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Forme et transformation : le constructivisme comme projet

Forme et transformation : le constructivisme comme projet

Publié le par Alexandre Gefen

« Constructivismes »
Cycle de conférences coordonné par
Elie During, Laurent Jeanpierre,
Christophe Kihm, Dork Zabunyan

Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts (Paris) 

Le constructivisme désigne une sensibilité (expérimentale) et une stratégie (critique). Il revient à poser que toute réalité est produite, et à en déduire une pratique. Les mouvements artistiques du XXe siècle en ont donné des versions contrastées, mais la notion est également opérante en mathématiques, en psychologie, en sociologie, etc. Le séminaire formule une hypothèse : du laboratoire à l'atelier, ces constructivismes communiquent et peuvent s'éclairer mutuellement. Artistes, historiens de l'art, philosophes et scientifiques s'emploieront à le montrer sur pièces.

Les conférences auront lieu le vendredi, aux Beaux-arts, au rythme d'une séance par mois.


Séance d'ouverture 

Vendredi 16 octobre à 17h
amphi du mûrier
ENSBA - 14, rue Bonaparte, Paris 6e


MARCELLA LISTA 

« Forme et transformation :
le constructivisme comme projet » 

Historienne de l'art (Musée du Louvre), spécialiste des avant-gardes du début du XXe siècle, Marcella Lista a notamment consacré une étude à la notion d'« oeuvre d'art totale ».


ARGUMENT DU SEMINAIRE

Au-delà de la source historique que constitue le constructivisme russe, avec ses différents relais et héritages au fil des avant-gardes artistiques du XXe siècle (Bauhaus, Fluxus, Experiment in Art and Technology, G.R.A.V., art conceptuel, cinétique, sériel, etc.), au-delà même du domaine de l'art, le constructivisme a désigné une sensibilité (expérimentale) et une stratégie (critique) dont le propre est d'attirer l'attention sur le fait que toute réalité est produite : configurée, inventée ou fabriquée, plutôt que donnée, découverte ou révélée. Qu'il s'agisse de la pratique ou de la théorie, le constructivisme valorise la dimension opératoire et matérielle de l'activité créatrice ; il la révèle comme intervention et comme travail. On n'aurait d'ailleurs pas de mal à dégager les prémices de cette orientation dans des tendances bien antérieures : du côté du maniérisme par exemple, ou dans la réflexion menée sur les conditions a priori de la connaissance. Il nous paraît important d'en réinterroger aujourd'hui les motivations et les moyens pour mesurer le déplacement qui s'ensuit dans les catégories usuelles du discours sur l'art contemporain, et plus généralement, pour y puiser de nouvelles ressources pour la pensée et l'action.

La diversité des courants réunis sous la bannière du constructivisme n'empêche pas de chercher à mettre au jour les éléments d'une grammaire. Leur premier effet serait de déconstruire l'évidence plus ou moins mystifiante de l'« objet d'art », qu'on l'entende au sens romantique, comme pure production du génie artistique, ou au sens artisanal de la facture et du tour de main. Contre l'idée de l'objet achevé, singulier, contre le système des beaux-arts et ses hiérarchies, le constructivisme russe revendiquait les concepts de montage et d'installation, la pratique de la production en série (mécanisée ou non), le décloisonnement des disciplines et des régimes de production (art et industrie, art et sciences, dans un rapport étroit aux machines), la déréification des oeuvres et l'insistance corrélative sur les opérations de l'art et son processus matériel, aussi importants que le produit fini. Pour ceux, artistes ou critiques, qui se reconnaissent aujourd'hui dans ce projet, il y va finalement d'une méthode de production « anti-objectiviste », inséparable d'une réflexion sur les éléments constituants des artefacts artistiques, sur les conditions sociales et techniques de leur réalisation.

Or il se trouve que le constructivisme est aussi le nom d'une théorie et d'une pratique de la connaissance. Développée d'abord en mathématiques, étendue aux domaines de la psychologie, de la sociologie et des « science studies », l'option constructiviste est globalement anti-réaliste et anti-naturaliste. Philosophiquement, elle a des affinités avec les mouvements empiristes et pragmatistes. Elle insiste sur le caractère construit de la connaissance, et finalement de la réalité elle-même. Passées au crible du constructivisme, les catégories ou entités théoriques invoquées pour expliquer les phénomènes (« lois de la nature », « cadres sociaux », etc.) apparaissent comme des agencements instables, des alliances sans cesse rejouées. Le constructivisme est un pluralisme. Les faits eux-mêmes, et jusqu'aux perceptions qui les soutiennent, apparaissent comme des produits dérivés, résultats souvent contingents de processus de convergence et de consolidation impliquant des médiations multiples, mais aussi une dimension de risque et d'expérimentation constante. Le constructivisme est un irréalisme, davantage encore qu'un anti-réalisme : il n'accorde de réalité qu'à ce qui se fait. Tout se construit, tout se machine ; et les choses sont d'autant plus « réelles » qu'elles ont été davantage « construites » !

« Constructivisme » : en art, mais aussi partout ailleurs. L'intuition que cherchera à développer le séminaire est qu'il n'y a pas dans cette dissémination du vocable un pur effet d'homonymie. Constructivismes savants et constructivismes artistiques peuvent être mis en parallèle et interagir les uns avec les autres. Il faut tenter l'expérience. Que se passe-t-il lorsqu'on utilise les outils des philosophies constructivistes, en particulier lorsqu'ils sont appliqués aux sciences, pour analyser les pratiques artistiques ? Inversement, en quel sens les expérimentations menées par les constructivismes artistiques peuvent-elles éclairer les pratiques de la pensée, les modes de production de la connaissance ?

À l'heure où la définition de la recherche en art fait l'objet de nombreuses controverses nationales et internationales dans les écoles d'art comme au niveau des politiques de l'enseignement supérieur artistique, il s'agit d'abord d'interroger les similitudes et les différences entre arts et sciences à partir des diverses tentatives qui, depuis le constructivisme russe, se sont délibérément tenues à la frontière des deux domaines pour penser et pratiquer leurs interférences.
Notre méthode se réglera sur la nature de cet objet : elle sera elle-même constructiviste, appuyée sur des cas, des constructions effectives, avec le souci d'identifier des stratégies et des procédés transposables. Artistes et théoriciens de l'art, savants et théoriciens de la connaissance seront invités à se pencher sur des projets ou des créations artistiques, mais aussi sur des productions scientifiques (montages expérimentaux, objets, théories), en se fixant pour objectif de contribuer à ce qu'on pourrait appeler une microphysique de la composition, par différence avec une esthétique des formes. Dans tous les cas, il s'agira de cerner des régimes de consistance illustrés par des oeuvres diverses (objets, montages, faits scientifiques, dispositifs techniques), en dégageant les opérations instauratrices qui leur confèrent une tenue, une visibilité et une efficacité propres.

Elie During
Laurent Jeanpierre
Christophe Kihm
Dork Zabunyan