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Études françaises, vol. 45, no 3 (2009) - Figures de l'héritier dans le roman contemporain

Études françaises, vol. 45, no 3 (2009) - Figures de l'héritier dans le roman contemporain

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Érudit)

Fondée en 1965, Études françaises est unerevue de critique et de théorie publiée en français. Elle s'intéresseaux littératures de langue française, aux rapports entre les arts etles sciences humaines, les discours et l'écriture. Chaque numérocontient un ensemble thématique ainsi que diverses études. Elles'adresse particulièrement aux spécialistes des littératures françaiseet québécoise, mais aussi à toute personne qu'intéresse la littérature.

Vol. 45, no 3 (2009) - Figures de l'héritier dans le roman contemporain

sous la direction de Martine-Emmanuelle Lapointe et Laurent Demanze

Martine-Emmanuelle Lapointe et Laurent Demanze

Présentation : figures de l'héritier dans le roman contemporain

Laurent Demanze

Les possédés et les dépossédés

Sociologues et historiens de la famille décrivent la modernité comme laperte des communautés traditionnelles qui soudaient l'un à l'autrel'héritier et ses ancêtres. Pour s'inventer librement, l'individumoderne rompt les entraves du passé, mais cette libération est aussivécue chez les écrivains contemporains avec culpabilité. Afin d'yremédier, ils font une place à la fois inquiétante et fondatrice auxspectres et aux revenants de la généalogie, qui étayent et disloquentla parole de l'héritier. C'est ainsi que Sylvie Germain et Jean Rouaud,Gérard Macé, Pierre Michon et Pierre Bergounioux sont des écrivainshantés. Ce sont autant d'héritiers dont les gestes reconduisent desvies antérieures, et dont les mots sont comme magnétisés par lesparlures ou les inflexions des parents. Ces héritiers sont donc enquelque sorte à la fois dépossédés d'un passé familial qui n'est pour eux que ruines et deuil et possédéspar ces êtres absents qui obsèdent leur conscience et parasitent leurparole. L'héritier est alors déchiré par la mélancolie, au point de sefaire tombeau de ses ascendants. À travers la thématique spectrale, lalittérature contemporaine analyse toute la situation ambivalente del'individu contemporain, à la fois orphelin et parricide d'un passéfamilial, et les secousses inconscientes et linguistiques de cetteperte.

Michel Biron

VLB au pays des géants

Cet article étudie la figure de l'héritier chez Victor-Lévy Beaulieu àpartir d'une analyse des deux essais « monumentaux » qu'il consacre àMelville et à Joyce. L'héritier ne se définit pas ici comme un discipleou même un successeur de ses modèles, mais se projette entièrement dansleur oeuvre et dans leur vie au point de les dévorer et de les fairesiennes. Au-delà d'un rapport strictement métatextuel ou intertextuel,VLB s'empare de ces oeuvres pour transformer la littérature en uneexpérience totale parlaquelle se superposent le désir impossible de la grande oeuvre, lahantise de la famille (avec le thème central de l'inceste) et l'échecde la nation.

Élisabeth Nardout-Lafarge

La gloire du dernier. De La gloire des Pythre au cycle romanesque

Cet article analyse, dans La gloire des Pythre de Richard Millet (1995),d'une part la thématisation de la question de l'héritage, à la foisdans des scènes qui figurent sa transmission et dans le portrait dudernier héritier, et le destin que le roman lui attribue. D'autre part,il interroge l'héritage littéraire, en étudiant d'abord le dialogueintertextuel avec certaines oeuvres, puis l'architextualité romanesquerevendiquée dans le roman et déployée au-delà dans le cycle romanesquedont il est la matrice. Ainsi La gloire des Pythre,qui met en scène la disparition d'un monde en même temps que celle dela voix qui la narre, donne-t-elle lieu, paradoxalement, à la relanceinfinie de ce récit de la fin.

Mathilde Barraband

Héritage et exemplarité dans Demain je meurs : l'oeuvre de dé-familiarisation de Christian Prigent

À la suite d'Une phrase pour ma mère (1996) et de Grand-mère Quéquette (2003), le texte Demain je meurs (2007)prolonge l'enquête romanesque de Christian Prigent autour des figuresde son ascendance. Ce récit de la vie du père refuse de se constituercomme récit d'un destin, c'est-à-dire comme ensemble cohérent etorienté dont il serait dès lors possible de déduire une leçon. La viedu père, communiste orthodoxe, aura été entièrement régie par ce régimede l'édification, sa philosophie dirigée par la croyance en un progrèsrégulier, en un sens de l'histoire. Le récit par le fils s'attachera a contrarioà constituer la représentation la plus inexemplaire qui soit de cettevie exemplaire et, ce faisant, à contrecarrer une certaine philosophiede l'histoire, aux deux sens du terme (narration et Histoire). Tout estmis en oeuvre pour éviter la fixation et la progression du sens :variation des points de vue, récits enchâssés, décrochages versifiés,réécritures, parodies, etc. ; pourvu que le récit puisse s'extraire deslieux rhétoriques et idéologiques où l'on veut l'assigner. Le récit defiliation se fait ainsi récit de dé-familiarisation, « traverséecritique des lieux communs et production d'inouï — d'inquiétante étrangeté (Christian Prigent, Quatre temps) », dans lequel le fils tout à la fois expose et liquide l'héritage qui est le sien.

Martine-Emmanuelle Lapointe

Hériter du bordel dans toute sa splendeur : économies de l'héritage dans Va savoir de Réjean Ducharme

Va savoirde Réjean Ducharme multiplie les citations, les référencesencyclopédiques et les fragments d'oeuvres littéraires, sans toujoursen dévoiler les origines et les sources. Sans nier l'importance d'unetelle prolifération intertextuelle, le présent article s'attache plutôtaux discours et aux motifs qui accompagnent les héritages matériels etfamiliaux de Va savoir.En ne cessant de faire retour sur certaines figures, de la ruine à lasouche, en passant par l'enclume, le roman témoigne des apories liéesau fait d'hériter. Il se double par là même d'une réflexion sur leséconomies de l'héritage qui éclaire, à bien des égards, le rapport dunarrateur, Rémi Vavasseur, à son passé et à son avenir.

Dominique Viart

Le silence des pères au principe du « récit de filiation »

Cet article porte sur l'un des traits majeurs des récits de filiation,mis en évidence par chacun d'eux ou presque. Il s'agit du défaut detransmission dont les écrivains présents, ou leurs narrateurs,s'éprouvent comme les victimes. Dans L'orphelin de Pierre Bergounioux, La marque du père de Michel Séonnet, Je ne parle pas la langue de mon père de Leïla Sebbar, Atelier 62 de Martine Sonnet et Le jour où mon père s'est tu de Virginie Linhart, les narrateurs font l'expérience majeure d'une déliaison, s'éprouvent comme orphelins et manifestent par là même une lucidité particulière envers leur situation historique,lucidité qui affecte le processus d'écriture, la matière et la manièredes textes. Ces récits de filiation seraient ainsi, dans une époque endéshérence, la réponse littéraire à l'égarement de notre temps. Sinombre de romans contemporains s'élaborent sur une nostalgie duromanesque, ils semblent s'être engagés, dans leur modestie même, àrenouer les fils distendus de la communauté.

EXERCICES DE LECTURE

Kamagaté Bassidiki

De l'histoire au théâtre historique dans Les Amazoulous d'Abdou Anta Kâ

La pièce Les Amazoulous est tout entière ancrée dans l'histoire. Aussi la question du rapport àl'histoire est-elle incontournable chez Abdou Anta Kâ. Si l'histoireoffre un point de départ au dramaturge sénégalais, sa pièce n'en estpas pour autant une thèse d'histoire. En fait, Anta Kâ se sert del'histoire pour concevoir un théâtre emprunt de référents historiquessans tomber dans l'éloge d'un quelconque passé idyllique. Son oeuvre secontente alors d'en appeler à l'esprit critique de chaquelecteur-spectateur qui est contraint de faire sa propre lecture du faithistorique représenté.

Valérie Stiénon

Roland Barthes et son Journal : de l'inclination à la délibération

C'est à l'occasion d'une circonstance malheureuse, celle de la maladiede sa mère bientôt mourante, que Roland Barthes s'essaie à l'écriturediariste, à Urt en 1977.Cette brève initiation à l'écriture journalière devient rapidement unimportant sujet de réflexion : « Je n'ai jamais tenu de journal — ouplutôt je n'ai jamais su si je devais en tenir un », déclare-t-il en 1979, en ouverture de son article « Délibération » paru dans le numéro 82 de Tel Quel.La question, en effet, requiert pour le moins une délibération : toutse passe comme s'il s'agissait de trouver de nouvelles raisons dedouter, quitte à déplacer la suspicion initiale sur le bien-fondé d'unepratique vers la mise en cause de sa valeur littéraire puis vers cellede sa « publiabilité ». À court d'arguments destinés à sauver leJournal d'une littérature sans preuves où le confinent sa valeurincertaine et sa redondance, la sinueuse délibération personnelle de 1979ne parvient au mieux qu'à lui découvrir une littérarité douteuse, avantd'éluder la question de l'écriture diariste en l'orientant versl'utopie d'un Journal idéal qui serait rythme et leurre,qui inscrirait dans l'idiorrythmie de sa structure une conduite de vieidéale et déjouerait les pièges de l'Imago. Cet article s'emploie àcerner les enjeux de l'écriture barthésienne du journal personnel afinde mettre en évidence son importance comme clé de relecture de laproduction du « dernier Barthes ». Digressive et intermittente, soupleet expérimentale, l'écriture du Journal s'avère convenir à la« papillonne » d'un observateur du quotidien à qui elle offre lesavantages d'une pratique personnalisée et cumulative de la notatio,à condition toutefois d'affranchir cette dernière de l'infatuation dunarcissisme, non assimilable à la véritable subjectivité.