Actualité
Appels à contributions

"Esthétique de l'obscène" (La Voix du regard n°15)

Publié le par Hugues Marchal (Source : La Voix du regard)

Axe général du numéro


Il sagit dabord de redéfinir une notion aux frontières incertaines, aujourdhui extrêmement galvaudée, et qui engage la littérature ainsi que tous les arts de limage, y compris les " images nouvelles " (webcams, etc). Les polémiques récentes (C. Millet, Loft Story, etc) ont replacé lobscénité sur le devant de la scène. Le plus souvent défini de façon réductrice comme une transgression des sphères publique et privée, lobscène savère en fait beaucoup plus complexe, et cest de cette complexité que cette quinzième livraison de la revue voudrait rendre compte, en dehors de tout discours moralisateur simpliste.


Nous souhaiterions poser la question apparemment contradictoire dune esthétique de lobscène, autrement dit poser la question de la réception artistique de lobscène. En effet, dans sa définition canonique et classique, lobscène commence quand la représentation de la chose sexuelle, du crime, de lhorreur, de la cruauté et de la violence nest plus soumise à une fin littéraire ou artistique générale (vs. lérotisme, " sauvé " de lobscène par la beauté). Pourquoi une uvre pornographique ne lest plus dès lors quelle entre dans un musée ? Lobscène est-il donc nécessairement laid ? Y a-t-il contradiction entre esthétique et obscène ? Peut-on trouver belles les images dun désastre ? C'est bien le conflit avec les valeurs platoniciennes (le beau étant chez Platon ontologiquement subordonné au bien) quincarnent les uvres obscènes. On peut dailleurs supposer que cest de ce conflit plus que du christianisme, quémanent les discours moralisateurs qui entourent la notion.


Il faudra également étudier les apports de lère contemporaine au débat : y a-t-il toujours exclusion entre obscénité et esthétique, ou nest-on pas en train dinventer une véritable esthétique de lobscène autour, par exemple, de lusage massif du gros plan, du tremblé, autour du traitement de certaines couleurs, etc Quelle part tiennent aujourdhui, dans la littérature et les arts visuels, les effets qui signifient lirruption du regard dans lespace intime ? Peut-on définir une esthétique relativement unifiée de lobscène ?


Nous avons délimité quelques grands axes qui pourraient fournir larmature de ce numéro :


Lobscène : absolu ou relatif ?


- La question de lobscène mobilise des tabous géographiquement et historiquement variables. Nest-il pas relatif et intempestif (le non-obscène devient obscène par inadéquation à une situation nouvelle : ex. parler dargent quand une vie est en jeu) ? Lobscène ne serait-il donc que le " hors-cadre " ?
- Les différenciations culturelles de lobscène : analyse des chansons et expressions grivoises à travers différentes cultures. L'obscène est très différent d'une culture populaire à une autre. Entre la gauloiserie et le wit, par exemple, il y a un monde et les deux, d'une certaine manière, peuvent être obscènes.
- Prendre en compte les variations contextuelles, mais aussi celles de la seule subjectivité humaine : cf. les débats sur ce qui fait ou non obscénité : ex. le sexe, mais aussi représentation du sang, de la mort, attitude en public, etc). Au XIXe siècle, qu'est-ce qui est le plus obscène : aller voir les cadavres à la morgue le dimanche ou critiquer Géricault achetant des restes de corps pour peindre des chefs-d'uvre ? Dans la Joconde de Marcel Duchamp, qu'est-ce qui choque le plus : la moustache ou le calembour : L.H.O.O.Q. ?


Lobscène dans la galaxie des notions connexes


- Lobscène et labject (quelles différences ? lun semble forcément inclure le sexuel, lautre plutôt le corps "bas" ; approche morale possible des deux termes, pornographie, etc.).
- Lobscène et lobsédant (le refoulé, le hors-scène, la scène primitive, Baubô - la déesse qui fait rire Démeter pleurant Perséphone en lui montrant sa vulve, Pan, Priape, le sacré, Bataille).
- Obscénité et animalité : poser la question de lobscénité animale. Par ailleurs, il y a un thème constant de l'obscénité florale (champignon phalloïde, fleurs vulvaires, photos d'arum par Mapplethorpe, Georgia O'Keefe, Louise Bourgeois, serres décadentes, etc.).
- Pudeur / impudeur.
- Outrage.


Lobscène et le langage (dimension psychanalytique, Freud, Lacan, etc).


- Idée que lobscène apparaît quand lapproche corporelle saccompagne dune " déqualification du langage " : on anéantit lécart entre lacte et la parole. Tandis que la séduction repose sur " lomission élective " (Catherine Labrusse-Riou), lobscène a à voir avec lexplicite absolu. Doù tout ce que lobscène charrie de fantasme : cest une transitivité absolue du langage (cf son succès chez les surréalistes).
- la question du langage est au cur de lobscène : lanimalité privée de parole est insensible à ce problème. Donc lobscène suppose la réactivation dun " univers prélinguistique ". Doù une interrogation sur une poétique de lobscène : peut-on dire lobscène ? Problématique du non-dicible, de linmontrable.


Lobscène et le réalisme


- Comment expliquer que la photographie interroge beaucoup plus lobscène que les autres arts ? Lobscène serait-il davantage du côté du réalisme photographique que du côté pictural ou sculptural ?
- Quand lobscène surgit dans lart pictural, cest le réalisme qui est en cause : "L'Origine du
monde" de Courbet, les dessins érotiques de Rodin. Ce qui avait choqué dans LOlympia de Manet, cétait qu'Olympia soit une femme et non une déesse. Idem chez Caravage à qui l'on reproche de prendre des modèles dans la rue (vieux, mendiants etc.) pour peindre des personnages bibliques.
- Ny-a-t-il pas quelque chose d'obscène dans les films "tirés dune histoire vraie" ? Cette petite
mention n'altère-t-elle pas notre vision du film ? Ne peut-on parler d'obscénité dans des films qui se veulent hyper-réalistes ? L'obscénité serait alors de faire croire à un public que "ça s'est vraiment passé comme ça"


Lobscène et le détail.


- Cf. Le Henaff et Sade. " Exposition sans mesure " : propos de Sade sur le détail dans les 120 journées.
- En arts plastiques, ouvre directement sur lesthétique du gros plan. La pornographie vidéo, lobsession de Loft Story à faire croire que lon " montre tout ".


Les signes de lobscène


- Les gros mots / les gestes sales et leur symbolique : la gauloiserie, lalphabet des signes érotiques surréalistes, Brisset, la maladie de Tourette, Pierre Louÿs, Rimbaud et lalbum zutique, le mauvais goût.
- La tenue obscène ("Cachez ce sein que je ne saurais voir", fétichisme, soulignement des parties sexuées) ; la nourriture obscène (coprophilie, etc.) : idée d'un détournement.
- Le rire obscène.


Lobscène et le corps


- Idée que lobscène correspond à la monstration de lintérieur du corps, qui doit rester caché (XVIè/XVIIè). Doù règles de conduite qui demeurent aujourdhui : la main devant la bouche, etc.
- Pose la question de lenveloppe corporelle et des humeurs : fascination et crainte éprouvée par les Anciens à propos des mouvements de lintérieur du corps, derrière lenveloppe.
- Le principe de décomposition (rapport corps/gros plan) : lobscène contre lidéal (Baudelaire, Rimbaud, la science vs. lamour (topos décadent). Usage agressif de la dénudation qui fait quil y a obscénité : projection de son image vers lautre.


La monstration de lobscène


Question cruciale qui se compose de plusieurs problèmes connexes :
- La scène et/de lobscène (théâtre pornographique révolutionnaire, (cf. compagnie Rafaello Senso), show sexuels contemporains, strip-tease, sites internet, graffiti dans des toilettes, carnaval, exhibition, scénario type de laffriolant).
- limportance de la communication dans la définition de lobscène : ce dernier survient quand la parole, lécrit ou limage font de la chose sexuelle, du crime, de la violence, etc un objet de communication. Lacte obscène peut ainsi être accompli aux seules fins dêtre dit ou montré. Obscène : conjonction subversive de lacte et de la parole, sans que lon sache clairement lequel des deux détermine lautre. Doù tous les jeux possibles sur la provocation.
- Lobscène et la provocation (surréalisme, etc.) : il y a un lien profond avec linsolence (doublon de linsolite, ce qui ne se fait pas, en somme) et la tension du contrat de communication.
- La question de lintentionnalité : quand les médias diffusent certaines images, on peut se demander si la manipulation ou la simple utilisation des images ne sont pas plus obscènes que les images elles-mêmes (le morbide vend bien). Analyser les images de catastrophes.
- Lobscène comme acte de dépl(o)iement et dexplicitation. La webcam est-elle vraiment obscène ? Problématique de lexhibition/inhibition : le phénomène webcam, le recul de lespace intime. Voir à ce propos l'environnement de Duchamp à Philadelphie "Étant donné 1°la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage" où l'on ne voit la scène placée à l'intérieur d'une grosse boîte que par un judas. Tout ceci, pour explorer les rapports de l'obscène au voyeurisme. Voir aussi Magritte.
- la question du regard : cf. Baudrillard.
1) Nous vivons dans le " monde de la transparence ", dans la " perte du secret des choses de lintimité ". Conflit entre lintime et le besoin de visibilité absolue.
2) Pour Baudrillard, est obscène ce quon ne représente plus : il ny a plus de regard subjectif derrière la caméra filmant (passage de lordre de la représentation à celui de la présentation). Le regard ninforme plus (au sens premier du terme) ce qui est montré. Doù la possibilité dune immersion totale dans lintime (qui ne fait dailleurs que reprendre en la métaphorisant lidée dune immersion dans lintérieur du corps). On retombe alors sur le problème du montrable et de linmontrable : lobscène nest plus " ce qui représente mais ce qui présente absolument ".


La définition juridique de lobscène


- Est obscène " lexploitation indue des choses sexuelles, du crime, de lhorreur, de la cruauté et de la violence ".
- Liste des faits obscènes qui tombent sous le coup de la loi : " les représentations de lasservissement, du sang menstruel, des matières fécales, de lurine, et la provocation de la défécation par des lavements comme moyens dexcitation sexuelle ".
- La dimension juridique de lobscène repose sur une définition assez floue de ce qui relève de lhumain et de ce qui relève du non-humain : est jugé obscène " ce qui déshumanise, ce qui dégrade lêtre humain " (extraits de codes civils occidentaux).
- Spécificité des Etats-Unis : arrêt de la Cour Suprême qui déclare que " la liberté de parole a préséance sur la réglementation du matériel obscène ".


La dimension technique de lobscène


La présentation de lobscène est possible grâce à lappareil technique et médiatique : en quoi la technique est-elle au service de lobscène ? Sinterroger par exemple sur limagerie médicale.


La question de la censure et le discours moral


- Revenir à lorigine latine de " obscenus " : sinistre, de mauvais augure, en lien avec le mal. (pluriel " obscena " : parties viriles, excréments).
- Montrer / Cacher lobscène : apposition de feuilles de vigne, voile d'Agamemnon (ou au contraire banalisation de textes jugés honteux (Casanova, etc.). Voir loccultation des images trop dures par la télévision américaine après les attentats du 11 septembre 2001.
- Lobscène a à voir avec lEnfer. Cf " LEnfer " de la Bibliothèque Nationale (lien avec la censure).
- La littérature pornographique : " Ces livres quon ne lit que dune main ".
- Les peintres et la censure : Manet, Courbet, etc.
- La récente affaire de l'exposition du CAPC de Bordeaux "Présumés innocents" (2000) : des artistes réfléchissent au monde de l'enfance notamment à travers la sexualité et la violence. Procès en cours avec lassociation " La Mouette ".
- Idée dune comédie de lobscénité. Le mot se jette rapidement à la figure en guise de condamnation. La bonne conscience joue à se faire peur avec lobscène. Voir les croisades morales pour chasser lobscène du net, ou encore le travail de Jeff Koons : l'artiste joue à choquer plus qu'il ne choque vraiment. Il exploite l'obscène sans l'être ou alors en s'obligeant à l'être.



Un premier corpus


- Lobscène à lâge classique : Aristophane, Lucien, Arétin.

- Les figures carnavalesques, les grotesques. Rabelais, etc. Figures réactivées aujourdhui : Austin Powers.

- En littérature : Tartuffe, Zola, Joyce, Cocteau (Le Livre blanc), Genet, Nabokov, Francion (lobscène comme liberté absolue du roman ?) et la poésie : Rimbault, Desnos, Eluard (à Gala : " le cinéma obscène, quelle splendeur ! ").

- Arts plastiques : voir les scènes de massacre en peinture, les dispositifs optiques de Dürer (à mettre en rapport avec la question du point de vue, donc de la camera, donc de l'illeton), Manet et son "Déjeuner sur l'herbe" (la femme nue au milieu dhommes habillés), mais aussi Goya, Courbet, Bacon, Balthus. Epoque contemporaine : Andy Warhol, petites filles écartelées de Hans Belmer, Bruce Nauman, Jeff Koons, les photos de morgue en gros plan dAndres Serrano, Gilbert et George, les fist-fuckings de Robert Mapplethorpe, actionnistes viennois (en particulier H. Nitsch ou G. Brus), Duchamp, Keith Haring, Tom of Pekin ou Jean-Michel Basquiat. Voir des oeuvres intéressantes en terme de "neutralisation / détournement" de lobscène dans les BD ou chez les graphistes sur Internet. En photographie, on pourra sinterroger sur les travaux de Mathew Barney, Wim Delvoye, Jurgen Klauke, Pierre Monier, Joël-Peter Witkin, Cindy Sherman, Wolfgang Tillmans, Marina Ambramovic, Pierre Molinier, Michel Journiac, Otto Muehl, Barbara Kruger, Sophie Calle. Voir aussi les problèmes posés par lexposition de photos de guerre.

- Art video : Alain Fleischer mais surtout les vidéos faites chez Donguy ou les actionnistes viennois. Voir aussi Pierrick Sorin, plus dans le registre de l'absurde, et aussi Pipilotti Rist.

- Cinéma : Fellini, South Park, le genre pornographique, La Pianiste (Haneke), Les Idiots (Lars von Trier), etc.

- La " symphonie obscène " de Ratzamfor : performance dartistes allemands en uvre musicale (mime, danse et acrobatie) : sur scène, fils tendus, cordages, nerfs, organes, cheveux.

- Le spot publicitaire des glaces Magnum (images dasservissement, signifié sexuel).



Avant d'envoyer un texte sur un sujet de votre choix, informez-nous de votre projet, par courrier ou e-mail : nous devons être en mesure d'établir le sommaire prévisionnel, à partir de vos propositions, au milieu du mois de décembre. Tous les textes doivent être envoyés dactylographiés et sur disquette, accompagnés dune sortie papier.


Pour la partie "Hors sujet" : nous attendons vos propositions.
Pour la section "GALERIE", n'hésitez pas à faire appel à des artistes peu connus dont les uvres n'ont jamais été publiées, et faites-les nous connaître.