Essai
Nouvelle parution
Fr. Ost, Sade et la loi

Fr. Ost, Sade et la loi

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Laurent Van Eynde)


FRANCOIS OST, Sade et la loi,
Paris, Odile Jacob, 2005, 339 p.

EAN : 9782738116697

26,50 €


4ème DE COUVERTURE


Sade passe vingt-huit ans de sa vie à l'ombre de la loi. Une loi qui lui fait de l'ombre et dont son désir souverain ne saurait s'accommoder. Il n'aura de cesse, en des milliers de pages d'une écriture sans merci , d'en démontrer l'absurdité et l'injustice. Et d'édifier sur ses ruines la République des corps prostitués.
Mais n'est-il pas lui-même l'esclave d'une autre loi bien plus cruelle que celle de la cité ?
Quelle loi ? C'est l'objet de ce livre d'en cerner les contours, non sans avoir, au préalable, dégagé la forme de la structure perverse : une certaine manière de restaurer ce qu'on nie par ailleurs.
Ce rapport pervers à la norme s'atteste ici de mille façons : dans une existence qui aura mis trois régimes au défi, une apologie du crime qui sape les lois politiques, un imaginaire flamboyant qui corrompt les lois de la nature et détourne celles de la logique, un style, enfin, qui, dans sa volonté de "tout dire", subvertit les lois de l'écriture.
Au total, un corps à corps sanglant avec l'institution, un procès sans fin intenté à la loi et au Bien, une oeuvre immense et radicalement solitaire. Comme le noir évangile de l'ange déchu. Comme un cri de défi qui s'étrangle de ne pas venir à bout de la loi.
L 'ouvrage se clôt par un dialogue imaginaire entre Sade et l'auteur du Code civil, Portalis, tous deux retenus dans les prisons de Robespierre, aux jours les plus sombres de la Terreur. Sade et Portalis, ou l'improbable rencontre de l'ordre et du chaos.

FRANCOIS OST : Juriste et philosophe, vice-recteur des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, François Ost enseigne également à Genève et à Louvain-la neuve. Il dirige l'Académie européenne de théorie du droit et est membre de l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. Il a notamment publié Le temps du droit et Raconter la loi.

ARGUMENTAIRE
Avec ce troisième ouvrage publié aux Editions Odile Jacob, François OST poursuit une entreprise éditoriale de grande envergure qui consiste à rendre au droit la portée culturelle qui est la sienne et qu'une approche exclusivement technicienne et pragmatique a conduit à progressivement occulter. Avec succès, François Ost s'emploie à réintégrer le droit dans le champ des sciences sociales et à en faire l'objet d'une méditation philosophique originale.
Après Le temps du droit en 1999, qui réglait les rythmes juridiques sur les grands temps sociaux, ce fut, en 2004, Raconter la loi qui entreprenait d'écrire, pour la première fois, le roman politique des lois, depuis le Sinaï et la tragédie grecque jusqu'à Faust et Kafka.
C'est cette histoire que François Ost poursuit aujourd'hui en découvrant cette fois sa face cachée, ses dessous inaudibles : au commencement ( et peut-être à la fin aussi) étaient le crime, le mensonge, l'imposture. Personne, plus opiniâtrement que Sade n'aura tenu, jusqu'au bout, cette position.
Se pourrait-il donc que le mal fût radical et que nulle institution ne le rachetât, nul sacrifice ne l'expiât ? Sade l'a pensé, et sa vie, comme son oeuvre en feront l'épreuve éclatante.
Ainsi, pour la première fois, l'oeuvre monumentale de Sade est-elle étudiée systématiquement sous l'angle de son rapport à la loi. Le résultat ne manque pas d'être surprenant. Ce n'est pas, en effet, sur le constat banal d'une vie de hors la loi et d'une oeuvre qui se ramène à l' apologie du crime que débouchent les analyses de François Ost, mais bien plutôt sur la mise au jour de la figure, autrement fascinante, de la perversion. Une perversion qui, par un subtil jeu de bascule autour de la loi, s'emploie à restaurer la loi, un certain type de loi, au moment même où celle-ci est mise au défi et bafouée.
Quelle est donc cette autre loi, bien plus cruelle et impérative que celle de la cité, à laquelle souscrit le pervers ?
Telle est l'interrogation que déroule François Ost tout au long d'une enquête fascinante qui porte successivement sur la tumultueuse existence du divin marquis (provoquant les autorités successives de trois régimes différents), sur les principes du nouveau code pénal que la France allait adopter (récusés par lui au nom de la République des corps prostitués), sur les prétendues lois de la nature (auxquelles Sade oppose la force destructrice de la nature originaire), sur les codes et les règles de l'écriture (lois du genre et pacte littéraire que Sade subvertit avec délectation), sur la loi du père, enfin, que Sade désavoue au profit du fétiche de sa jouissance sacralisée.
Se mouvant avec aisance entre philosophie, théorie littéraire et psychanalyse, l'ouvrage éclaire l'oeuvre sadienne d'un jour puissant et original, sans doute parce que le rapport à la loi est vraiment au coeur de cette écriture anarchique.
Si Sade n'a rien perdu aujourd'hui de sa puissance de scandale, il n'est plus censuré pour autant ; l'ouvrage retrace aussi (et c'est encore une façon de confronter Sade à la norme) deux siècles de réception de l'oeuvre, depuis l'indignation vertueuse du XIXe jusqu'à la normalisation savante de la fin du XXe. Comment, dans ces conditions, discuter Sade sans retomber dans les condamnations du passé, ni banaliser la radicale contestation de l'ordre social qu'il représente ?
En guise de conclusion, François Ost relève ce défi en confrontant deux imaginaires rivaux, ceux de deux hommes d'exception que les hasards du destin ont rapproché un instant dans les prisons de la Terreur révolutionnaire : Sade, le hors la loi, et Portalis, le futur auteur du Code civil. Sous la forme d'un dialogue philosophique imaginaire, l'ouvrage propose l'improbable rencontre de la loi et chaos. Et si, comme de juste, la loi en sortira vainqueur, ce n'est pas indemne pour autant. Comme si Sade avait creusé une faille irréductible du côté de ses fondements : un siècle avant Freud, le marquis proclamait que le mal radical présidait décidément à l'origine. Il n'est pas certain que nous ayions déjà tiré toutes les conséquences de cette affirmation scandaleuse.