Essai
Nouvelle parution
F. Bravo, La Signature

F. Bravo, La Signature

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Bravo)

Federico Bravo, La Signature

Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, coll. "Littéralité", 2012.

EAN 9782867817595.

Prix 20EUR

Présentation de l'éditer :

De la signature manuscrite à la signature numérique et du sceau façonné dans l’argile à l’anneau sigillaire, le seing figuratif ou l’estampille, le contrat silencieux par lequel le sujet règle les conditions du pacte identitaire qui le lie aux autres prend des formes multiples : l’histoire de la signature est l’histoire du singulier foisonnant. À la croisée des savoirs et des pratiques sociales, la signature intéresse la diplomatique, la paléographie, la sigillographie et l’héraldique, mais aussi – avec la littérature, les arts ou la publicité – la sémiotique, l’onomastique, la pragmatique, la psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, la géographie, la linguistique ou encore les sciences juridiques, sans oublier la calligraphie ou sa déclinaison physiognomonique, la graphologie. Le présent ouvrage réunit des spécialistes dans chacun de ces domaines pour aborder des questions aussi diverses que les enjeux juridiques de la dématérialisation de la signature, le procédé de l’anagramme dans le discours littéraire, les pratiques autographiques en musique ou en peinture, l’esthétique typographique des marques commerciales, la signature codée des rappeurs, les abysses de l’anonymat ou l’art du pseudonyme. Son ambition est de croiser, atour de cette pratique sémiotique singulière et civilisatrice, des regards et des éclairages multiples, la multidisciplinarité étant le premier pas vers la véritable interdisciplinarité.

Federico Bravo. Études de linguistique et de philologie romane à l’Université de Navarre et à l’Université de Bordeaux. Professeur de linguistique et de sémiotique à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux III. Directeur du Grial – Groupe Interdisciplinaire d’Analyse Littérale –, centre de recherche de l’ea 3656. Auteur notamment de Anagrammes. Sur une hypothèse de Ferdinand de Saussure aux éditions Lambert-Lucas.

Sommaire

Federico Bravo,

Avant-propos : Le nom se fait geste ..................................................... 11

 

Chapitre Premier

Le nom, le geste, le signe

Béatrice Fraenkel,

La signature et ses signataires ............................................................... 17

Philippe Breton,

La signature, entre intériorité et interactivité ...................................... 33

Philippe Willemart,

Comment se construit la signature ? ................................................... 41

Federico Bravo,

L’écriture-signature : noms, anagrammes, cryptonymes ....................... 55

Namiko Haruki,

Considérations psychanalytiques autour du thème du nom propre ..... 67

Chapitre II

Graphie, matérialité, auctorialité

Benjamin Thiry,

Approche graphologique de la signature ............................................. 81

Willy Duhen,

La dématérialisation de la signature : le droit, vecteur

d’une meilleure authentification de l’identité ....................................... 97

David Pontille,

Grandeurs de la signature en science .................................................... 111

Marc Arabyan,

Typographie, marque, signature ......................................................... 137

Chapitre III

Identité, territoires, sociétés

Jean-Claude Hinnewinkel,

La signature des terroirs du vin ............................................................ 163

Laurent Coste,

Mobilité et mimétisme social : les signatures des marchands

bordelais du Grand Siècle .................................................................... 179

Aránzazu Sarría-Buil,

Signature et identité de l’exilé : l’emploi du pseudonyme par

les Éditions Ruedo ibérico ................................................................... 193

Claude Jeay,

L’épée et la plume. La signature dans la guerre de Cent Ans ................. 221

Chapitre IV

Signer un tableau, une partition, un poème

Jean-Yves Bosseur,

Signature musicale, identité et identification ....................................... 275

Vincent Foucaud,

La signature dans la poésie visuelle ...................................................... 285

Julien Barret,

Sigles, alias, devises : déchiffrer le blaze des rappeurs ............................ 297

Lydie Pearl,

Chagall : une signature éclatée entre deux langues,

deux cultures ....................................................................................... 313

Chapitre V

Signatures & effets de signature

Elvezio Canonica,

Pour une apologie de l'anonymat (Littérature espagnole

du Moyen âge et du Siècle d’Or) ........................................................ 333

Valeriu P. Stancu,

Manières de sign(al)er des mondes : la signature entre

(para)texte et « présentification » de la fiction ...................................... 353

Nuria Rodríguez Lázaro,

Lorsque le poète dit son nom. La signature dans la poésie

espagnole du xxe siècle ......................................................................... 369

Paul Veyret,

Effets de signature : la signature dans Les Vestiges du jour

de Kazuo Ishiguro ............................................................................... 385

Chapitre VI

L’art du pseudonyme

May Chehab,

« J’habiterai mon nom ». Les saintes trinités pseudonymiques

d’Alexis Leger ...................................................................................... 397

Renée-Paule Debaisieux,

La signature de l’écrivain grec Nirvanas (1866-1937) :

pseudonyme, masque et dévoilement ................................................... 419

Natacha Vas-Deyres,

Régis Messac et « L’Empire du pseudo » .............................................. 427

Isabelle Bouchiba-Fochesato,

Signature et pseudonymie : le cas de Tirso de Molina .......................... 445

Maria Aranda,

Belardo en campagne : le « personnage-signature » dans

un drame de commandeur de Lope de Vega ........................................ 457

 

 

Avant-propos

Le nom se fait geste

 

Manios med fhefhaked Numasioi

 

De la signature manuscrite à la signature numérique, sa version dématérialisée, en passant par le sceau façonné dans l’argile, le plomb ou la cire, l’anneau sigillaire ou le seing figuratif, le contrat silencieux par lequel le sujet règle les conditions du pacte identitaire qui le lie aux autres prend des formes multiples : l’histoire de la signature[1] est l’histoire du singulier foisonnant. À la croisée des savoirs et des pratiques sociales, la signature intéresse la diplomatique, la paléographie, la sigillographie et l’héraldique, mais aussi – avec la littérature, les arts et la publicité – la sémiotique, l’onomastique, la pragmatique, la psychologie, la sociologie, la linguistique ou encore les sciences juridiques, sans oublier la calligraphie ou sa déclinaison physiognomonique, la graphologie.

Témoin privilégié de la scripturalité, la signature est le lieu où le nom propre rencontre l’écriture. Empreinte corporelle, elle relève aussi d’une théorie de la gestualité non seulement parce que, à l’intersection de l’image et de l’écrit, la signature allie au tracé du nom graphié l’iconicité du paraphe manuscrit par lequel le nom se fait geste, mais aussi parce qu’elle trouve, dans l’ordre de l’expression symbolique, sa traduction praxémique et kinésique dans certaines pratiques ritualisées « valant » signature : poignées de main, crachats, échanges symboliques en tous genres pour valider une transaction, signer un pacte, conclure un engagement, authentifier une parole. Les textes de loi sont là qui nous rappellent ce que signer, soussigner ou contresigner veulent dire. Mais d’où le signe autographe puise-t-il son pouvoir performatif voire démiurgique à transformer la parole en acte engageant « vitalement » celui qui la signe ou la contrefait ?

Le nom est le « thème » alphabétique de la signature qui en est la mise en scène. À la croisée de deux systèmes, scriptural et figural, la signature met non seulement en cause une esthétique calligraphique mais aussi une poïèse onomastique qui se manifeste en particulier à travers les figures du masque et les anamorphoses du nom. Se pose ainsi la question du vrai et du faux, du poétique et du frauduleux. Peuplée de faussaires et d’usurpateurs d’identités en tous genres, l’histoire de la signature partage avec celle du nom un goût certain pour la contrefaçon : pour les faussaires de textes, mais aussi les faussaires de noms. Comme le rappelle Hélène Maurel-Indart, la notion d’intertextualité aurait dû libérer l’écrivain et, plus généralement, l’artiste de la hantise du plagiat, or « le mythe d’une littérature sans auteur noie, sans la résoudre, la question de la signature[2] » qui trouve dans les pratiques apocryphes et pseudépigraphiques – défensives, poétiques ou purement festives – un champ d’expression et d’expérimentation inépuisable. Entre simulation et dissimulation onomastique, l’art du pseudonyme est l’art de la signature carnavalisée. « Le pseudonyme – écrit Maurice Laugaa – exhibe deux traits récurrents du système : il est excès du propre et d’une appropriation ; il obéit au principe des nominations clignotantes[3] ». Retrouver l’empreinte du moi dans le moi d’emprunt, tel pourrait être l’enjeu majeur de l’interprétation mais, comme le fait observer Pierre Emmanuel, « la psychanalyse des noms d’emprunt attend encore (sous un pseudonyme ou non) son auteur[4] ».

Au même titre que le titre, la signature est un moyen d’accès doublé d’un filtre d’accès à l’oeuvre et à son sens. Un travail récent d’Inger Østenstad intitulé Quelle importance a le nom de l’auteur ? soulève la question de la centralité du nom de l’auteur et de son rôle constitutif dans le fonctionnement du texte littéraire[5]. Quand elle existe, la signature ne fait pas qu’en authentifier la source : ce faisant, elle garantit en l’infléchissant l’exercice anthropologique de son exégèse. À elle seule la signature construit un sens qui lui-même participe à la construction de celui du texte tout en en modifiant la perception : un sens dont il n’est plus possible de se déprendre au cours de l’exégèse. Plus loin encore : face à l’oeuvre anonyme ou sans filiation, la signature dans l’art contemporain peut, comme le fait remarquer Nathalie Heinich[6], être rangée au nombre des indicateurs d’artification, l’un de ses pouvoirs les plus éminents étant justement de faire accéder le travail du peintre, du photographe, du cinéaste ou du sculpteur au statut d’oeuvre d’art. Apposée sur l’objet qu’elle sémiotise, elle atteste aussi, par sa seule présence, de sa condition d’objet promu au rang d’objet artistique.

À la multiplicité des usages de la signature s’ajoute la diversité de ses modes de réalisation. On sait par exemple, toute spéculation numérologique laissée de côté, que Bach utilisait comme signature musicale les quatre lettres de son nom, B + A + C + H, translittérées sur l’échelle tonale pour obtenir une suite mélodique – la séquence diatonique si bémol + la + do + si bécarre en notation allemande –, dont le compositeur signa entre autres la fugue inachevée de son testament musical, L'art de la fugue : renouant avec la très ancienne et – osons l’anachronisme – très oulipienne pratique musicale de la solmisation, du sogetto cavato et autres canti firmi de la musique médiévale et de la Renaissance, le procédé bien connu de la signature musicale soulève la question, étroitement liée à la pratique de l’anagramme, de l’engendrement du thème générateur de l’oeuvre, le nom de l’artifex faisant office à la fois de signifiant « clandestin » et de thème musical. Transformé en tracé mélodique appelé à former le thème principal ou secondaire de la composition, le nom crypté de l’auteur est aussi susceptible de fournir le thème musical – littéral et allitérant – de l’oeuvre littéraire, comme l’a lumineusement mis en évidence Ferdinand de Saussure lorsqu’en examinant la poésie latine de l’humaniste Ange Politien il découvre, sous forme de syllabogramme, le nom de Politianus enseveli sous l’écorce sonore de ses vers – PhiliPPus / Nulli ignota meae est gratia mira mANUS... : c’est l’anagramme comme signature.

Si la signature est une façon de penser le texte elle est aussi une façon de penser le monde, puisque tout ce qui le constitue porte inévitablement l’empreinte de son créateur. Elle devient alors la marque de la proportion, l’expression signée d’une ressemblance ou, pour reprendre les termes d’Oswald Crollius dans son Traicté des signatures, le « truchement » que Dieu a donné à chaque objet permettant à l’homme de découvrir la « sympathie analogique et mutuelle » qui relie entre eux les deux ordres du visible et de l’invisible : c’est la signature comme désoccultation, mais aussi comme fondement de la pensée analogique. Comme le dit Foucault, « il n’y a pas de ressemblance sans signature, le monde du similaire ne peut être qu’un monde marqué ». Enfin et sans nullement prétendre épuiser les voies qui s’ouvrent à la réflexion, on ne saurait omettre de souligner le fonctionnement métonymique de la signature : elle est la marque de fabrique, le sceau, l’estampille, la griffe que la modernité décline en une multitude de logotypes, monogrammes, labels, sigles, tags, tatouages et autres emblèmes culturels et signes d’appartenance comme autant d’artifices identitaires.

L’ambition du présent ouvrage, dans lequel sont représentées des disciplines aussi diverses que les arts plastiques, la musique, la littérature, les sciences du langage, le droit, l'anthropologie, l'histoire, la géographie, la paléographie ou encore la psychanalyse, est de croiser, atour de cette pratique sémiotique singulière et civilisatrice, des regards et des éclairages multiples et variés, la multidisciplinarité étant le premier pas vers la véritable interdisciplinarité.

 

Federico Bravo

Directeur du GRIAL

Groupe Interdisciplinaire d’Analyse Littérale

 

 

 

 

 

 

[1] Histoire admirablement retracée par Béatrice Fraenkel dans son ouvrage désormais classique La signature, Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, 1992.

[2] Hélène Maurel-Indart, Du plagiat, Paris, PUF, p. 206, 1999.

[3] La pensée du pseudonyme, Paris, PUF, p. 293, 1986.

[4] Cité par Maurice Laugaa (ibid., p. 8).

[5] Inger Østenstad, « Quelle importance a le nom de l’auteur ? », Argumentation et Analyse du Discours, n° 3, 2009.

[6] Nous renvoyons ici au numéro de Sociétés et représentations récemment consacré à la signature (« Ce que signer veut dire ») coordonné par Dominique Margairaz et Myriam Tsikounas (mai-juin 2008, n° 25).