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Faut-il croire en l'illusio ? (revue COnTEXTES)

Faut-il croire en l'illusio ? (revue COnTEXTES)

Publié le par Marielle Macé (Source : Denis Saint-Amand)

Dans Les Règles de l'art, Pierre Bourdieu présente L'Éducation sentimentale de Flaubert comme un moyen pour leromancier d'interroger, entre autres, la capacité d'un agent à prendre part aujeu que constitue non seulement le monde social, mais chacun des champsautonomes qui le composent et, particulièrement, le champ littéraire. Cetteentrée dans le jeu, précise le sociologue en filant la métaphore, s'accompagned'une acceptation de ses règles et de la course aux gains qu'il engage. Cette« illusion unanimement approuvée et partagée » (Les Règles de l'art, p. 36) qui pousse l'écrivain à investirdans le jeu et qui est « à la fois cause et effet de l'existence » dece dernier (ibid., p. 279),Bourdieu la désigne par le terme d'illusio,qu'il avait déjà employé auparavant — notamment dans ses travaux sur le champuniversitaire —, et théorise de cette façon un phénomène complexe et fluctuant,directement tributaire des inflexions du champ qui en détermine les modalitésautant que lui-même influe sur les valeurs qui y circulent. Proche de la notionde doxa mais plus spécifique quecette dernière parce que liée aux croyances inhérentes à un champ bien précis,l'illusio tient « de la routine,des choses que l'on fait, et que l'on fait parce qu'elles se font et que l'on atoujours fait ainsi » (Méditationspascaliennes, p. 123) et s'oppose donc à la lucidité, capacité àprendre conscience du jeu et à en déjouer les règles ou à en tirer le maximumde profit. C'est à cette question de l'illusioque nous désirons consacrer un espace de réflexion prospectif et articuléautour de deux grandes pistes problématiques.

 

1) Autres formes de croyance et de distanciation :

Le couple antagoniste illusio/lucidité, dans le manichéisme qu'ilimplique, peut sembler réducteur. On se demandera s'il existe d'autresmodalités de croyance, de participation au jeu, qui n'impliquent pas une foiaveugle et totale dans ce dernier. La distanciation par rapport à l'illusio passe-t-elle seulement par unecertaine lucidité, qualité que prête Bourdieu à Flaubert et qui constitue selonlui l'une des caractéristiques principales d'un grand écrivain, ou peut-elle semanifester sous d'autres formes (plus burlesques, par exemple) y compris chez desauteurs considérés comme légitimes ? Et que faire alors de certainesreprésentations endogènes du monde littéraire, satiriques ou non, qui laissententendre que l'illusio n'est peut-êtrepas la seule forme de croyance fondatrice au sein du champ ? Des textestels L'Introduction à l'étude de lastratégie littéraire de Fernand Divoire, L'Enfance d'un chef de Jean-Paul Sartre, Odile de Raymond Queneau, LesFaux-monnayeurs et Paludes d'AndréGide ou Les Fruits d'or de NathalieSarraute présentent assurément des modes de croyance plus complexes que laseule alternative entre illusio etlucidité.

 

2) Confrontations théoriques :

La théorie bourdieusienne de l'illusio conserve encore d'autres zonesd'ombre. Ainsi, elle fait plus ou moins office de boîte noire, englobant uneréalité difficile à décrire sans pour autant l'objectiver et participantpresque de la métaphore « magique » fréquemment utilisée par Bourdieu.Par ailleurs, comme l'illusio estthéorisée à partir de l'état du champ littéraire français entre 1850 et 1950,on peut se demander si elle est une conséquence de l'autonomie du champ ou sielle se manifeste déjà auparavant et, dans ce cas, sous quelles formes. Enfin,on pourra proposer un retour sur des théories voisines de celle de PierreBourdieu qui ont cherché à éclairer ou évincer la notion d'illusio (à l'image de la métaphore du « jeu »de Bernard Lahire, dans La Condition littéraire).

 

Les contributions pourrontembrasser des perspectives théoriques comme privilégier des études de cas et cequel que soit l'axe dans lequel elles s'inscrivent.

Les propositions d'articlesdoivent parvenir à Denis Saint-Amand (Denis.Saint-Amand@ulg.ac.be) et DavidVrydaghs (david.vrydaghs@fundp.ac.be)pour le 15 février 2010, sous la forme d'un résumé de 250 mots environ auformat word. L'avis des directeurs du dossier sera connu le 1er mars2010. Les articles devront être envoyés pour le 30 juin 2010. La publication dudossier est prévue à l'automne 2010 dans COnTEXTES,revue de sociologie de la littérature.