Questions de société
Entretien avec Nathalie Quintane, à propos d'Un œil en moins (nonfiction.fr)

Entretien avec Nathalie Quintane, à propos d'Un œil en moins (nonfiction.fr)

Publié le par Marc Escola

Mis en ligne sur nonfiction.fr, le 29 juillet 2018 :

Entretien avec Nathalie Quintane, à propos d'Un œil en moins

[…] Ce "je" n'est pas moi. C'est un "je" sans réelle intimité (loin de l'auto-fiction et de l'autobiographie, disons), un "je" public plus que privé, mis en place dans ce livre essentiellement pour rendre compte de problèmes publics, d'élans communs qui cherchent à s'en saisir et des limites auxquelles ces élans se heurtent. Des limites évidemment très concrètes ; et que j'aie "réellement" souffert ou pas de l'otite mentionnée au début du livre, franchement, on s'en fout. Que ce soit "vraiment" moi ou pas derrière ou dans le "je" de ce livre n'a aucun intérêt. Pour le dire un peu platement : c'est de la littérature. On est dans la vie, et dans la littérature, pas dans un manuel ni un essai. En outre, je ne suis pas un auteur engagé et ce livre ne relève pas de la littérature engagée, qui est une littérature a priori. Le "je" du livre fait toujours tout pour la première fois, aussi tout l'étonne, tout le surprend, et les bras lui en tombent régulièrement. Car rien n'est "naturel", rien ne devrait se passer comme ça. Je n'opte pas, ce qui sous-entendrait qu'une sorte de clairvoyance ou de position privilégiée me permettrait d'anticiper et de choisir plutôt telle forme d'action. Je vais au CAO [Centre d'Accueil et d'Orientation] comme tout le monde, et je fais ce qu'on me dit, c'est-à-dire ce que m'ordonne gentiment l'association qui a délégation de l'Etat pour gérer le centre : de l'occupationnel, comme on dit aujourd'hui. Amener "les gars" en balade, organiser des petits goûters et des parties de foot. Et c'est bien plus cruel, de constater ça, de décrire ça, quand on sait que "par ailleurs", qui n'est pas un "par ailleurs" mais bien le coeur de la situation, il s'agit pour eux ni plus ni moins d'une question de vie ou de mort. Tu viens d'échapper à la mort, on t'y renverra vraisemblablement, mais entre-temps on te donnera l'espoir et le semblant d'un lambeau de vie "normale" : tu mangeras des gâteaux ; tu joueras au foot. Tu tâteras de cette vie-là avant qu'on te l'enlève aussitôt. Bref, tu n'auras sous tes pieds aucun sol stable ; qu'un sol qui se dérobe constamment, et la loi qui ordonne l'asile et son droit sera sans cesse modifiée. C'est cette même irréalité, ce même jaillissement du non-sens, qui m'intéressent dans la bureaucratie - bureaucratie du CAO, bureaucratie de la gendarmerie comme de n'importe quelle institution. J'ai d'ailleurs créé il y a quelques années l'AEPA, l'Association pour l'Etude des Poétiques Administratives. […]

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