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Fatiguer l'herméneutique

Fatiguer l'herméneutique

Publié le par Marc Escola (Source : J. Kaempfer)

Fatiguer l’herméneutique

Matinée d’étude

24 mai 2012

8 heures 30 – 11 heures

 

Unil, Lausanne Dorigny

Anthropole, salle 3021


Cette matinée conclut un séminaire de maîtrise/master animé par J. Kaempfer, et consacré à réfléchir à la longue pratique de l’interprétation des textes : inaugurée à la fin du 17ème siècle par la philologie biblique, celle-ci a connu son apogée dans les années 60 du 20ème siècle, avec l’Ecole de Genève.

Aujourd’hui, cinquante ans après, qu’en est-il de l’herméneutique ? Le désir d’interpréter est chevillé à la pensée, il est infatigable ; mais ce désir coexiste aujourd’hui avec la volonté corollaire de fatiguer l’herméneutique. Comment ? 

La matinée d’étude du 24 mai réunit trois chercheurs que ce défi intéresse : Jérôme David (Genève), Marc Escola (Paris8 Saint-Denis & Unil) et Franc Schuerewegen (Anvers et Nimègue). Chacun y présentera une conférence (descriptifs ci-dessous), suivie d’une discussion.

Toute personne intéressée est cordialement invitée.

 

Marc Escola Entre rhétorique et herméneutique: la théorie des textes possibles  Dans un ouvrage déjà ancien (L'Arbre et la source, Seuil, 1985), M. Charles a pu montrer que les textes littéraires ont historiquement et tour à tour fait l'objet de deux approches exclusives l'une de l'autre : la tradition rhétorique d'un côté, dont la critique de l'âge classique donne encore l'exemple et dont la poétique ou théorie littéraire constitue un moderne avatar ; de l'autre, la culture du commentaire dont les critiques littéraires d'inspiration psychanalytique ou marxiste constituent des représentants exemplaires. Est-il toutefois si simple de distinguer entre la description d'un texte (qui est la seule ambition affichée par la poétique) et son interprétation (qui reste la finalité du geste critique lui-même) ? Dans le prolongement d'un autre essai du même théoricien (Introduction à l'étude des textes, Seuil, 1995), et en se donnant deux terrains de jeu (un passage d'un conte de Perrault et un extrait des Faux Monnayeurs), on essaiera d'interroger cette alternative, en faisant l'hypothèse qu'une description des « possibles » du texte peut circonscrire les interprétations qu'il est loisible d'en donner en même temps que les conditions de sa réécriture (le commentaire se confondant alors avec une réinvention du texte considéré).

 

Franc Schuerewegen

D’un chat jaune et de la pure herméneutique

 

On n’a peut-être pas oublié le chat jaune de l’abbé Séguin, celui que Chateaubriand mentionne dans l'Avertissement à la première édition de la Vie de Rancé. Pour Roland Barthes, qui a aussi rendu notre chat célèbre, celui-ci aurait pour particularité d’être un élément non-fonctionnel du texte de Chateaubriand ; on peut dire aussi, avec un terme que Barthes créera un peu plus tard, un « effet de réel ». Mais Barthes veut aussi que le même animal, parce qu’il ne signifie rien, en réalité, signifie tout. « Il est peut-être toute la littérature… » Il y a là pour nous un important problème de méthode. Pourquoi est-il si difficile de ne pas faire signifier les éléments d'un texte ? Pourquoi ne peut-on affirmer sans contradiction que « la lecture, la critique ne sont pas de pures herméneutiques » ?

 

 


Jérôme David

Un arrière-plan de moins : engagement ontologique et premier degré de la littérature

 

La critique de l’herméneutique a été menée, dans les années 1960-1970, au nom d’un refus militant de toute transcendance supposée du sens. «Mais quelle eau lavera ces concepts de leur arrière-plan, de leurs arrière-mondes – la religiosité ?», s’exclamaient par exemple Gilles Deleuze et Félix Guattari dans L’Anti-Oedipe, à propos de la psychanalyse.

Un constellation stabilisée de notions alternatives s’est alors imposée — dont les plus centrales furent celles de «désir», d’«usage», de «pratique» ou de «texte» (tiens !...). La «croyance», toujours suspecte de confondre l’idéologie avec la réalité effective, fut ravalée au rang d’«illusion» : «biographique», «scolastique» ou «référentielle» (tiens !...).

Les justifications qui rendaient cette critique légitime, et notamment l’horizon révolutionnaire du militantisme caractéristique de ces années-là, ne présentent plus la même évidence qu’il y a quarante ans. De quel droit pourrait-on en effet décréter aujourd’hui que des individus ou des lecteurs se trompent sur eux-mêmes ? Que la vérité de leur expérience propre, esthétique ou non, leur échappe ?

Il s’avère peut-être maintenant que, derrière cette critique de l’herméneutique, subsistait encore un arrière-plan tacite auquel nous ne pouvons plus nous adosser. Et que cette sorte de pivotage intellectuel de notre époque ouvre un nouveau dialogue entre la critique («nouvelle», notamment) et l’herméneutique : tout aussi impitoyable, mais probablement moins orienté.