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Figures du critique-écrivain. Formes et pratiques du métadiscours littéraire

Figures du critique-écrivain. Formes et pratiques du métadiscours littéraire

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Laurence van Nuijs)

Figures du critique-écrivain

Formes et pratiques du métadiscours littéraire

 

Projet de colloque international et d’ouvrage collectif dirigé par

Valérie Stiénon (Paris 13) & Laurence van Nuijs (KU Leuven-FWO)

 

Du XIXe siècle à nos jours, de nombreux auteurs ont combiné écriture de création et critique littéraire. À ces pratiques mêlées correspondent des statuts hybrides, dont celui de « critique-écrivain » est peut-être le plus représentatif. Le constat semble valoir tout à la fois pour la critique journalistique, essayiste et théorique. Que l’on pense à Sainte-Beuve, Jean-Paul Sartre, Roland Barthes, François Nourissier et Julia Kristeva. Ces figures signalent une partition plus ou moins nette entre une production majeure ou principale et une œuvre « résiduelle » – partage qui ne recoupe pas nécessairement la distinction entre création et critique. Comment les rapports entre ces composantes sont-ils négociés, confirmés voire inversés ? La question se pose à la fois du vivant des auteurs et à propos de leurs réceptions successives. Pourquoi la postérité a-t-elle retenu comme critiques des auteurs qui ont par ailleurs investi ou approché une production spécifiquement littéraire ? À l’inverse, pourquoi certains auteurs sont-ils perçus comme des écrivains en dépit de leur abondante production critique ? Ces classements par l’histoire interagissent avec des catégories intériorisées qui fonctionnent tantôt comme modèles, tantôt comme repoussoirs. Les exemples abondent, de la critique prostituée fustigée de Balzac à Paul Morand, à la critique comme laboratoire chez Michel Butor, ou encore de la critique « professorale » reprochée à Sartre par les Hussards, à la critique « décalée » d’un Pierre Bayard.

En France, l’émergence du métadiscours littéraire est consubstantielle à l’apparition de la littérature comme domaine distinct des Belles-Lettres à la fin du XVIIIe siècle. On peut déceler ensuite une progression qui va de la dévalorisation d’une pratique seconde et parasitaire, à la promotion d’une écriture participant à la modernité littéraire. En témoigne, sur deux siècles, tout ce qui sépare un Théophile Gautier blâmant le critique-eunuque improductif, d’un Roland Barthes plaçant la fonction de l’écrivain à l’horizon de celle du critique, en vertu d’une production continue du Texte qui unit praticien et commentateur. D’une part, la promotion contemporaine du double statut de « critique-écrivain » indique que le métadiscours est désormais une partie légitime voire essentielle du dispositif de l’œuvre. D’autre part, la critique se disperse dans différents genres, brouillant ainsi la frontière entre ces deux composantes : le roman et l’essai deviennent le « romanesque », le roman policier se fait enquête sémiologique, les chroniques se reconvertissent en essais dans des recueils, etc. Cette évolution s’opère en lien étroit avec un ancrage symbolique dans le patrimoine français et avec une appartenance nationale spécifique, que celle-ci soit passée sous silence au profit d’une visée universaliste, qu’elle soit revendiquée par identification au panthéon des auteurs qui ont forgé le prestige d’une langue et d’un style, voire qu’elle soit remise en question au profit d’une ouverture à d’autres traditions.

Jusqu’à présent, la figure complexe du critique-écrivain a fait l’objet de réflexions centrées sur des cas particuliers, consacrées à une période restreinte ou menées principalement dans la perspective de l’écrivain-critique, examinant par exemple la chronique journalistique des écrivains. Il manque encore une étude d’ensemble qui prenne en considération les divers paramètres d’une pratique protéiforme, d’une légitimation problématique et d’une longue évolution depuis l’institutionnalisation de la critique au XIXe siècle (critique journalistique vs critique universitaire) jusqu’à la diversification moderne des types de discours critique (théorique, historique, médiatique, essayiste). Pour mener à bien cette étude, trois orientations seront privilégiées.

Modèles

L’identité du critique-écrivain ne répond pas à un schéma déterminé, ce qui la rend ajustable à des modèles, convoqués en cautions ou en repoussoirs. Elle se constitue en référence à des postures effectives ou imaginaires, comme celles de théoricien, essayiste, polémiste, chroniqueur, poéticien, sociologue, etc. Autant de profils qui participent au statut que le critique postule pour lui-même et pour sa pratique, conçue entre subordination au discours d’autrui et autonomie du commentaire. Les catégories ainsi créées ou reprises sont particulièrement révélatrices. C’est le cas de la typologie proposée par Gautier entre critiques moraux, utilitaires, blasés et prospectifs, qui lui permet de poser contrastivement en véritable poète. C’est aussi le cas des scénarios barthésiens « fantasmés » à partir des figures tutélaires de Gide, Flaubert et Proust, qui guident l’écriture critique par identifications admiratives. L’interdépendance du critique-écrivain et de l’écrivain-journaliste est dominante au XIXe siècle, comme l’est, au siècle suivant, la dynamique des statuts respectifs du critique, de l’essayiste et du théoricien. Quel est donc le répertoire des modèles engagés dans les fonctions du critique-écrivain ? Comment ces références se négocient-elles chez chacun d’eux, à travers les interactions imaginaires et les prises de position effectives ?

 

Valeurs

D’une légitimité problématique, l’activité du critique-écrivain engage les valeurs liées à la pratique littéraire et touche à la notion même de littérarité. Ces valeurs résultent d’effets de classement inhérents à certains genres privilégiés, tels que l’autobiographie, l’autofiction, l’essai, la chronique. Elles sont aussi influencées par la liberté expérimentale qui permet au critique d’investir des catégories qui ne lui sont pas spécifiques. Ainsi du comparatiste Robert Escarpit versant dans la littérature jeunesse, du journaliste Angelo Rinaldi s’illustrant dans le genre romanesque ou de l’écrivain Charles Dantzig revisitant le dictionnaire et l’encyclopédie. Les valeurs dépendent par ailleurs du rapport établi par l’auteur entre création et critique, jouant du contraste, de la complémentarité ou du parallélisme. La signature de l’œuvre est parfois révélatrice de ces répartitions concertées, comme le montrent les cas de Paul Léautaud signant Maurice Boissard et de Bernard Frank commentant ses chroniques comme celles d’un autre. Il faut en outre considérer les modalités d’expression de la subjectivité, qui ne coïncident pas nécessairement avec l’affirmation d’une identité auctoriale ou d’une volonté de faire œuvre. Enfin, quels sont les paramètres non littéraires (politiques, idéologiques) qui régulent l’axiologie des pratiques du critique-écrivain dans une histoire, une géographie et une langue particulières ?

 

Évolution 

Le profil bifide qui nous intéresse commence à poser question à partir du XIXe siècle, lorsque la critique s’institutionnalise en instance d’évaluation et en discours d’escorte. Ce moment inaugure aussi la séparation normative et matérielle entre « critique universitaire » et « critique journalistique/d’écrivain ». Il convient d’interroger cette évolution jusqu’à la réorganisation complexe à laquelle contribue le XXe siècle, en termes de supports de diffusion, de rapports au public et de spécialisation des pratiques critiques. S’il faut considérer les modalités du partage entre discours et métadiscours, on peut aussi questionner l’évolution générale de cette bipartition, qui semble s’opérer dans le sens d’une valorisation du statut du critique, d’une extension de sa pratique et d’une intégration de ses écrits à la sphère littéraire. La modernité serait-elle caractérisée par la convergence complémentaire de l’écriture de création et de l’activité critique ?

 

Ce colloque interuniversitaire et international se tiendra à Bruxelles au Palais des Académies les 11, 12 et 13 juin 2014. Les contributeurs sont choisis sur invitation et par appel à communications. Après sélection par le comité scientifique, les travaux de ces journées seront publiés dans un ouvrage collectif (parution prévue 2015).

Les propositions de communication (500 mots) sont attendues pour le 1er septembre 2013 aux deux adresses V.Stienon@ulg.ac.be & laurence.vannuijs@arts.kuleuven.be.

En vue de favoriser une réflexion d’ensemble, il est demandé aux contributeurs de préciser dans leur proposition à quel type de discours critique appartient le corpus qu’ils se proposent d’explorer :

- la critique primaire ou « journalistique » suit de près la production littéraire, sert de manière plus ou moins directe les intérêts liés aux supports qui l’accueillent et invite le critique à concevoir sa pratique sur le mode ancillaire ;

- la critique secondaire ou « essayiste », plus réflexive, principalement investie par des auteurs qui sont aussi des écrivains, tend à faire partie intégrante de l’œuvre de création ;

- la critique tertiaire, « universitaire » ou « académique », davantage à l’écart de la production contemporaine, confère à ses auteurs un degré d’auctorialité affirmé et implique une posture de commentateur ou de spécialiste plutôt que de créateur.

 

Pistes bibliographiques

Études générales

Paul Aron (dir.), Textyles. Dossier « Les écrivains journalistes », n° 39, 2010.

Marie-Paule Berranger (dir.), Revue des Sciences Humaines. Dossier « L’écrivain-critique », n° 306, 2012.

Christophe Charle, « Le temps des hommes doubles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1992, pp. 73-85.

Bruno Curatolo et Alain Schaffner (dir.), La Chronique journalistique des écrivains (1880-2000), Dijon, EUD, 2010.

Lise Dumasy (dir.), La querelle du roman-feuilleton : littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-1848), Grenoble, ELLUG, 1999.

Nathalie Heinich, Être écrivain : création et identité, Paris, La Découverte, 2000.

Isabelle Laborde-Milaa et Malika Temmar, « La figure de l’écrivain dans la critique littéraire médiatique », Semen. Dossier « Médiaculture et médiacritique », 2008, n° 26, URL : http://semen.revues.org/8433

Bernard Lahire, La condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La Découverte, 2006. 

Marielle Macé, Le temps de l’essai. Histoire d’un genre en France au XXe siècle, Paris, Belin, 2006.

William Marx, Naissance de la critique moderne : la littérature selon Eliot et Valéry (1889-1945), Université d’Artois, 2002.

Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, L’écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres, Sainte-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, n° 6, 2003. 

Guillaume Pinson et Maxime Prévost (dir.), Penser la littérature par la presse, Études littéraires, vol. 40, n° 3, 2009.

Littératures contemporaines. Dossier « L’écrivain journaliste », n° 6, Paris, Klincksieck, 1989.

Revue d’Histoire littéraire de la France. Dossier « La critique de droite », n° 3, 2005.

Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle. Dossier « Puissance et impuissance de la critique », n° 26, 2008.

 

Monographies

Olivier Bara et Christine Planté (dir.), George Sand critique, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2011.

Anne Chevalier (dir.), Cahiers Valery Larbaud. Dossier « Valery Larbaud, écrivain critique », n° 45, 2009. 

Jean-François Domenget, Montherlant critique, Genève, Droz, 2003.

François-Marie Mourad, Zola critique littéraire, Paris, Champion, 2003.

Laurent Zimmermann (dir.), Pour une critique décalée. Autour de Pierre Bayard, Éditions Cécile Defaut, 2010.