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Fabula-LhT : Littérature(s) pour des temps extrêmes. Enjeux actuels de l'écopoétique

Fabula-LhT : Littérature(s) pour des temps extrêmes. Enjeux actuels de l'écopoétique

Publié le par Romain Bionda

Littérature(s) pour des temps extrêmes : enjeux actuels de l'écopoétique
Direction : Jean-Christophe Cavallin et Alain Romestaing 


Nous n’entrons pas seulement dans une « époque de terreur » (Simon C. Estok) : nous entrons dans une époque de terreur et de pitié. Nous sommes malades d’écophobie et malades d’écopathie : le climat nous épouvante, le sort du vivant nous afflige. Ce nouveau sentiment tragique trahit le retour d’un contexte excédant notre maîtrise. Nos modes de pensée s’en ressentent : sciences humaines et humanités entreprennent d’acclimater à leur épistémologie un paradigme écologique.

Contre le dé-paysement de la pure textualité, une première écopoétique opérait un « tournant géographique » et réimplantait la littérature dans une esthétique du terrestre. Resituée dans l’univers de la perception, la littérature redevenait « ce qui a lieu » (Pierre Schoentjes). Fille des « années d’hiver » de l’écologie (Félix Guattari), cette première écopoétique ne faisait pas de politique. Le tragique environnemental invite aujourd’hui une seconde génération à conjoindre le souci de ce qui a lieu – dans un sens géographique – à l’urgence de ce qui a lieu – au sens historique de la tragédie infligée à la vie terrestre par les modes de production de notre modernité. Pour ce faire, elle doit parvenir à réduire théoriquement le divorce stérilisant qui oppose un « axe politique » à un « axe poétologique » (Nathalie Blanc, Denis Chartier et Thomas Pughe), et plus généralement s’intéresser à la convergence des langages (scientifiques, politiques, littéraires et artistiques) travaillant à la réanimation d’une nature outrageusement désanimée par la modernité (Bruno Latour).

Penser ensemble l’« axe politique » et l’ « axe poétologique » – régime de la prescription et régime de la description – pourrait devenir l’une des tâches cruciales des études écopoétiques. Un activisme sans exigence critique semble aussi malencontreux que le purisme qui refuse de situer la littérature. L’un oublie que la littérature est un système (texte), l’autre oublie que tout système opère dans un environnement (contexte). Soucieuse de composer entre clôture tautologique et ouverture écologique (Gregory Bateson), l’écopoétique doit se repenser, non plus comme étude des rapports entre littérature et environnement, mais dans le cadre plus général d’une écologie littéraire qui prendrait pour objet les interactions entre théorie littéraire, production des textes et souci du terrestre. On peut définir quatre sphères constituantes de cette écologie littéraire :

• La sphère interdisciplinaire. Relationnelle par définition, l’écopoétique a pour vocation d’inscrire les études littéraires dans l’écosystème des « humanités environnementales ». Sa logique écosystémique la destine à jouer un rôle de « transformateur » théorique et à transversaliser l’ensemble des disciplines littéraires afin de les faire dialoguer avec l’ensemble des sciences humaines, voire avec les sciences dures. Un de ses chantiers les plus importants consiste en l’exploration des liens « archéologiques » très forts qu’elle entretient avec le groupe des disciplines travaillant au décentrement de l’universalisme occidental (études décoloniales, écoféminisme, animal studies, gender studies, anthropologie environnementale et/ou anarchiste). Cette sphère privilégie la notion de transversalisme.

La sphère cosmopolitique. L’étude écopoétique des textes se donne aujourd’hui pour ambition d’esquisser une « cosmopolitique » (Isabelle Stengers, Philippe Descola) élargie à l’ensemble du vivant et permettant le dépassement des formes de représentativité anthropocentrique et ethnocentrique de l’idéal démocratique occidental. Cette sphère ouvre le grand chantier d’une mimèsis perspectiviste et hétérarchique. Elle peut travailler à la réévaluation de genres « mineurs » (contes, fables, littératures pour enfants, récits de science-fiction). Elle peut aussi renouveler la réflexion sur les formes littéraires : critique du récit linéaire subordonnant tout à une intrigue principale et exploration de nouvelles formes d’organisation (rhizome, assemblage, réseau, etc.) ; critique du récit tensif (structure paroxystique) et exploration de textes privilégiant l’attention plutôt que la tension, la symbiose et l’association plutôt que l’affrontement et le « conflit productif ». Cette sphère privilégie la notion de diversité.

La sphère éthique. L’écopoétique a la responsabilité d’explorer les formes d’un nouveau « régime éthique » du littéraire. L’étude de ce champ peut servir à contrebalancer la politique juridique de la défense du vivant en privilégiant les récits de rencontre, de reconnaissance, d’espaces ou de vies partagés, etc. Notre humanité dépend aujourd’hui de notre capacité, non seulement à sympathiser avec le monde vivant (Cora Diamond), mais encore à reconnaître l’unité indissoluble qui nous confond aux matières que nous produisons et qui nous produisent (technologies, prothèses, « quasi-objets »). Des animaux aux cyborgs, des « storied matters » (Serenella Iovino) aux couplages homme-machine, la nouvelle éthique littéraire privilégie l’exploration de dispositifs hybrides entre les personnes, les êtres vivants et les matérialités. Cette sphère privilégie les notions de symétrie et de connectivité.

La sphère télestique ou cultuelle. Le retour du tragique suppose une réactivation du lien entre poiesis et catharsis (le cultuel et le culturel). C’était la fonction des anciens cultes dont ont émergé les premiers récits (muthoi) : produire assez de récits pour qu’un ordre qu’on ne peut changer devienne un ordre signifiant. L’écopoétique a peut-être pour vocation d’explorer cette fonction cultuelle des récits littéraires : à la fois travail de deuil de formes de vie en voie d’extinction (U. K. Heis) et travail de domestication symbolique des formes de vie panique du nouveau désordre du monde. Cette sphère privilégie les notions de communauté et de participation.


Modalités de participation
Les propositions, d'environ deux pages rédigées, enrichies d'une bibliographie indicative et d'une ébauche de plan, devront être adressées avant le 1er juillet 2020 aux adresses suivantes : romain.bionda@fabula.org et jeannelle@fabula.org. Merci de respecter notre Note aux rédacteurs.
Elles seront évaluées ensuite de manière anonyme (peer review), conformément aux usages de la revue. Les auteurs et autrices seront informées des résultats courant juin 2020. 
Une première version des articles devra être rendue le 15 janvier 2021

 

 

La version de cet appel en anglais peut être consultée iciFor an English version of this call for papers, click here