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Appels à contributions
Expertise psychiatrique et sexualité (1850-1930): quand médecine, droit, morale et littérature se conjuguaient dans les prétoires…

Expertise psychiatrique et sexualité (1850-1930): quand médecine, droit, morale et littérature se conjuguaient dans les prétoires…

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Patrick Pognant)

L'Université de Paris 8

équipe « Forces du droit : Paradoxes, comparaisons, expérimentations »

et

L'Université de Cergy-Pontoise (UCP) C E R / F D P groupe « Arts littéraires, arts cliniques »

organisent le Colloque

Expertise psychiatrique et sexualité1850-1930 : quand médecine, droit, morale et littérature se conjuguaient dans les prétoires…

proposé par Geneviève Koubi (Paris 8)

et

Patrick Pognant (Paris descartes et UCP) & Brigitte Galtier (UCP)

les jeudi et vendredi 15 et 16 octobre 2009

9h – 18h

à Paris 8


Appel à contributions

Présentation

            À partir du milieu du XIXe siècle, la psychiatrie occidentale a nosographié par le menu les déviances sexuelles dont certaines entamèrent leur lente démédicalisation après les Années folles, notamment sous l'influence de la littérature. La pathologisation de certains comportements sexuels coïncida avec la reprise en main de l'ordre moral par le pouvoir et les églises, amorcée avec ostentation depuis la Monarchie de juillet. À compter des années 1850, les délits et crimes liés à la sexualité occupèrent majoritairement l'activité judiciaire (que l'on songe par exemple aux cas de Joseph Vacher – publié par Alexandre Lacassagne – et de Vincent Verzeni – publié par Cesare Lombroso) et les psychiatres, pour la plupart experts des tribunaux, exploitèrent donc leur nosographie contestable des perversions sexuelles dans leurs rapports d'expertise légale. Ces experts n'ont pas échappé à la fureur polygraphique qui caractérise l'époque et nous disposons sur le sujet d'un abondant corpus, en partie numérisé et à l'accès libre sur le web. Cette accessibilité des textes, naguère confidentiels et plutôt réservés à des spécialistes, favorise le regard pluridisciplinaire nécessaire pour répondre aux questionnements suscités par ce corpus étonnant, et qui mérite un croisement des regards.

             Il ne s'agit pas ici de faire l'inventaire exhaustif des ouvrages de la période concernée et qui pourraient être utilement étudiés pour répondre à l'angle d'approche proposé mais, à titre d'exemple, d'en livrer quelques-uns pour baliser le champ de cette recherche. Ainsi, on peut citer pour la psychiatrie française Ambroise Tardieu (étude médico-légale sur les attentats aux moeurs, 1857, et étude médico-légale sur la folie, 1872), Henri Legrand du Saulle (La folie devant les tribunaux, 1864), Benjamin Ball (La folie érotique, 1888) et le Dr Laupst, (Tares et poisons, perversion et perversité sexuelles, une enquête médicale sur l'inversion : notes et documents, Le roman d'un inverti-né, le procès Wilde, la guérison et la prophylaxie de l'inversion, préface d'Émile Zola, 1896)  et, pour la psychiatrie allemande, Richard von Krafft-Ebing (Médecine légale des aliénés, 1892, et surtout Psychopathia Sexualis. Étude médico-légale à l'usage des médecins et des juristes, 16e et 17e éditions allemandes refondues par le Dr Albert Moll, 1924, une oeuvre qui est la quintessence de la psychiatrie occidentale de l'époque sur le sujet). On pourra aussi mettre à profit la consultation, par exemple, des Annales d'hygiène publique et de médecine légale, de la Revue de Psychiatrie, des Annales médico-psychologiques et des Archives d'Anthropologie criminelle.

Les pistes bibliographiques envisagées ci-dessus pourraient laisser accroire que seule la psychiatrie occidentale (notamment française et allemande) fut concernée par l'expertise légale en matière de sexualité. Ne doutons pas que le crime sexuel était alors (et est toujours !) un phénomène international et il serait particulièrement intéressant que des chercheurs fassent découvrir des expertises sur les continents américains (Amérique du Sud notamment car la période est riche : du colonialisme à l'indépendance…), le continent africain (pour les mêmes raisons…), voire l'Asie.

            Concernant la diversité des lectures possibles, nous livrons quelques indications n'excluant en rien d'autres pistes qui pourraient être suivies (historiques, sociologiques, herméneutiques…). Ainsi, concernant la psychiatrie, outre la pathologisation des comportements sexuels hors la norme, on peut s'interroger sur la scientificité des expertises elles-mêmes : par exemple, quelle est la valeur scientifique du comparatisme mis en oeuvre dans de nombreux rapports ou quelle place est accordée aux disciplines médicales (physiologie, biologie…) autres que la psychiatrie ? Concernant la littérature, quel est son poids dans les expertises ? Et quel est celui de la morale et de la religion ? Enfin, à propos du droit, si de nombreux cas présentés intéressent en premier lieu les pénalistes, il en est aussi qui touchent le droit civil (internements abusifs, divorces…) et qui méritent d'être analysés. Par ailleurs, quelle est la place du « pouvoir psychiatrique » (voir l'ouvrage éponyme de Michel Foucault) dans le dispositif judiciaire de l'époque ? Et comment, par exemple, la loi fut-elle contournée, en tout cas en France où le crime sodomite ne figurait pas dans le Code pénal depuis 1791, pour aggraver les peines des déviants sexuels, notamment homosexuels ?

            Enfin, nous donnerons à titre d'exemple la contribution que nous comptons présenter (nous n'en sommes qu'aux prémices de notre travail !) lors de ce colloque. Il s'agit d'une des premières expertises auprès des tribunaux de la Cour impériale conduite par Krafft-Ebing alors qu'il venait d'être nommé professeur de psychiatrie à Vienne. Il eut à mener cette expertise dans une affaire de moeurs à propos d'une jeune comtesse hongroise qui, selon lui, souffrait de gynandrie, ce qui l'aurait conduite à convoler en noces illégitimes avec une jeune fille en escroquant au passage son « beau-père ». Il sera notamment intéressant de voir comment Krafft-Ebing a orienté son expertise pour la faire coïncider avec la théorie qu'il avait élaborée à propos des psychopathies sexuelles (et notamment les degrés de l'homosexualité) et comment il obtint l'acquittement de la jeune femme qui, d'ailleurs, passa le reste de sa vie dans la peau (et le pantalon) d'un homme en se faisant appeler M. le Comte…

            Les possibilités d'approche sont donc nombreuses et les travaux proposés devraient  permettre de mieux appréhender une période somme toute récente pendant laquelle les psychiatres ont conforté leur rôle et leur pouvoir dans le dispositif judiciaire. La psychiatrie légale de ces années-là ne permet-elle pas de comprendre les enjeux et les limites de celle d'aujourd'hui (marquée entre autres, en France, par le fiasco du procès d'Outreau, emblématique d'autres fiascos, moins médiatisés) ? Mais nous voilà déjà dans ce qui fera peut-être l'objet d'un autre colloque…

Patrick Pognant

patrick.pognant@parisdescartes.fr

Date limite d'envoi des propositions: 30 juin 2009