Questions de société

"Formation" des stagiaires, témoignages de stagiaires en colère (Bordeaux, décembre 2010)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Listes de diffusion)

Non contents d'être soumis à une charge d'enseignement à plein temps, pour des motifs budgétaires, les nouveaux enseignants stagiaires du second degré bénéficient également de journées banalisées de formation assez surprenantes. Plutôt que de s'essayer à colmater les failles d'une formation pédagogique absente, les autorités rectorales préfèrent organiser une opération promotion pour… l'armée. C'est du moins ce qui s'est passé à Bordeaux.


"Formation" des stagiaires, suite (Bordeaux, décembre 2010)

Témoignages circulant sur la liste de diffusion SNES Louis de Foix:

Premier témoignage

Je vous adresse le présent courrier pour vous faire part du contenu discutable et du traitement intolérable qui a été réservé aux professeurs stagiaires hier, vendredi 03/12/10, au lycée Gustave Eiffel, à Bordeaux. Non contentes de nous avoir fait passer le matinée à écouter le détail des missions du recteur et du fonctionnement du système éducatif français, les autorités compétentes ont décidé de consacrer l'après midi au thème de l'enseignement de défense et à la présentation des différents types de coopération possibles entre l'armée et l'éducation nationale.
Je ne doute pas que ce soit là un programme d'information adapté aux néo fonctionnaires que nous sommes. En revanche, je doute fortement de la pertinence de nous faire assister à cette journée alors même qu'aucun d'entre nous n'a commencé sa formation disciplinaire ce qui, de l'avis de tous, est une urgence bien réelle.
D'autre part, j'ai été profondément choqué par le choix des thèmes abordés et encore plus par le choix de certaines images. On peut, en effet, se questionner quant à l'intérêt d'une propagande de l'insécurité sur fond de Twin Towers en flammes ! Aussi, il serait surement préférable, au moment où l'on tente de convaincre les jeunes professeurs qu'il ne faut pas hésiter à orienter leurs élèves vers l'armée, de ne pas leur montrer une image d'un jeune tenant un fusil d'assaut en joue, lors de sa JAPD.
Dans un autre registre, je tiens également à vous faire part de la façon dont on nous a traités. Je n'excuse pas le retard de certains de mes camarades, mais ce n'est pas une raison pour se laisser aller à des règlements de compte au micro, en questionnant notre "posture professionnelle", notre respect de la déontologie ou bien encore en affirmant la supériorité du corps militaire face aux réflexions stériles menées par des intellectuels en salle des profs ! Il me semble que la tournure exacte était "Les discussions entre militaires ça n'a rien à voir avec les discussions entre intellectuels qu'on entend en salle des profs. [...] Nous il nous faut des décisions rapides car ça débouche sur de l'action."
Face à l'inutilité relative du contenu et l'hostilité palpable qui nous a été témoignée, nombre d'entre nous n'avons pas assisté à l'intégralité de la présentation l'après-midi. Nos collègues des Landes ont, eux aussi, témoigné leur mécontentement envers le choix thématique de la formation en quittant massivement les lieux. Il faut rappeler que nous ne sommes pas une bande d'élèves dissipés (comme nos intervenants de Bordeaux l'ont cru), mais bien des professeurs et que si nous en arrivons à ce genre d'attitude il doit bien y avoir des raisons. Le temps de la remise en question est peut-être venu !

Je ne serai certainement pas le seul à vous écrire à ce sujet et j'espère que vous ferez part de notre message à qui de droit.
Je vous prie également de bien vouloir respecter l'anonymat de mes propos.

Un stagiaire en colère.

Deuxième témoignage

Cher collègue,

Je me permets de vous envoyer ce mail car je voudrais témoigner directement de ce que vivent les professeurs stagiaires lors de leurs formations organisées par le corps d'inspection.  Lors de la réunion de « formation » du vendredi 3 décembre, qui s'est tenue au lycée Gustave Eiffel à Bordeaux, les professeurs stagiaires ont été conviés à suivre un cours magistral de 9h30 à 12h30. Les interventions successives n'ont répondu en rien à nos demandes les plus pressantes et à nos inquiétudes. La première traitait de l'organisation interne d'un rectorat, avec toutes ses strates de responsabilités, la seconde expliquait avec un tableau obsolète comment les IPR décident d'une note pédagogique lors de leurs visites etc… A la fin de la troisième intervention détaillant les droits et devoirs du fonctionnaire, un responsable des ressources humaines nous a rappelé que nous « devions » 35 heures par semaine à l'Etat et que nous n'étions pas une profession libérale et que nous dépendions d'une hiérarchie structurée. Inutile de vous préciser que beaucoup d'entre nous ont très mal apprécié ce « petit rappel » qui, en plus de résulter d'un postulat douteux, prouve encore une fois (et c'est peut être le plus grave) que les autorités sont bien loin de la réalité de ce que vivent les professeurs stagiaires ! D'ailleurs à la fin de l'intervention, un collègue a posé la question suivante : «  tout ce que vous nous dites est certes intéressant et je suis d'accord qu'en tant que fonctionnaire, nous nous devons de connaître le fonctionnement de notre institution mais qu'en est-il de notre droit à la formation disciplinaire ? Nous n'avons encore eu à ce jour aucune formation ! » A cette invective fortement applaudie par tous, une inspectrice a pris la parole et a répondu : « Il faut savoir qu'il est du devoir de tout enseignant de s'autoformer et les tuteurs sont aussi là pour vous aider  ».  Pour la matinée de ce vendredi 3 décembre je regrette tout simplement que le contenu de la formation soit non pertinent par rapport à nos nombreuses attentes. Ce problème de formation des profs stagiaires est un problème maintenant connu et je n'aurais pas pris la peine de vous écrire pour quelque chose que vous connaissez déjà. En fait, je voudrais surtout vous rendre compte de ce qui s'est passé l'après midi de cette « formation ». A notre grande surprise, à 14h, lorsque la réunion a repris, nous avons vu se succéder à la tribune deux militaires, un major et un colonel (si je me souviens bien) accompagné d'un IPR d'histoire géographie et d'un professeur agrégé d'histoire, commandant de réserve. Les thèmes abordés ont été alors plus exotiques les uns que les autres, « l'enseignement de la défense », «  la défense aujourd'hui : nouvelles menaces, nouvelles configurations, les enjeux », « un exemple de partenariat Défense/lycée », « le recensement et la JAPD » etc. Tous ces thèmes ont été servis avec une sauce idéologique particulièrement intéressante : « Grâce à dieu, grâce à dieu, grâce à dieu nous connaissons la paix en Europe depuis plus de 60 ans ». «  La paix a été préservée grâce à la bombe nucléaire » etc… Nous avons aussi été incités à orienter nos élèves en difficulté vers des carrières militaires !! Tout ça avec en arrière plan des images de jeunes militaires avec des armes à la main en exercice de tirs etc… Nous avons été plusieurs à nous demander si ce n'était pas une mauvaise blague avec une caméra cachée  Evidemment beaucoup de nos collègues furieux que l'on se moque de leurs préoccupations quotidiennes (apprendre à construire des séquences de cours ou évaluer les élèves par exemple) ont déjà commencé à quitter massivement les lieux…l'IPR, irrité, alors lâche quelques remarques injurieuses allant jusqu'à remettre en doute notre posture professionnelle. Peut être aurait-il dû se féliciter d'avoir devant lui des enseignants avec un esprit critique !  La fin de la séance a été épique, l'IPR nous a interpelés en nous interpellant : « Bon… nous sommes en retard mais … A qui la faute ? » … Il a ensuite apostrophé une professeur stagiaire qui était en train de se diriger vers la sortie et lui a dit « Mademoiselle, vous n'avez pas le droit de quitter la salle, vous êtes payée pour suivre ces formations »… A la professeur stagiaire de lui rétorquer courageusement  «  j'ai un train à prendre, il est 16h 31 et je ne suis payée que jusqu'à 16h30 ».  Face à l'hostilité généralisée et réciproque, beaucoup ont quitté la salle. Le commandant de réserve, visiblement en colère se  permet une comparaison hasardeuse : «En salle des profs, on entend des conversations d'intellectuels qui ne servent à rien alors que nous dans l'armée on est dans l'action pour la nation » et enfin, un autre gradé de l'armée prend la suite en affirmant de manière décomplexée qu'il n'y a pas de déontologie dans l'éducation nationale ! Pour conclure, nous nous sommes tous sentis insultés tant par le choix des thèmes abordés qui témoignent d'une ignorance totale de nos problèmes quotidiens que par des propos inacceptables à notre égard et sur l'ensemble de la profession que, quelque part nous représentions ce jour là.

Lire aussi, sur Rue 89: Des militaires pour former les profs stagiaires. Par Julie_prof | Professeure stagiaire | 15/12/2010

"Formation des professeurs : témoignage d'un stagiaire en colère", L'Humanité, 13 décembre 2010

Témoignage d'un(e) stagiaire de Bordeaux racontant sa journée de formation interdisciplinaire du vendredi 3 décembre 2010

Je me permets de vous envoyer ce mail car je voudrais témoigner directement de ce que vivent les professeurs stagiaires lors de leurs formations organisées par le corps d'inspection.

Lors de la réunion de « formation » du vendredi 3 décembre, qui s'est tenue au lycée Gustave Eiffel à Bordeaux, les professeurs stagiaires ont été conviés à suivre un cours magistral de 9h30 à 12h30. Les interventions successives n'ont répondu en rien à nos demandes les plus pressantes et à nos inquiétudes.

La première traitait de l'organisation interne d'un rectorat, avec toutes ses strates de responsabilités, la seconde expliquait avec un tableau obsolète comment les IPR décident d'une note pédagogique lors de leurs visites etc… A la fin de la troisième intervention détaillant les droits et devoirs du fonctionnaire, un responsable des ressources humaines nous a rappelé que nous « devions » 35 heures par semaine à l'Etat et que nous n'étions pas une profession libérale et que nous dépendions d'une hiérarchie structurée. Inutile de vous préciser que beaucoup d'entre nous ont très mal apprécié ce « petit rappel » qui, en plus de résulter d'un postulat douteux, prouve encore une fois (et c'est peut être le plus grave)que les autorités sont bien loin de la réalité de ce que vivent les professeurs stagiaires ! D'ailleurs à la fin de l'intervention, un collègue a posé la question suivante : « tout ce que vous nous dites est certes intéressant et je suis d'accord qu'en tant que fonctionnaire, nous nous devons de connaître le fonctionnement de notre institution mais qu'en est-il de notre droit à la formation disciplinaire ? Nous n'avons encore eu à ce jour aucune formation ! » A cette invective fortement applaudie par tous, une inspectrice a pris la parole et a répondu : « Il faut savoir qu'il est du devoir de tout enseignant de s'autoformer et les tuteurs sont aussi là pour vous aider… ».

Pour la matinée de ce vendredi 3 décembre je regrette tout simplement que le contenu de la formation soit non pertinent par rapport à nos nombreuses attentes. Ce problème de formation des profs stagiaires est un problème maintenant connu et je n'aurais pas pris la peine de vous écrire pour quelque chose que vous connaissez déjà. En fait, je voudrais surtout vous rendre compte de ce qui s'est passé l'après midi de cette « formation ».

A notre grande surprise, à 14h, lorsque la réunion a repris, nous avons vu se succéder à la tribune deux militaires, un major et un colonel (si je me souviens bien) accompagné d'un IPR d'histoire géographie et d'un professeur agrégé d'histoire, commandant de réserve. Les thèmes abordés ont été alors plus exotiques les uns que les autres, « l'enseignement de la défense », « la défense aujourd'hui : nouvelles menaces, nouvelles configurations, les enjeux », « un exemple de partenariat Défense/lycée », « le recensement et la JAPD etc. Tous ces thèmes ont été servis avec une sauce idéologique particulièrement intéressante : « Grâce à dieu, grâce à dieu, grâce à dieu nous connaissons la paix en Europe depuis plus de 60 ans ». « La paix a été préservée grâce à la bombe nucléaire » etc… Nous avons aussi été incités à orienter nos élèves en difficulté vers des carrières militaires !! Tout ça avec en arrière plan des images de jeunes militaires avec des armes à la main en exercice de tirs etc… Nous avons été plusieurs à nous demander si ce n'était pas une mauvaise blague avec une caméra cachée…


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