Essai
Nouvelle parution
F. Maspero, Des Saisons au bord de la mer

F. Maspero, Des Saisons au bord de la mer

Publié le par Marc Escola

Des saisons au bord de la mer
François Maspero


Paru le : 12/03/2009
Editeur : Seuil
Collection : La Librairie du XXIe siècle
ISBN : 978-2-02-099263-3
EAN : 9782020992633
Nb. de pages : 171 pages

Prix éditeur : 15,00€


"Ils se racontent des histoires, ceux qui se bercent de l'illusion que les maisons ont une âme à elles.

Si les maisons en ont une, c'est seulement celle que forme l'ensemble des âmes de ceux qui les habitent. Jamais elles ne pourront parler à des intrus sans mémoire de la chaleur que leur communiquaient les vivants d'alors, de l'écho des voix au sein de leurs murs, des odeurs de cuisine et de fleurs, du vent de la mer qui faisait claquer les volets. L'âme des maisons, la vraie, ne survit que dans le souvenir de ceux qui y ont vécu.

"Un homme se souvient. Son enfance dans une maison proche d'un port du Nord d'où l'on voyait les falaises d'Angleterre, à l'époque de la bourgeoisie sûre d'elle-même et des espoirs du Front populaire. Et l'enfance de sa fille, dans une île de l'Atlantique battue par les vagues où se mêlaient histoire et légendes, et qu'elle aimait au point de rêver qu'elle y était née. Entre les deux, la guerre, les destructions, la mort d'êtres chers, toujours vivants dans la mémoire du père que la fille interroge obstinément.

Et dans le défilé des saisons, contre vents et marée, François Maspero dit la vie, le bonheur fragile, l'amour partagé de la mer et de la terre charnelles.

*  *  *

Dans Le Monde des Livres du 2/5/9, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:

Critique "Des saisons au bord de la mer", de François Maspero : révolutions silencieuses LE MONDE DES LIVRES | 30.04.09 | 10h36  •  Mis à jour le 30.04.09 | 10h37
Dans Les Abeilles & la Guêpe(Seuil, 2002), celui de ses livres qui se rapproche le plus de ce qu'ilest convenu d'appeler des Mémoires, François Maspero dialoguait presqueà chaque page avec la grande Histoire. Il y racontait la vieintellectuelle de la IIIe République à travers l'évocationde son grand-père, Gaston, l'égyptologue français le plus célèbre de sagénération. La seconde guerre mondiale, au cours de laquelle il vitpartir ses deux parents en camp de concentration - définitivement dansle cas de son père, Henri, titulaire de la chaire de sinologie auCollège de France, mort à Buchenwald début 1945. Puis la guerred'Algérie, la révolution cubaine, les mille combats de la gauchetiers-mondiste des années 1960-1970, et enfin les guerres balkaniquesde la fin du XXe siècle, autant de causes pour lesquelles il s'enflamma comme libraire, éditeur, traducteur, essayiste ou grand reporter.

35326534393030383437353938663730?&_RM_EMPTY_ Dans ce précédent livre, l'intellectuelautodidacte au tempérament batailleur occupait pratiquement toute lascène. On oubliait presque que l'"énergumène à lunettes", commel'avait qualifié un jour un commissaire de police, était aussi un hommequi aimait vivre à l'écart des tumultes du monde. Et ce n'était qu'audétour d'un paragraphe qu'osait se dévoiler le navigateur fasciné parles baleines, l'adepte des longues fugues à vélo ou à moto, ou encorele père de famille tranquille, pour qui "il ne pouvait exister de plus grand bonheur" que d'arpenter une île bretonne battue par les vents aux côtés de sa femme et de sa fille.

L'ORDINAIRE DE L'EXISTENCE

FrançoisMaspero a aujourd'hui 77 ans, et c'est à ces joies et ces douleurs quifont l'ordinaire de l'existence qu'il consacre son dernier livre.L'histoire est toujours là, certes, mais elle est reléguée cette fois àl'arrière-plan, comme un décor aux tons sépia. Il y est question del'époque où l'on traversait la France en trains-couchettes, où l'onenfilait un "costume de bain" pour aller à la plage et où toutle monde savait ce qu'était un marchand de couleurs... Bref, on estloin ici des remous de l'histoire. Et si Messali Hadj fait uneapparition dans le récit, ce n'est pas dans ses habits de héros de larévolution algérienne, mais dans ceux d'un "grand barbu" en djellaba, obligé de tuer le temps à Belle-Ile, où il avait été relégué au nom de la sûreté de l'Etat...

Dela Révolution qu'il a tant aimée, Maspero nous parle ici très peu. Cequ'il évoque, en revanche, ce sont les révolutions silencieuses de lavie. Celles dont on prend pleinement conscience une fois qu'elles sontadvenues et qu'il est trop tard pour revenir en arrière. Pour cela, ila choisi comme cadre deux maisons de vacances qu'il connut enfant etjeune adulte. De ces lieux dans lesquels on voudrait conjurer la fuitedu temps en y répétant les mêmes gestes année après année, mais où letemps qui passe nous saute aux yeux plus qu'ailleurs, dans la mesure oùchaque nouveau séjour rend tangible tout ce qui a changé depuis leprécédent : quand on n'y retrouve plus ceux qu'on y a aimés parcequ'ils sont morts ou nous ont quittés ; ou quand on réalise, aprèscoup, que l'été précédent aura été "le dernier où (l'on) a porté sa fille sur ses épaules lors des marches un peu longues"...

Ily a bien sûr dans ces pages un petit air de "c'était mieux avant" qui ala saveur - et parfois le côté irritant - des souvenirs pleins denostalgie que racontent les grands-parents à leurs petits-enfants. Avecceci de particulièrement touchant, toutefois, que le narrateur ne cèdejamais à la facilité de se donner le beau rôle. Il en va ainsi desblessures de l'enfance, sur lesquelles il ne s'étend pas outre mesure,mais suffisamment pour nous faire partager la douleur qu'il ressentaitquand ses cousins se liguaient contre lui en l'appelant Simplet, quandles grandes personnes changeaient de sujet de conversation lorsqu'ilentrait dans une pièce, ou quand les filles rejetaient "ses propositions bégayantes de jouer ensemble".

Ily a quelques années, Maspero confiait qu'il repensait souvent à unenouvelle de l'écrivain colombien Alvaro Mutis, qu'il avait traduite enfrançais, et dont un personnage voulait "peindre le vent", "cette chose qui n'a pas de nom et qui nous file entre les mains sans que nous sachions comment". On veut croire qu'il y songeait encore en essayant de "prendre au piège des mots" ces "innombrables parcelles du passé" qui constituent la "part inséparable" de chacun, mais qui ne prennent toute leur importance qu'à l'automne de la vie.

DES SAISONS AU BORD DE LA MER de François Maspero. Seuil, "La librairie du XXIe siècle", 174 p., 15 €.
Thomas WiederArticle paru dans l'édition du 02.05.09