Essai
Nouvelle parution
Fr. Toudoire-Surlapierre, Que fait la critique ?

Fr. Toudoire-Surlapierre, Que fait la critique ?

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Marie-Pierre Ciric)

Que fait la critique ?

Frédérique Toudoire-Surlapierre

Paris : Klincksieck, 2008.

EAN 9782252036785

16 euros

Présentation de l'éditeur :

La critique n'est pas seulement une activité intellectuelle ou artistique neutre : en elle se révèle l'ambivalence de notre rapport aux autres, dans notre façon de dialoguer avec eux et/ou de les affronter. Cette duplicité tient au fait que la critique se présente comme une posture intellectuelle alors même qu'elle est aussi toujours une réaction affective et émotionnelle. Plus profondément encore, elle renvoie à notre façon de percevoir et de comprendre une oeuvre qu'un autre, témoignant ainsi d'un talent qui révèle sa différence et sa distinction, a créée. Que fait la critique face à cette manifestation du pouvoir de créer ? Elle dévoile en tout cas ce que nous sommes (ou non) à même de recevoir et de restituer.

*  *  *

Dans Libération du 2/10/8, on pouvait lire un article de R. Maggiori sur cet ouvrage:

"Une critique en règles

Critique

Critères. Frédérique Toudoire-Surlapierre s'interroge et théorise.


ROBERT MAGGIORI

La critique est hasardeuse - même lorsqu'elle est sérieuse etscrupuleuse - car sans cesse elle doit marcher sur les oeufs, ou, sil'on veut, se tenir à la «bonne distance», ni trop loin de l'oeuvrequ'elle juge, ce qui la ferait fumeuse, ni trop près, ce qui larendrait aveugle, l'enivrerait et la ferait se prendre pour l'oeuvreelle-même. Mais la critique de la critique l'est plus encore. De deuxchoses l'une. Soit elle épingle la critique comme injuste, gratuite,sadique, piteuse, vaine - et dans ce cas elle scie la branche surlaquelle elle est assise, voyant revenir vers elle toutes les épithètesqu'elle a utilisées pour la disqualifier. Soit elle la jugeindispensable, féconde, heuristique, dialogique, sublime, et dans cecas elle cède à l'autoglorification et se détruit itou, un peu comme lemodeste qui se vante de sa modestie.

Est-ce à dire qu'on ne peut jamais critiquer la critique, qu'elleserait intouchable alors même qu'elle s'autorise à toucher à tout ?Evidemment non. Elle est doublement légitime si, étranglantdéfinitivement l'idée que critiquer serait «dire du bien» ou «dire dumal», elle évalue critiquement, de façon circonstanciée et sereine, lafonction même de la critique, ses formes, ses méthodes, ses enjeux, sesfinalités. C'est ce que réussit Frédérique Toudoire-Surlapierre dans Que fait la critique ?

«Perte».Le titre semble pourtant annoncer le pire. S'il faitsonger à «que fait la police ?», il laisse entendre que la critique estinopérante ou que, comme les carabiniers, elle arrive toujours quandles traces du crime sont effacées et les coupables volatilisés. Ilrenvoie, en fait, à une citation de Valéry, qui, complète, donne : «Où va la critique ? A sa perte j'espère.»Essentiellement destructrice, gratuite, narcissique, hautaine,rancunière - parce que toujours au-dehors de la source créatrice -, lacritique ne mériterait donc qu'opprobre. Mais ce n'est vraiment pas surcette touche que joue Frédérique Toudoire-Surlapierre, dont le métierest d'enseigner la littérature comparée et le théâtre à l'université deFranche-Comté.

Comme l'exige la collection dans laquelle il est publié, son essairépond à «50 questions». Celles-ci sont très variées. La critiqueest-elle une affaire de séduction ? Qu'est-ce que la critique doit àKant ? La critique est-elle un jugement de goût ? Quelles sont lespropriétés de la critique journalistique ? Quel genre d'écrivain est lecritique ? A quels types de dialogues la critique invite-t-elle ? Quelssont les rapports de la littérature et de la critique ? La critiqueest-elle un «discours de la méthode» ? La critique de cinéma est-ellesuperflue ? Quelles sont les distinctions entre critique et théorie? etc.

Aussi permettent-elles à Frédérique Toudoire-Surlapierre d'analysertoutes les formes de la critique, depuis la critique d'un livre oud'une pièce dans un journal, jusqu'à la «critique littéraire», entendueau sens universitaire comme discipline qui, pour être conscience critique de la littérature ou interrogation sur «les conditions d'existence des oeuvres littéraires (matérialité du texte, sources, genèse psychologique ou historique, etc.)»,s'adjoint le concours de la linguistique, de la stylistique, de lasémiologie, de l'esthétique, de la psychanalyse, de la sociologie, del'histoire culturelle ou de philosophies telles que le marxisme,l'existentialisme, le structuralisme, le formalisme, la phénoménologie…La balance penche cependant moins du côté des critiques du Monde ou de Libération que de celui de Georges Bataille, comme fondateur de Critique,de Gérard Genette, Maurice Blanchot, Albert Thibaudet, Georges Poulet,Tzvetan Todorov, Serge Doubrovsky, Jean Starobinski ou Roland Barthes.

«Trajet critique». La polysémie du terme (étymologiquement :juger, séparer), la variété de ses modes opératoires ou expressifs (dela recension au pamphlet, de la glose ou l'exégèse scientifique aupastiche), son penchant pour la polémique, rendent difficile latentative de cerner les critères de la critique. En voulant esquisserun «trajet critique» qui se situerait entre «tout accepter» par la sympathie et «tout situer» par la compréhension, Starobinski «confère ses propres critères à la critique» : «la sympathie spontanée», «l'étude objective» et «la réflexion libre», qu'il apparente respectivement à la «certitude immédiate de la lecture», la «vérifiabilité de la technique "scientifique"» et la «plausibilité rationnelle de l'interprétation».Frédérique Toudoire-Surlapierre en cite bien d'autres, pour finalementconsidérer que relève de la critique tout jugement porté sur une oeuvrerépondant aux quatre critères suivants : «tendance autocritique oumétacritique ; transfert des modèles linguistiques ; prise de position: jugement ou opinion ; réflexion qui entend définir son objet et sespostulats épistémologiques.»

Cela apparaît sans doute peu parlant (et peut-être curieux : commentdéfinir les critères de la critique en parlant de métacritique ?). Lefait est que l'activité critique est si protéiforme et mouvante qu'ils'avère quasiment impossible de la saisir - comme une goutte demercure. Est-elle inutile ? On la dirait plutôt superfétatoire quandelle oublie l'oeuvre et se plaît à se trouver belle en son miroir, ou,comme écrivait Baudelaire, lorsqu'elle «abandonne toute prérogative cognitive et se consacre à son propre sacre».En réalité, elle «tient», et se maintient en sa posture, par son lien,lui-même indéfinissable, avec la littérature (l'art ? le cinéma ?).

«Opacités».Todorov a pu écrire que, loin d'en être l'«appendice superficiel», la critique est le «double nécessaire» de la littérature, puisque «le texte ne peut jamais dire toute sa vérité».Toudoire-Surlapierre suggère une autre idée. La critique, dit-elle, est «une ombre littéraire autant qu'une ombre portée sur la littérature» et «s'élabore dans (par) ses obscurités, ses doutes et ses opacités» : aussi «le rapport de l'écrivain à ses personnages» constitue-t-il la meilleure «mise en abîme et en représentation»du rapport qui lie le critique aux oeuvres. Voilà de quoi irritercertains détracteurs, et Diderot lui-même, qui estimait que lescritiques - des «amasseurs de nuage» d'une «subtilité d'esprit très pernicieuse», méchants, ambitieux, semeurs d'incertitudes - ressemblent «au vent qui remplit les yeux de poussière»."