’il posait dans une perspective d’histoire de la psychopathologie, est pertinente dans le champ de la littérature et des représentations culturelles. Le freak n’est jamais un monstre au sens propre, il est un anormal quotidien en qui subsistent de manière implicite les attributs les plus conventionnels du monstrueux, à l’image du personnage de Leos Carax Monsieur Merde, va-nu-pieds difforme et dangereux, à qui une séquence des films Holy Motors et Tokyo ! est consacrée, traité à l’écran de la même façon que Godzilla dans les films de monstre japonais. C’est en grande partie à travers la culture populaire que la figure du freak subsiste jusque dans la littérature contemporaine, dans des œuvres qui convoquent des codes cinématographiques du monstrueux pour décrire la déviance sociale ou sexuelle, comme Angels in America de Tony Kushner ou Dans le jardin de l’ogre de Leïla Slimani.

Nous nous focaliserons surtout sur l’analyse d’écritures, au sens barthésien du terme, c’est-à-dire d’œuvres littéraires, mais aussi de chansons, de scénarios et de mises en scène. Nous prévoyons de consacrer quelques séances d’histoire culturelle à la figure du monstre au cinéma et à l’héritage des freak shows dans la photographie et la peinture contemporaines.