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Figurer les invisibles

Figurer les invisibles

Publié le par Florian Pennanech (Source : imagesrevues.org)

« L'art ne reproduit pas le visible : il rend visible ». Cette phrase
de P. Klee (dans "le Credo du créateur"), devenue depuis sujet
classique de philosophie esthétique, conserve toute sa fécondité si
l'on dépasse la seule tradition de l'histoire de l'art occidental.
Cette dimension élémentaire de l'oeuvre – non pas seulement qu'elle soit
visible, ou plus largement perceptible, mais qu'elle rende perceptible
ce qui avant ne l'était pas ou l'était difficilement – peut se révéler
essentielle dans le contexte d'une relation entre les hommes et les
autres catégories d'êtres (dieux, esprits, fantômes, animaux, ancêtres,
etc.) qui peuplent le monde. La « figuration » est ici entendue au sens
que lui donne P. Descola d'« opération universelle au moyen de laquelle
un objet matériel quelconque est investi de façon ostensible d'une «
agence » (au sens de l'anglais agency) socialement définie suite à une
action de façonnage, d'aménagement, d'ornementation ou de mise en
situation ». Simplement, au lieu d'analyser comme cet auteur en quoi la
modalité figurative adoptée par une société renseigne sur son
ontologie, on s'intéressera à ce qu'implique l'acte de figurer pour une
relation avec les invisibles. L'interdit sur la représentation divine
dans les trois monothéismes est l'exemple classique que cet acte n'est
jamais neutre. En Amazonie, il est fréquent que la guérison passe par
l'identification et l'ostentation de l'esprit responsable de la maladie
lors de fêtes des masques. La rencontre d'un esprit arutam, essentielle
à l'accomplissement d'une vie d'homme chez les Indiens Jivaro, se
signale ensuite par des peintures faciales.
Quelles sont donc les motivations qui président à la figuration des
êtres invisibles ? Une attention particulière sera prêtée aux contextes
de production et d'usage des objets. Qui produit et pour qui ? Quels
procédés sont-ils employés, et sont-ils fixes ? Quelle relation y
a-t-il entre l'être figuré et la technique et la forme de sa
représentation ? L'effet d'agence est-il toujours induit par un rapport
iconique entre l'objet et son prototype ? Quelle part est-elle laissée
à l'imagination, aux images mentales du producteur et du spectateur ?
Enfin la façon dont ces objets sont utilisés – notamment lors des
rituels – influe-t-elle sur leur appréhension sensible ?