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Féeries – Études sur le conte merveilleux (XVIIe – XIXe siècle), n° 15 (2018) : L’univers sensible des contes

Féeries – Études sur le conte merveilleux (XVIIe – XIXe siècle), n° 15 (2018) : L’univers sensible des contes

Publié le par Vincent Ferré (Source : Ch. Bahier-Porte et E. Sempère)

Le numéro 15 de la revue Féeries propose d’explorer l’univers sensible des contes merveilleux du XVIIe au XIXe siècle.

Que le conte merveilleux, genre moderne né au tournant du XVIIe siècle, participe à l’émergence de nouveaux savoirs, à la circulation des idées philosophiques comme à la transmission des découvertes scientifiques n’est plus à démontrer. Le conte, précisément parce qu’il est le lieu de la fiction par excellence, du fabuleux, est à la fois un observatoire et un lieu d’expérimentation des théories et idées nouvelles[1]. L’univers sensible du conte se nourrit des nouveaux discours et savoirs, sensualistes, matérialistes, naturalistes, médicaux qui, littéralement, prennent corps dans la fiction fabuleuse ou sont mis en question sans limite aucune (que l’on pense, par exemple, à la théorie de la génération). En outre, l’acuité de la Querelle des Anciens et des Modernes suggère la dimension idéologique du débat qui entoure l’invention d’un merveilleux « non allégorique » : serait-ce parce qu’il souligne ce que la pensée doit aux sens, voire parce qu’il pourrait laisser entendre que la pensée est un ornement secondaire à la sensation, que le sensualisme des contes suscite tant de réactions ? En effet, si le conte littéraire s’est d’emblée écrit sur un mode très souvent distancié et, comme l’a étudié Jean-Paul Sermain, métafictionnel, il a très largement pris en charge le discours critique dirigé contre le merveilleux, au sein même du genre dont il prenait le nom ; or la critique des superstitions, dès le XVIe siècle et probablement déjà au Moyen Âge, s’appuie sur la vérification sensible des expériences, recherchant dans la fiabilité des sens un recours contre les séductions du symbole, de la croyance et du fantasme. L’attirance des conteurs des XVIIe et XVIIIe siècles pour les motifs situés en lisière du merveilleux, grâce auxquels ils pouvaient interroger les limites de la nature (différence entre l’animal et le végétal, entre le minéral et les règnes du vivant, entre le monstrueux et le naturel), souligne l’enjeu de l’épreuve des sens dans le conte.

De fait, le conte littéraire hérite d’un matériau archaïque profondément « naturaliste » dont la richesse en termes d’imagination matérielle mériterait l’attention qui lui a été portée pour d’autres genres, comme la poésie. Pour les anthropologues et les folkloristes, il est bien connu que la performance même du conteur prolonge l’action sur les sens qu’induisent à la fois l’inspiration du conte et l’oralité (réelle puis imitée) de son énonciation et de son écriture. Dans cette voie, nous pourrions nous demander si la portée symbolique des événements sensibles rapportés par le conte réduit leur sensorialité à n’en être que le support et le véhicule, ou si l’on peut y chercher des traces d’une relation spécifique aux sens et à la nature. Il s’agit en effet non seulement de provoquer des émotions et de solliciter la sensibilité, mais aussi de dramatiser notre rapport au monde.

C’est ainsi au croisement, parfois, des traditions savantes et orales que la sensorialité du conte pourrait s’affirmer comme une constante générique.

 

            On pourra ainsi envisager trois axes possibles :

  • Le monde sensible du conte (ou l’expression de la sensibilité)

Si la dimension « spectaculaire » de certains contes, notamment au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles a été bien analysée, il reste à examiner comment le conte merveilleux construit un univers sensible singulier. Le monde du conte, qui mêle volontiers les différents règnes (végétal, minéral, animal) est-il un monde synesthésique ? Comment s’expriment les différents sens ? A. Gaillard écrit que le « conte est un genre sensible qui part et parle du corps »[2]. On pense immédiatement au conte libertin et à sa manière de proposer une écriture sensible du corps et des corps. Les sens moins étudiés que sont l’odorat (pensons au rôle des parfums), le goût et l’ouïe mériteront un examen plus particulier. Que dire de l’attention portée par les contes orientaux au raffinement des mets ou aux « spécialités » alimentaires ? L’être merveilleux se définit-il par une sensibilité particulière ? « Je sens la chair fraîche » s’exclame l’ogre du « Petit Poucet », tandis que la Princesse Schéhéristani dans Les Mille et un Jours se nourrit de « l’odeur des parfums et celle des viandes ». « L’enchantement » d’un spectacle ou de la musique relève-t-il d’une métaphore ou d’une véritable expérience sensible ? La musique peut-elle créer des mondes nouveaux, ou rendre présents des mondes inavoués comme le dit avec humour Diderot dans Les Bijoux indiscrets ? C’est aussi dans ce cadre que pourra s’étudier l’imprégnation réciproque du folklore et de la littérature : y a-t-il un divorce entre l'univers sensible des contes du folklore et l'univers intellectualisé du conte littéraire ? L’acculturation de cette dimension par le second induit-elle nécessairement un appauvrissement, au profit de l’allégorie et du raisonnement, ou permet-elle d’autres formulations du lien entre l’homme et l’univers qui l’entoure ?

 

  • « Ah vous êtes palpable ! [3] »  : le merveilleux comme expérience

            Mais le conte permet aussi d’engager une réflexion plus spécifique, comme l’a montré E. Sempère, sur la manifestation et la réception du phénomène merveilleux[4]. Peut-on parler d’une « phénoménologie » de la merveille ? Il s’agira ici de s’intéresser plus précisément à l’apparition ou la manifestation du phénomène merveilleux en tant qu’elles engagent les différents sens. On pourra ainsi dans cette perspective reconsidérer l’héritage de l’opéra qui propose, à sa manière, des apparitions sensibles de la merveille (nuages, tonnerre, éclairs). Par la puissance du « spectaculaire » le merveilleux (du conte, mais aussi de la nouvelle selon les usages génériques du XIXe siècle) mobilise tous les sens et prolonge l’expérience sensible représentée en expérience vécue pour les spectateurs et auditeurs. On se demandera comment est éprouvée, ressentie, l’expérience du merveilleux : expression d’une sensation ou d’une émotion (étonnement, effroi, tremblements, froid, chaleur...) ? perte de connaissance ? expérience sensuelle voire érotique ?

 

  • Le conte merveilleux, lieu d’expérience scientifique ?

Le croisement entre le conte de fées et les « fictions à vocation scientifique » (G. Armand) invite à étudier plus spécifiquement les types d’expériences, scientifiques ou médicales, que le conte permet de représenter ou de suggérer : quels sont les objets de l’expérimentation, quels en sont les enjeux, mais aussi quels en sont les effets sur les acteurs et les spectateurs ? La métamorphose, les corps monstrueux ou enchantés auront toute leur place dans cette perspective. Si la « vérité d’après nature » qui prévaut encore dans les sciences d’observation impose l’existence de l’observateur comme regard, corps et sujet, l’étude littéraire du fonctionnement même du conte ne peut manquer d’éclairer les enjeux épistémiques de ces expériences. Que dire par exemple de la vie et des effets des plantes dans le Tecserion de Lubert ? Ce « merveilleux vrai » que révèle Réaumur en observant, admirant et décrivant les insectes sur lesquels il travaille et écrit inlassablement, rencontre de nombreux échos tout au long des XVIIIe et XIXe siècles et jusqu’au XXe siècle même.

 

Nous souhaitons vivement encourager la diversité et le croisement des approches disciplinaires (littérature, linguistique, philosophie, anthropologie, histoire des sciences et de la médecine, arts…) qui ne pourront qu’enrichir la réflexion.

 

Les propositions sont à envoyer conjointement à Christelle Bahier-Porte (christelle.porte@univ-st-etienne.fr) et à Emmanuelle Sempère (sempere@unistra.fr) avant le 1er juin 2017. Les articles devront être remis au plus tard le 15 décembre 2017.

 

[1] Voir le numéro 6 de la revue Féeries, Le conte, les savoirs (2009). Dans ce numéro, Y. Citton invite à considérer l’« espace cognitif ouvert par la littérature merveilleuse », p. 22.

[2] A. Gaillard, « Le corps enchanté chez Mme de Villeneuve et Mlle de Lubert : exploration des corps amoureux et invention poétique dans quelques contes de 1740 », Le conte merveilleux au XVIIIe siècle. Une poétique expérimentale, dir. J.-F. Perrin et R. Jomand-Baudry, Kimé, 2002, p. 298. Voir également, du même auteur, « Approches croisées des disciplines (art, science, littérature, philosophie) : la question du toucher des Lumières », Dix-huitième siècle, n° 46, 2014, p. 309-322.

[3] C. Crébillon, Le Sylphe, éd. C. Ramirez, dans Œuvres complètes, dir. Jean Sgard, Garnier, Paris, 1999, p. 37.

[4] E. Sempère, « Le merveilleux à l’épreuve des sens : une phénoménologie sous contraintes (fin XVIIe siècle-XVIIIe siècle) » (Féeries, « varia », n°14, 2017, à paraître).