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Figurations épiques et contre-épiques de la Grande Guerre

Figurations épiques et contre-épiques de la Grande Guerre

Publié le par Alexandre Gefen

            

                                    Figurations épiques et contre-épiques de la Grande Guerre

                                               

                                                            Colloque international

 

                                                              

                                                             (24-26 novembre 2016)

 

 

 

 

La Première Guerre mondiale a ouvert un champ d'expériences d'une violence inédite en Europe. L’écriture née de la confrontation à cet événement a tenté de le narrer et de l'interpréter. En-deçà de l’indicible, ou plutôt du non-narrable de cette guerre, les genres narratifs fictionnels et non-fictionnels sont les premiers vecteurs du récit de guerre. Ces textes interrogent, directement ou implicitement, la question de l’héroïsme, du patriotisme, de la légende, de la célébration, mais aussi de la destruction insensée, de la mort absurde, collective et individuelle. Ils questionnent, devant cette toile de fond, le recours aux formes traditionnelles de la littérature de guerre. L’épopée est ainsi convoquée, alors même qu’on la considère souvent, face aux bouleversements du XXe siècle, comme un genre défunt voire impossible,

            Comment l’écriture qui, depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, se confronte à la guerre de 14-18 et en traite la matière, s’approche-t-elle, s’empare-t-elle de ce genre et de cette tradition ? Quelle place fait-elle à l’épopée ou au registre épique qui en est le produit ? Cette question a toute sa pertinence critique au moment où des travaux sur ce qui fut l’un des trois genres « historiques » dans la tradition gréco-européenne connaissent un remarquable regain et en renouvellent l’approche. Parmi ceux-là, ceux de Florence Goyet récusent les postulats organicistes d’une histoire littéraire reposant sur des présupposés implicites pour le moins discutables[1]. À l'approche classique, normative de l'épopée et de l'épique, il conviendra d'opposer une approche qui rattache les textes à leur contexte historico-géographique. Il s'agira certes d'identifier des filiations ou des ruptures avec des modèles antiques ou médiévaux mais surtout de saisir la complexité du « travail épique »[2] et de son aptitude à reformuler et à repenser les crises traversées par une société à une époque donnée. Ce « travail épique » n'exclut pas des considérations d'ordre générique. La forme épique se caractérise par un contenu sémantique spécifique : la guerre conçue comme foyer d'une tension historique et politique constitutive de la communauté. Elle mobilise encore la syntaxe du récit et de ses composantes. Elle est indissociable d'une pragmatique : l'épique a trait à l'oralité, fait entendre, selon un agencement polyphonique, les diverses voix de la communauté, quand bien même sa matière ne serait plus transmise à l'oral. Enfin, le mot même (épique, épopée) est convoqué désormais quand il s’agit d’image, de photographie, de film.

           

            L’évocation de la guerre offre un champ d’étude aussi vaste que complexe : dans le domaine du genre, peut-on parler d’épopée, de contre-épopée ? Dans celui du registre, selon quelles modalités, épique, contre-épique se déclinent-ils ? Dans quel cadre générique le registre se glisse-t-il à un moment où l’hybridation des genres est omniprésente ? Selon quelles modalités les composantes idéologiques, stylistiques du genre se trouvent-elles réinvesties ou détournées ou démystifiées ? Quelle reformulation des valeurs éthiques, politiques et culturelles les œuvres qui travaillent la composante épique délivrent-elles au lecteur contemporain ou non des événements narrés ?

           

            Étudier l'épique et le contre-épique de la Grande Guerre, c'est tenter de voir comment les   témoins, les créateurs, des romanciers, poètes, auteurs de littérature de jeunesse, aux auteurs de bande dessinée, d’images statiques ou de films, usent de la forme épique en fonction d'un contexte historique et culturel. C'est aussi examiner, dans les littératures francophones et germanophones, les tentatives de récupération de certaines œuvres au profit d'une mythologie nationale sélective dans sa volonté de reconstruire et d''imposer a posteriori un récit exemplaire. Attachés au sens et à la portée de l’épopée, certains auteurs affichent leur choix pour un genre dont ils déclinent les constantes mais qu’ils traitent également avec distance. Tributaires d'une lecture hégélienne de l'épopée, des lettrés humanistes de retour du front tentent de donner des lettres de noblesse au genre romanesque tout en exaltant la communauté des soldats anonymes contre les décrets des chefs. D'autres, au contraire, entendent miner, railler et mettre à bas une certaine grandeur associée à un canon épique. Tenaillés par le soupçon, des écrivains usent de la forme épique pour mettre en scène la débâcle du roman national. D’autres opposent au récit la forme dramatique ou la forme lyrique, plus immédiates, moins portées en apparence par une distance critique, par une réflexion postérieure à l’événement. Qu'en est-il enfin du rapport complexe que des écrivains contemporains, entretiennent avec cette forme épique ? Entre la mise au jour d'un héritage familial et l'immersion par la fiction dans les tranchées de la Grande Guerre, les fictions épiques cherchent aujourd'hui à repenser le retentissement de cet événement traumatique inaugural pour le XXe siècle. Il convient d'étudier les ambivalences des reprises de l'épique tout au long du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle.

 

 

            Axes et problématiques

 

Idéologie

 

  • Dans quelle mesure les valeurs héroïques du grand récit national se trouvent-elles reformulées, déplacées et altérées dans les textes et représentations épiques de la Grande Guerre ? Le discours patriotique est-il réactivé ou au contraire vivement contesté par des œuvres exaltant l'humanité des Poilus ? Qu’en est-il des Frontkämpfer allemands et autrichiens, largement discrédités au plus tard après la période nazie, du moins dans les discours pacifistes, démocrates et anti-nazis ? Comment considérer les contre-discours mettant en avant les mutilés de cette guerre dans l’espace germanophone ?
  • Quel système de valeurs les contre-épopées de la Grande Guerre entendent-elles dénoncer, saper ou détourner ? Le renversement du modèle épique procède-t-il exclusivement à un démantèlement de toute forme de mythologie nationale ? La déconstruction des formes traditionnelles des représentations de la guerre ne participe-t-elle pas d'un désir de reconstruire ou d'imposer d'autres valeurs ?
  • La réception des œuvres épiques a pu participer d'une stratégie d'édification morale, politique : dans quel(s) contexte(s) a-t-on pu faire usage / mésusage de telle ou telle œuvre ? Entre volonté de transmission et récupération idéologique, les textes narrant la Grande Guerre sont sujets à des relectures politiques et moralisatrices : à quelles causes a-t-on pu rattacher les textes épiques ? ; quels torts a-t-on pu imputer à des textes contre-épiques ?
  • Sous quel angle doit-on considérer, d’un point de vue idéologique, la veine satirique de l’écriture ? Dans quelle mesure peut-elle être associée à des modes de communication spécifiques dans un champ culturel donné, souvent liés à des expériences historiques vécues comme particulièrement dévastatrices ?

 

Forme

 

  • Sur quel intertexte épique s'appuient les auteurs retraçant la Grande Guerre ? Comment les procédés poétiques de reprise, de parallélismes, de juxtaposition ou de variation modifient-ils la syntaxe linéaire de l'écriture de l'histoire ? Dans quelle mesure l'encodage épique implique-t-il, pour certains auteurs, une réévaluation du genre romanesque ? Qu’impliquent le détournement et le refus d’un mode d’écriture dit épique ?
  • Les formes brèves, séquencées, discursives de la correspondance, du journal se prêtent-elles ou non à un réinvestissement de la structure et des modes d'énonciation épiques ?
  • À partir de quels types de phrase les textes épiques participant de la légende nationale s'élaborent-ils ? Comment le choix de la polyphonie, du contre-point, de la satire, permet-il aux auteurs de contre-épopées de briser ces moules phrastiques ?

 

Didactique

 

  • La Première Guerre mondiale fait l'objet d'une attention soutenue dans les programmes scolaires tant en histoire qu'en français : comment intègre-t-on les représentations épiques et contre-épiques de la Grande Guerre dans le cadre de cet enseignement ? Entre le culte des héros anonymes et la dénonciation de la guerre, quel est le discours proposé par les manuels ? Qu’en est-il de cette attention en Allemagne, en Autriche, en Suisse ?
  • La littérature destinée à la jeunesse s'est emparée très tôt du récit de la Première Guerre mondiale : quelles clés de compréhension propose-t-elle à son public en regard des sources historiques plus souvent sollicitées par les enseignants ? Quelle part l'épique, ou le contre-épique, occupe-t-il dans cette littérature tout au long du XXe siècle et jusqu'à aujourd'hui ?

 

Transpositions génériques

 

Dans un cadre plus large de la littérature européenne, se pose la question des transpositions génériques de ces textes épiques ou contre-épiques, notamment au théâtre et dans la bande dessinée. Il serait intéressant de s'interroger sur la manière dont les auteurs de BD (Tardi, Cothias/Ordas, Mounier, etc.) mobilisent les ressources sémiotiques propres au genre pour revisiter « l'épopée pétrifiée » de la guerre 14-18. Par la superposition de ses registres et la non-linéarité de ses lectures, la BD constitue-t-elle un support privilégié de la reprise de la forme épique ? Qu’en est-il du film et des adaptations filmiques ? Ces diverses interrogations invitent à réfléchir, dans les marges de ce colloque, à la place que peuvent prendre l’écriture théâtrale et filmique, l’image, la photographie, documentaire ou non, face à un événement difficile à représenter, voire irreprésentable à beaucoup d’égards.

 

                                    Aurélie Adler, Herta Luise Ott, Marie-Françoise Lemonnier-Delpy

           

 

Les propositions sont à envoyer avant le 1er janvier 2016 aux membres du CERCLL (voir contacts ci-dessous). Elles seront examinées par le conseil scientifique du colloque.

 

Contacts CERCLL (Centre d’Études des Relations et Contacts Linguistiques et Littéraires)

 

           

Aurélie Adler  (Centre d’Etudes du Roman et du Romanesque, CERR)

aurelie.adler@u-picardie.fr

 

Marie-Françoise Lemonnier-Delpy (Centre d’Etudes du Roman et du Romanesque, CERR) marie.francoise.lemonnier@u-picardie.fr

 

Herta Luise Ott (Centre Circulation Savoirs et Textes Allemagne/Autriche-Europe, CAE)

herta.luise.ott@u-picardie.fr

 

 

 

 

 

[1]
     Florence Goyet : « L’Épopée », http:/www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/goyet.html, mais aussi son ouvrage : Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière, Champion, 2006

 

[2]
     F. Goyet : art. cit.