Revue
Nouvelle parution
Études littéraires, vol. 39, no 1 (automne 2007) - Le verset moderne

Études littéraires, vol. 39, no 1 (automne 2007) - Le verset moderne

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Érudit)

Fondée en 1968, Études littéraires est larevue du Département des littératures de l'Université Laval. Ellepublie, en français, des « dossiers » et des « analyses » portantprincipalement sur les littératures d'expression française mais aussisur les autres littératures, surtout dans une perspective comparatiste.D'orientation théorique et critique, Études littérairesvise à faire état de la recherche actuelle dans la discipline desétudes littéraires en s'intéressant à des questions et des corpusvariés, tant générériques, qu'historiques et thématiques. La revuepublie également une section « débats » autour d'ouvrages de critiqueet de théorie récemment publiés.

Vol. 39, no 1 (automne 2007) - Le verset moderne
Sous la direction de Nelson Charest

Nelson Charest
Présentation

ÉTUDES

Guilhem Labouret
Aux sources du verset moderne : le verset chez Lamennais, entre exégèse et invention
D'où vient le verset moderne ? Comment Lamennais a-t-il pu choisir cette forme essentiellement biblique pour rédiger Paroles d'un croyant en 1834 ? C'est sa fonction de témoignage quesemble tout d'abord trouver Lamennais dans le verset. Mais ce serasurtout sa fonction poétique qui se révélera au fond la plusintéressante. Parce qu'il ouvre la poésie sur un au-delà du vers et dela prose, et qu'il offre un retour salvateur à une parole originelle,le verset mennaisien joue un rôle de libérateur de la langue, faisantéclater tous les carcans formels de la poésie romantique.

Carla Van den Bergh
Le rôle du verset lors de la transition du grand poème au petit poèmeen prose, dans les années 1830-1840 en France : pertes et profits
Dans les années 1830-1840, la poésie biblique connaît une recrudescenceen France. Durant ces mêmes années, la poésie en prose aboutit à lacristallisation du petit poème en prose, comme l'a montré NathalieVincent-Munnia. De la rencontre de ces deux tendances dérive déjà lepoème en prose biblique, dont Christian Leroy a exposé la tradition desimplicité depuis Télémaque. Lanouveauté réside dans l'attention portée au verset comme forme possibledu poème en prose, dans la tradition du poème en prose biblique, maisaussi dans les tâtonnements formels et critiques autour du petit poèmeen prose. Le verset parvient-il à s'imposer comme forme inédite d'ungenre nouveau de poème ? Ou son usage doit-il s'inscrire exclusivementdans le genre du grand poème ? N'est-il pas voué par son origine àporter des connotations éthiques pouvant être reversées à un usagepolémique ou politique ? Une quête du verset se fait jour à cetteépoque. Dans la pratique, le verset se définit, d'une part, par leparallélisme, dans les pastiches bibliques, et, d'autre part, par unrythme hérité de la prose nombreuse, dans des oeuvres qui le marquentcependant de leur sceau didactique. Dans la critique littéraire, leverset apparaît comme une catégorie opératoire destinée à mettre envaleur un nouveau type de petit poème en prose. Identifié comme uneforme brève et rythmée, le verset va dépendre, pour sa consécration, del'évolution des genres de niveau supérieur.

Romain Vaissermann
Le verset et la tentation des alexandrins. L'écriture poétique de Péguy à un moment charnière : 1911
Un lecteur attentif à l'intertextualité qui est à l'oeuvre dans la trilogie des Mystères de Jeanne d'Arc,largement inspirés de la Bible et de la liturgie catholique, doitappeler « verset » leur forme poétique. Ce dernier règne en seul maîtredans Le porche du mystère de la deuxième vertu.Il y est étudié pour sa ressemblance avec le vers. Quel est le nombredes dodécasyllabes au sein des versets ? Péguy adopte-t-il unestratégie d'évitement de l'alexandrin ? L'auteur du Porche n'a pas dû aller au-delà de l'imitation du style biblique pour conquérir la liberté rythmique de son écriture.

Jean-François Bourgeault
Défaillances du verset. Réflexions à partir de Jean Grosjean
Comment distinguer le verset du vers libre ? Comment le distinguer dela prose ? Suspendu entre ces deux catégories qui souvent se l'annexentet en effacent le nom, le verset apparaît sur la carte moderne du verscomme une réalité intersticielle, hantée par son aspect volatile,presque impossible à isoler à l'état pur. Loin de vouloir combler cevide d'essence, cet article voudrait interroger le sens qu'il pourraitprendre dans la modernité qui est la nôtre. Chez Jean Grosjean,notamment, c'est le verset qui sert d'icône prosodique au « dieu enperdition » : l'épuisement de la voix qu'entraîne souvent sa récitationrecoupe l'ontologie d'un dieu défaillant,dont l'expiration est le principal mode d'existence. « Verset » n'estdonc pas seulement le nom d'un type de vers, c'est aussi la propositiond'une forme de pensée historique dont on cherche ici à interroger lafécondité.


Luc Bonenfant
Modernité générique et usages formels du verset dans Les atmosphères de Jean-Aubert Loranger
Cet article s'intéresse au verset dans Les atmosphères afinde montrer que celui-ci fonde un procès d'échange générique alorsinédit dans la littérature québécoise. L'examen successif des troisparties du recueil révèle que le verset est une forme labile qui permetà l'auteur d'affirmer le sens moderne de son entreprise. Grâce àl'alternance qu'il produit entre les silences des blancs et le soufflecourt de la parole, le verset dit en définitive le pouvoir poétique dela prose. Sur le plan formel et typographique, il installe unemodernité esthétique qui permet au livre d'échapper à toute tentativede classification.

Michèle Aquien
Une forme paradoxale : le verset claudélien dans Tête d'Or
La forme élue par Claudel a été nommée verset — lui parlait de vers.Elle se caractérise par une typographie qui rappelle celle du vers, ladivision extrême, la grande diversité de longueur d'un verset àl'autre, sans régularité métrique. La coupure se fait ou non sur unearticulation logique ou sur un suspens. La recherche est celle de lavariation, de l'émotion et de la discontinuité. Claudel joue ainsientre deux règnes : entre langue écrite et langue parlée, mais aussientre vers régulier et prose. Adaptée à ses désirs de liberté, desouffle et de mouvement, cette forme n'est pas inventée par lui, maisil se l'est appropriée. C'est ce qui permet, malgré toutes les réservesthéoriques, de parler de verset claudélien.

Ildikó Szilagyi
Le verset : entre le vers et le paragraphe
Cet article s'interroge sur les caractéristiques formelles du versetmoderne, considéré comme une forme intermédiaire entre le vers libre etle poème en prose. Dans un premier temps, l'auteure s'intéresse à lacomposante graphique des versets (la typographie et la ponctuation).Elle aborde ensuite la question controversée de la « survie » de latradition métrique dans la poésie moderne. Pour finir, elle s'efforcede montrer comment l'unité du verset est assurée par son organisationrythmique, phonétique et syntaxique. Une place importante est accordéeaux constructions parallèles et répétitives participant àl'organisation structurelle des poèmes. Les analyses portent sur lesrecueils de Claudel, Saint-John Perse et Senghor.

Antonio Rodriguez
Verset et déstabilisation narrative dans la poésie contemporaine
La poésie française, dès 1980, permet d'interroger les variationshistoriques du verset et ses actualisations les plus récentes. Si uneindétermination marque d'emblée cette forme, il apparaîtprogressivement que la porosité entre vers et prose engage unedéstabilisation manifeste des identités discursives en poésie. Ainsi sedétache-t-on de la seule structuration lyrique du verset pourl'associer à la trame narrative. Le verset contemporain favorisel'entrelacement des discours davantage que leur distinction. C'est ceque montrent les études sur la narrativité déceptive chez James Sacréet Olivier Barbarant, ainsi que sur la dimension épique chez HervéMicolet.

Nelson Charest
L'ouverture du verset
Cet article est divisé en deux parties : une première où nous faisonsun survol des définitions du verset, afin de montrer que celles-cis'orchestrent autour de deux enjeux, la finale et l'alinéa ; et uneseconde où nous étudions quelques incipitde cinq poètes qui ont écrit en versets, soit Claudel, Segalen,Saint-John Perse, Senghor et Glissant. Nous voulons ainsi démontrerl'importance de « l'ouverture » du verset dans sa définition.

Benoît Conort
Si verset il y a…
Partant des définitions de différents dictionnaires, l'article analysela perception contemporaine du verset du point de vue du critique commede l'écrivain, et présente quelques définitions possibles de cet objetpeu saisissable qui tiendraient compte de sa spécificité plutôt que deson assimilation tantôt au vers, tantôt à la prose.

ANALYSES

Catherine Boschian
L'Hérodiade de Mallarmé à travers la figure revisitée de saint Jean-Baptiste
Mallarmé se démarque des écrivains qui traitent le thème d'Hérodiade enfaisant de Jean-le-Baptiste la figure centrale d'une oeuvre inachevée,où le « Cantique de saint Jean » devient le Symbole de son esthétique. Les fragments d'Hérodiade,fruits d'une longue gestation, sont le théâtre où s'affrontent dramereligieux et drame poétique dans une quête spirituelle qui voittriompher le génie poétique. Ce dernier éclôt avec l'effacement dupoète. Subsiste une religion sans Dieu, qui participe à l'avènementd'une poésie conçue comme reconstitution.

Valérie Granjean
Les ymagiers fin-de-siècle
La poétique des symbolistes, qui place l'idée au centre d'unesymbolique verbale exigeant du lecteur une herméneutique à la foisintellectuelle et sensuelle, s'inspire de l'art mystique des ymagierstailleurs de pierre et des moines poètes de l'antiphonaire. Ce recoursà une conception mystique de l'art ne fait pas pour autant l'économiede la matière dont elle se veut aussi l'herméneute. Malgré lesaccusations d'archaïsme que cette poétique eut à subir de la part del'idéologie progressiste de la IIIe République, elle rejointles avancées les plus neuves de l'épistémologie du temps : dans leurslégendes dorées, les symbolistes envisagent la matière verbale commeune transformatrice aléatoire d'énergie.