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Nouvelle parution
F. Pessoa, Quaresma, déchiffreur (inédit)

F. Pessoa, Quaresma, déchiffreur (inédit)

Publié le par Marc Escola


Quaresma, déchiffreur
Fernando Pessoa

Ana Maria Freitas (Préfacier) , Michelle Giudicelli (Traducteur)

Paru le : 06/05/2010
Editeur : Christian Bourgois
ISBN : 978-2-267-02094-6
EAN : 9782267020946
Nb. de pages : 540 pages

Prix éditeur : 23,00€


Fernando Pessoa est connu pour ses écrits poétiques, autobiographiques et ses nombreux hétéronymes.

Avec Quaresma déchiffreur, on découvre qu'il était aussi l'auteur d'intrigues policières composées tout au long de sa vie mais demeurées inédites jusqu'à ce jour. Dans les dix nouvelles de ce recueil, Abflio Fernandes Quaresma erre dans Lisbonne au gré de rêveries toujours rationnelles. Célibataire d'âge mûr, médecin n'exerçant pas, il vit dans une petite chambre avec vue sur les toits où il passe la plupart de son temps, à lire, à fumer et à boire.

Ayant développé un sens aigu de la déduction, il est passé maître dans l'art de déchiffrer les charades de l'Almanach de souvenirs et, plus encore, les mystères et assassinats de la vie réelle, qu'il préfère.

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Dans le Monde des livres du 18/6/10, on pouvait lire cet article:

Oeuvres posthumes "Quaresma, déchiffreur", de Fernando Pessoa : Fernando Pessoa donne des nouvelles LE MONDE DES LIVRES | 17.06.10 | 12h02

Les écrivains ont le privilège de pouvoir encore donner de leurs nouvelles plusieurs décennies après leur mort. Pour le meilleur ou pour le pire. Les inédits sont parfois des fonds de tiroirs, exhumés pour des raisons douteuses, et qui n'ont souvent rien à voir avec la littérature : rebuts, brouillons, notes vagues... Fétichisme littéraire ! Fort heureusement, il y a des exceptions.

35326566343963613461326136336430?&_RM_EMPTY_ Quand il s'agit de Fernando Pessoa (1888-1935) et qu'un livre inédit voit le jour, la curiosité est en alerte. Car c'est déjà un écrivain aux mille visages. Pour "tout sentir de toutes les manières", il inventa de multiples poètes, ses "hétéronymes", dont les voix décrivent le monde sur un mode tantôt élégiaque, mental, érotique, ou désespéré... Et voilà qu'à cette population déjà immense (on recense environ soixante-dix "hétéronymes") s'ajoute un nouveau personnage : Quaresma, dit "le déchiffreur". C'est un détective solitaire, vivant à Lisbonne, fiancé à l'abstraction et à l'alcool ; Quaresma, comme Pessoa, se sent plus à l'aise dans le langage que dans le monde réel.

Et quelle étrange méthode que la sienne, pour un détective ! Il préfère s'en remettre à la logique de son esprit plutôt que de farfouiller sur les lieux du crime : "L'observation et le raisonnement appartiennent à des catégories mentales différentes. Celui qui raisonne est troublé par l'observation."

Dans les dix nouvelles qui composent ce livre, les démonstrations de Quaresma sont si ingénieuses qu'elles ont presque l'air exactes. Le lecteur découvre alors une autre facette de Pessoa (grand admirateur de Conan Doyle ou d'Arthur Morrison), aussi à l'aise dans le genre policier que dans ses compositions baroques ou futuristes. Mais après tout, qu'importe la forme : ce qui compte, pour l'écrivain, c'est de laisser toujours courir son esprit. Devant un meurtre ou un paysage, c'est la même attention qui doit se signaler.

Quaresma intervient quand une enquête semble insoluble. Son ami policier, Manuel Guedes, sollicite alors ce pur esprit incarné dans un individu bizarre. Docteur sans patient, décrit par Pessoa, dans sa préface, comme un être inapte à la vie matérielle, Quaresma est un rêveur logique. Il est dépourvu de sentiments, déteste l'intuition. Solitaire, mélancolique et déprimé, il habite une chambre qui donne sur les toits de Lisbonne, où il occupe son temps à déchiffrer les charades de l'Almanach de souvenirs et à fumer ses cigares Peralta.

Lorsqu'il entre en scène, il se concentre sur les données du problème. Un parchemin disparu dans une chambre fermée à clef, ou la mort d'un homme qui ressemble autant à un meurtre qu'à un accident ou à un suicide. Une fois ces faits entendus, le voilà qui se met à raisonner "comme il respire".

Aspirine et vérité

Tout est question de méthode, il suffit de trouver les plus justes formulations. "Quelles sont les données ponctuelles de l'affaire ? Les conflits entre les données ? Quelle est la formule qui résout ces conflits entre les données ?" Ce qui est passionnant, ce n'est pas tant la résolution des énigmes que le cheminement de Quaresma, subtil et complexe - délicieusement tortueux.

A la banque de Galice, une caisse d'or est dérobée dans une salle des coffres ultrasécurisée. L'inspecteur Guedes soupçonne le veilleur de nuit, qui a les clefs. Puis les directeurs de la banque. Enfin le trésorier. Piétinements. Il se retourne alors vers Quaresma, qui, fidèle à sa technique, n'a rien vu et s'en remet à la seule déduction : "(1) Quel est celui des loueurs de ces coffres qui a pour coutume de venir très tôt - dès que la salle des coffres est ouverte - et aussi très tard - près de l'heure à laquelle elle ferme. Je n'exclus pas que cet individu se montre aussi plusieurs fois dans la journée. (2) Si, dans ces conditions, il y a plus d'un individu - ce qui est peu probable -, lequel de ces individus porte des chaussures à semelles de caoutchouc. S'il y a un individu qui présente ces caractéristiques, vous pouvez, en toute confiance, le mettre en prison préventive."

Tour à tour pénibles, drolatiques et profondes, ces démonstrations confinent au délire interprétatif. Impossible de résumer ces histoires : le moindre raccourci fait offense à la parole du raisonneur - ultime héroïne de ce livre.

A travers Quaresma, Fernando Pessoa a inventé un personnage atypique, contemporain de l'Hercule Poirot d'Agatha Christie et du M. Teste de Paul Valéry (1926) - qui vouait un culte exclusif à l'intellect. Ouvrir son esprit aux énigmes du monde, la tâche de Quaresma n'est pas si étrangère à celle de ses cousins poètes. "J'ai un rhume métaphysique, j'ai besoin d'aspirine et de vérité", déclarait un certain Bernardo Soares, hétéronyme de Fernando Pessoa. Le détective a, quant à lui, délaissé la métaphysique parce qu'elle ne s'intéresse pas au fait. Quant à l'art, il estime qu'il n'a pas l'autorité d'un discours scientifique. Ce qui lui importe ? La passion des énigmes, qui le rendent "heureux comme avec une femme".

A la lecture de ces pages retrouvées, on voit s'agrandir une famille littéraire. L'oeuvre continue de surprendre, comme si elle n'avait aucune limite, sinon l'épuisement de la fameuse malle de l'écrivain (lire ci-contre) où gisent peut-être encore quelques textes fabuleux.

QUARESMA, DÉCHIFFREUR (QUARESMA, DECIFRADOR) de Fernando Pessoa. Traduit du portugais par Michelle Giudicelli, préface d'Ana Maria Freitas. Christian Bourgois, 540 p., 22 €.