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Nouvelle parution
Études littéraires, vol. 39, no 2 (hiver 2008) - Esthétiques de l'invective

Études littéraires, vol. 39, no 2 (hiver 2008) - Esthétiques de l'invective

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Érudit)

Fondée en 1968, Études littéraires est larevue du Département des littératures de l'Université Laval. Ellepublie, en français, des « dossiers » et des « analyses » portantprincipalement sur les littératures d'expression française mais aussisur les autres littératures, surtout dans une perspective comparatiste.D'orientation théorique et critique, Études littérairesvise à faire état de la recherche actuelle dans la discipline desétudes littéraires en s'intéressant à des questions et des corpusvariés, tant générériques, qu'historiques et thématiques. La revuepublie également une section « débats » autour d'ouvrages de critiqueet de théorie récemment publiés.

Vol. 39, no 2 (hiver 2008) - Esthétiques de l'invective
Sous la direction de Marie-Hélène Larochelle

Marie-Hélène Larochelle
Présentation

Études : Étude des définitions

Catherine Rouayrenc
L'injure dans la représentation de la vie militaire : rythme d'un monde, rythme d'une écriture
Casse-pipe, description du milieumilitaire par l'écrivain qu'est Céline, est un observatoire idéal pourl'injure, forme privilégiée de l'invective. L'esthétique de l'injuretient au signifiant et au signifié, lequel peut être très divers, toutmot pouvant devenir injure, en général du fait d'un emploi figuré. Elletient aussi à l'usage qui est fait de l'injure, celle-ci étant avanttout un acte de langage, de type performatif primaire, et pouvant seformuler directement ou indirectement. L'injure est ainsireprésentative d'une organisation hiérarchique qui peut permettre àl'« injurieur » de n'être jamais l'« injurié ». Elle peut alors, sedonnant libre cours, aller de l'insulte précise et motivée à l'injurela plus gratuite, quasi rituelle, de fonction purement expressive.S'agissant d'une oeuvre littéraire, l'esthétique de l'injure estindissociable de l'intégration de celle-ci dans l'écriture. Dans Casse-pipe,l'injure est pleinement intégrée à l'écriture, phoniquement,sémantiquement et plus intimement encore, par le rythme qu'ellecontribue à créer.

Marie-Hélène Larochelle
La chasse au monstre
Les écrits anarchistes d'Émile Pouget montrent de façon caricaturale leprolétaire s'attaquant à l'État. Ce renversement des pouvoirsmétaphorise un tableau de chasse à courre caricatural selon lequel labête chasse la noblesse. Le présent article entend explorer cetteallégorie afin de comprendre la nature et la portée du vecteur centralde l'invective. Est privilégié le corpus restreint des écrits du pèrePeinard, personnage inventé par Pouget, soit la revue du Père Peinard et Les almanachs du Père Peinard. Pourcerner la force de l'invective littéraire et mettre en avant lacroisée — entre la fiction et la réalité —, cet article fait intervenirune nouvelle notion, l'invectif, par opposition au performatif, qui entend cerner la spécificité de l'invective en contexte fictionnel.

Études : Étude de la trajectoire

Sylvain David
Cioran et le « pamphlet sans objet ». : Paradoxes d'une poétique de l'excès
Cet article vise à comprendre ce qu'entend Cioran lorsqu'il prétend avoir conçu « un genre nouveau : le pamphlet sans objet ».Dans cette perspective, l'analyse confronte les grandescaractéristiques esthétiques et rhétoriques des premières oeuvresfrançaises de l'essayiste – du Précis de décomposition (1949) à Histoire et utopie (1960), ouvrage dont est tiré l'extrait cité – aux typologies du genre polémique proposées par Marc Angenot, dans La parole pamphlétaire(1982). La finalité d'un tel exercice est de mieux comprendre certainsparadoxes de la poétique cioranienne, fondée – en dépit de sa rareélégance – sur un usage singulier de la violence verbale.

Simon Harel
Fatalité de la parole : invective et irritation dans l'oeuvre de Thomas Bernhard
L'oeuvre de Thomas Bernhard fait une large place à l'invective. Cettedernière prend place lors de scènes de ménage qui sont des modèles decommunication dysphorique. Prenant comme point de départ le renouveaudes « écritures de la méchanceté » dans le domaine littéraire, nousinterrogerons le statut d'une altérité mise à mal. Nous étudierons lesformes de l'itération, de la répétition et de la projection, ces règlesde base d'une énonciation où l'autre est réduit au statut de quantiténégligeable. Dans le cadre de cet article, nous mettrons l'accent surles représentations d'un récit de soi où le narcissisme domine : lafigure de l'illimitation primordiale, modèle d'une écriture qui netolère pas l'altérité, est en effet au coeur de l'écriture de ThomasBernhard. Le sujet de l'écriture (un misanthrope qui tente bon gré malgré de rédiger un traité scientifique) est sans cesse interrompu dansson activité par une « présence » féminine inopportune. La scène deménage, telle que décrite dans Béton et La plâtrière, met en valeur une division sexuelle qui oppose hommes et femmes, qui condamne toute velléité de communication.

Études : Étude des dimensions

Christine Sautermeister
« Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment » ou la dynamique de l'invective chez Louis-Ferdinand Céline
La parole dégénère facilement en invective chez Louis-Ferdinand Céline. La vision négative de l'humanité explique l'importance de l'agression verbale dans les romans et dans les pamphlets. Partie intégrante du travail stylistique de Céline, l'invective possède même un dynamisme particulier sur le plan narratif : elle peut provoquer la catastrophe finale mais aussi, en début d'ouvrage, amener au récit. L'étude de quelques altercations prologiques va montrer ce rôle de l'invective dans l'enclenchement du récit célinien. Instrument de règlement de comptes et de provocation, l'invective est révélatrice également du jeu ambigu du narrateur célinien des années 1950 qui défie son lecteur et cherche en même temps à le séduire par sa verve.

Yan Hamel
Scènes de la vie (anti)américaine. Autour de La putain respectueuse de Jean-Paul Sartre
En France, est-ce injurier quelqu'un que de taxer son proposd'antiaméricanisme ? Voilà la question à laquelle l'auteur de cettecommunication entend apporter quelques éléments de réponse en passantpar une analyse de la pièce de théâtre La putain respectueuse et du tollé que ses premières représentations, en novembre 1946,soulevèrent dans la critique parisienne. L'étude amènera en outrel'auteur à se pencher sur le type particulièrement brutal de relationque, dans sa volonté d'engagement, le théâtre sartrien établit avec sonpublic.

David Vrydaghs
« Cela ne s'imposait pas. Cela, je l'impose » : l'immixtion de l'invective dans les pratiques du groupe surréaliste français
Champions du scandale et de la violence verbale, les surréalistesfrançais passent également pour les maîtres de l'invective. Ce jugementde la postérité doit cependant être en partie revu. L'invective n'étaitquasiment pas pratiquée ni souhaitée par le groupe lors de sonémergence. Il a fallu que certains surréalistes — au premier rangdesquels Aragon — l'imposent pour qu'elle apparaisse dans le répertoirecollectif des techniques surréalistes de la violence verbale.L'approche sociohistorique adoptée ici permet de retracer les étapes decette immixtion de l'invective dans les pratiques du groupe surréalistefrançais et de comprendre les différentes évaluations qui en ont étéfaites.

Analyses

Gabriel Laverdière
Écriture de l'expérience génocidaire dans Aurélia Steiner de Marguerite Duras : survoler l'« infigurable » par une défiguration filmique
Ce texte cherche à présenter ce qu'on a dit et ce qu'on peut dire enregard de l'indicible, en particulier en ce qui a trait à l'écriture,au langage, à la communication d'une idée. La réflexion s'appuie icisur une oeuvre cinématographique (double) de Marguerite Duras, Aurélia Steiner, dans laquelle semble tracé le passage d'une horreur « infigurable ».

François Harvey
Coupures enchaînées. La dynamique générique dans Neige noire d'Hubert Aquin
Cet article a pour objet la dynamique générique mise en place par Hubert Aquin dans son roman Neige noire.Notre lecture vise à mettre en évidence le modèle d'hybridationgénérique adopté par Aquin dans son dernier récit, où il articule d'unemanière singulière les genres du scénario et du roman. Nous ydémontrons que le mélange des genres scénarique et romanesque répond àune conception cinétique de l'intergénéricité, où les identitésgénériques ne s'avèrent jamais fixées d'une manière définitive.