Collectif
Nouvelle parution
F. Chevillot & A. Norris (éd.), Des Femmes écrivent la guerre.

F. Chevillot & A. Norris (éd.), Des Femmes écrivent la guerre.

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Chantal Vieuille)

Compte rendu publié dans Acta fabula : "La plume et le canon : les femmes écrivent la guerre" par Nathalie Narváez.



Des Femmes écrivent la guerre

Sous la direction de Frédérique Chevillot qui enseigne la littérature contemporaine des Femmes à l'Université de Denver (USA.
Et Anna Norris qui enseigne la littérature et la culture françaises à l'Université d'État du Michigan (USA)

Editions Complicités
2007
Isbn 2-910721-69-8
240p
23,00 €


Ecrirela guerre. Laquelle ? Pourquoi et comment ? Telle est l'immensequestion posée à des femmes qui l'ont écrite, par les auteur/e/s duprésent collectif.

INTRODUCTION
Frédérique Chevillot, Université de Denver, États-Unis
Anna Norris, Université d'état du Michigan, États-Unis

I. VOIX, FEMMES, GUERRES

Les Récits des infirmières de 1914-1918 / Ruth Amossy, Université de Tel-Aviv, Israël
Clara Malraux : Les Femmes et la Résistance au quotidien /
Colette Trout, Collège Ursinus, États-Unis
Alice Rivaz et Yvette Zégraggen : L'Invivable neutralité helvétique / Joy Charnley, Université de Strathclyde, Royaume Uni
Andrée Chedid : Des Actes de violence aux actes parole / Debbie Mann, Université de l'Illinois du Sud à Edwardsville, États-Unis

II. HISTOIRE(S) DE GUERRE(S)

LesFemmes, le civil et le soldat dans les romans de la Grande Guerre /Nancy Sloan Goldberg, Université d'état du Tennessee, États-Unis
Journal de guerre de Simone de Beauvoir / Valérie Baisnée, Université de Paris XIII, France
Figuration de la guerre dans l'oeuvre d'Assia Djebar / Milouda Louh, Collège Université de Cork, Irlande
Le Mythe de la guerrière : Yamina Mechakra et Ly Thu Ho / Pamela Pears, Collège Washington, États-Unis

III. DES FEMMES, APRéS LA GUERRE

MargueriteDuras : La Douleur d'écrire le crime de guerre / Sandrine Rabosseau,Université de la Rochelle et Université de la Sorbonne Nouvelle, France
Le Genre é l'épreuve de la guerre chez Marguerite Yourcenar / Nicolas di Méo, Université de Bordeaux III, France
Viviane Forrester : Une Guerre qui n'en finit pas / Anne-Marie Obajtek-Kirkwood, Université de Drexel, États-Unis
LaSeconde Guerre mondiale dans la littérature de jeunesse / ÉléonoreHamaide, doctorante à l'Université de Reims-Marne la Vallée, France

IV. ELLES ÉCRIVENT LEUR GUERRE
Colette et la guerre : Sur Le Front et de sa fenêtre / Josette Rico, Université de Bordeaux IV, France
Chantal Chawaf : La déchirure originelle, le mal initial / Metka Zupanaia, Université de l'Alabama à Tuscaloosa, États-Unis
L'Innommable en abyme : La trilogie d'Agota Kristof / Catherine Bouthors-Paillart, Lycée Thuillier, Amiens, France
La Métaphore cognitive de la guerre chez Nina Nina Bouraoui / Martine Fernandes, Université de la Floride du Sud, États-Unis

"Quesavent les femmes de la guerre ?" écrit Leila Sebbar dans une nouvelleintitulée "Les mères" tirée du recueil Soldats (2000). C'est à cettequestion que cet essai tente de répondre.


Dans sa préface à l'ouvrage de Françoise Thébaud, "La femme au temps de la guerre de 14", Michelle Perrot souligne que la souffrance des soldats tombés au combat est constamment rappelée à notre mémoire collective par les champs de bataille commémorés, les monuments aux morts érigés au coeur des villes et des villages, les fêtes nationales célébrées, en d'autres termes, par la glorification, indirectement culpabilisante pour celles qui n'en étaient officiellement pas, de guerres qui auraient, avant tout, été celles des hommes. Mais que savons-nous vraiment des femmes de la guerre, outre les images stéréotypées de « la munitionnette, […] l'infirmière “ange blanc”, la religieuse compatissante, la cantinière facile et courageuse, l'épouse fidèle ou volage, celle qui attend et celle qui “profite” : la maman et la putain ».1
Si les femmes n'ont pas eu l'occasion d'être « soldats » lors des grands conflits guerriers du XXe siècle – bien que nous sachions aujourd'hui que de nombres de femmes ont, en effet, participé aux mouvements de Résistance en France pendant la Seconde Guerre mondiale, ont été combattantes à part entière au cours des guerres coloniales d'Algérie et du Viêt-Nam et occupent de plus en plus, à l'heure actuelle, des postes de combat – cela ne veut pas dire que les femmes n'ont pas contribué à la lutte – armée ou non – ou qu'elles auraient été « moins victimes » de la guerre. Elles en sont, de fait, les premiers témoins, non seulement en tant qu'infirmières sur les champs de bataille, mais aussi en tant qu'observatrices et victimes sur les routes de la débâcle, dans l'univers concentrationnaire, et dans la survie communautaire, tant au niveau affectif que pratique, le jour même du départ des hommes pour le front. Les femmes se battent à leur manière, au quotidien, sur d'autres champs de bataille, dans une autre sphère. Ce sont elles qui attendent le retour leur époux, leur fiancé, leur père, leur frère, ce sont elles qui les perdent. Ce sont elles aussi qui, en temps de guerre, assument les rôles culturellement édifiés comme masculins et acceptent, bon gré mal gré, de travailler dans les usines – souvent d'armement – à la place des hommes. Ce sont elles encore qui subviennent seules aux besoins de leur famille et réinventent l'approvisionnement en période de restrictions. Et ce sont elles, enfin, qui acceptent, une fois la guerre terminée, de réintégrer ces rôles trop traditionnellement « féminins » afin de panser les plaies et rassurer les hommes.
Jusqu'à une période relativement récente que nous situons dans le sillage des années 1970-1980, au surlendemain, dirons-nous, de l'éveil féministe des cultures occidentales, peu de travaux avaient été spécifiquement consacrés aux femmes de et dans la guerre, ou à l'exploration de la singularité de leurs engagements, activités et expériences de guerre. Certes, on aura immanquablement beaucoup écrit sur le peuple français, les Français ou la France en période de guerre, en demandant aux femmes de se sentir prises en considération, incluses dans l'effort de guerre et d'endurance nationale, comme dans l'élan mémorialisateur entériné par un masculin générique commode ; la reconnaissance de la participation des femmes à la guerre reste, toutefois et encore, de l'ordre de l'implicite, de ce qui reste tu.2 La guerre ne serait pas encore, officiellement, une affaire de femmes.
C'est donc vers la fin des années 1980 et dans le courant des années 1990, que l'on assiste à une véritable explosion – la métaphore est intentionnellement violente et belliqueuse, puisqu'il s'agit encore d'un combat dont le champ de bataille sera celui de la mémoire – de textes explicitement axés sur l'investissement et le témoignage des femmes en période de guerre.3 Si ces publications d'ordre sociologique et/ou politique témoignent de la participation à tous les niveaux des femmes dans l'effort de guerre historique, peu nombreuses sont les études parues en français au sujet des oeuvres de fiction sur la guerre spécifiquement écrites par des femmes. La question est en effet dangereuse et provocatrice : comment des femmes qui ne font même pas la guerre oseraient-elles envisager de fictionnaliser l'ineffable horreur de sa réalité ?
Des femmes écrivent la guerre à leur manière, non de femme – puisque rien, sinon le fait biologique que ce sont elles qui portent l'enfant humain, n'essentialise les activités physiques et intellectuelles des femmes –mais à partir de ce que nous appellerons ici, en termes sociologiques, de l'assignation socio-sexuée qui continue de leur être imposée. En effet, de par la position sociale, culturellement construite, qui leur est prescrite, du fait de leur sexe biologique, par des sociétés patriarcales aux prérogatives masculinistes exacerbées par la guerre, les femmes sont amenées à être témoins et victimes, et endurent des expériences de guerre à la fois différentes et singulières. Rarement, cependant, dans son effort de mémorialisation historique, la nation leur demande leur avis sur la question.
Si, à travers les siècles, les femmes se sont exprimées sur la guerre, c'est surtout à partir du XXe siècle qu'elles ont commencé à prendre véritablement la parole. Le public lecteur, tout autant que la critique, auront mis longtemps à désirer les entendre et à ouvertement s'intéresser à leurs points de vue.
En réunissant les 16 essais d'universitaires francophones présents, notre intention n'a pas été de comparer une guerre qui serait « celle des hommes » à une guerre qui aurait été « celle des femmes ». La guerre signifie malheureusement le même désastre humain pour tout le monde, et sans doute est-elle inlassablement vécue de façon individuelle et spécifique, partout, par tous et toutes. Les femmes n'en savent ni moins ni plus que les hommes politiques et militaires qui déclarent, ordonnent, font ou font faire la guerre ; les femmes en savent autrement, elles connaissent la guerre différemment. Au sens derridien du terme, nous dirons même qu'elles s'en diffèrent ; c'est de cette connaissance particulière et de son écriture qu'il sera question dans le présent recueil.
Toutefois, nous désirons ici ne pas prendre pour point de départ critique, ou toile de fond littéraire, un discours sur la guerre traditionnellement officialisé par l'Histoire – avec sa grande hache5 – celui-ci serait forcément socialement sexué et culturellement axé sur le « masculin ». Notre point de départ – de même que notre objectif critique – est l'écriture même de la guerre par des femmes. Ceci explique pourquoi la majorité des essais réunis ici ne cherchent en aucune manière à « comparer » des textes de femmes à ceux d'auteurs masculins qui auraient, ou n'auraient pas, écrit la guerre de façon similaire ou comparable. Nous ne désirons en aucune manière ignorer, minimiser ou rejeter les témoignages politiques, historiques ou littéraires émanant d'auteurs masculins. Notre intention critique et littéraire est simplement – mais formellement – de donner la priorité de parole, de témoignage et d'écriture aux femmes.
Nous nous intéressons ici à des auteures qui, de par leurs expériences de vie respectives, leurs intérêts personnels, leur situation politique, religieuse, sociale ou culturelle, l'éducation (formelle ou non) qu'elles ont reçue, jettent sur la guerre, à travers leur écriture, une lumière nouvelle. La majorité de ces femmes ont directement vécu la guerre à travers des expériences de résistance, d'emprisonnement, de deuil, d'exode, de combat à main armée, d'anxiété, d'aliénation, d'oppression légiférée… Certaines d'entre elles n'ont toutefois qu'indirectement vécu le conflit guerrier, à travers la distance du temps et le vécu – ou la survie – des autres. Toutes l'ont cependant écrite avec l'intention de faire surgir des vérités de guerre trop souvent tues : l'angoisse, la contradiction, la démence, le délire, parfois l'indicible indifférence… Mais aussi, et de manière tout à fait paradoxale, le bonheur interdit, le tabou fantasmé, l'érotisme culpabilisant de la guerre…
Il est important de reconnaître que ces écrivaines sont – ou étaient – pour la plupart, des intellectuelles, dont les circonstances de vie ont autorisé le luxe que représente, indéniablement pour d'autres femmes moins favorisées, la simple réflexion, la mise en mots, le travail de l'écriture et l'éventuelle publication de livres. Ces femmes ne prétendent pas parler au nom des toutes les femmes, et c'est d'ailleurs malgré elles qu'elles finissent quand même par le faire : en parlant de leurs expériences de guerre, elles décrivent aussi des situations de vie qui, nivelées par l'étourdissante iniquité de la guerre, ressemblent à celles de tant d'autres femmes qui n'ont pas eu, elles, la prérogative, le courage, ou la folie de l'écrire.
La guerre, mais laquelle ? Justement, il s'agira ici de la guerre, en général, tout en étant aussi question de guerres particulières. Les auteures réunies au sein de ce recueil écrivent la guerre au sens de toutes les guerres comme de n'importe laquelle d'entre elles. Qu'est-ce que la guerre ? Qu'est-ce que guerre veut dire pour ces femmes qui l'ont écrite ? Si nous n'avons ici privilégié aucune guerre spécifiquement « historique » – pour des questions d'espace tout autant que d'expertise – nous nous sommes limitées à celles du XXe siècle au sens large des événements mondiaux qui sont à la source des conflits « modernes » sur lesquels nos auteures se sont prononcées : l'Algérie, le Viêt-Nam, le Liban, la Hongrie, la Suisse, la France… tout autant que ce qui en constitue, aujourd'hui, le souvenir, le deuil et la sombre réitération, ailleurs et encore.
C'est parce que ce sont des femmes, culturellement perçues comme telles, qui écrivent la guerre que nous nous intéressons à leurs textes, mais ce n'est pas parce qu'elle sont nées femmes, que celles-ci écrivent la guerre comme elles le font. La nuance est infime et elle est essentielle. Écrire la guerre – laquelle, pourquoi et comment ? Telle est l'immense question posée à des femmes qui l'ont écrite, par les auteur-e-s du présent collectif. Le XXe siècle a été le triste théâtre de terribles conflits. Des femmes de lettres et d'expression française continuent de revendiquer dans leurs textes, le droit et le devoir de se prononcer sur la guerre – toutes les guerres et n'importe laquelle. Du chaos, elles écrivent l'horreur ; de l'horreur, elles disent le délire ; au-delà du délire, elles formulent l'espoir qu'offre – peut-être – l'écriture.