Questions de société

"Enseignants chercheurs : les dangers de la réforme", par F. Boulc'h & G. Hagel (Rue 89, 11/1/9).

Publié le par Marc Escola

Enseignants chercheurs : les dangers de laréforme,

par Florence Boulc'h et Gaetan Hagel, enseignants chercheurs,Rue 89 (11 janvier 2009)

Pour lire l'article sur le site de Rue 89.

Le rythme s'accélère dans les attaques menées par legouvernement contre le système d'enseignement supérieur et derecherche. Deux importantes réformes, indissociables de l'actuelledémolition du CNRS, seront mises en place dès septembre 2009 sans qu'ily ait eu concertation : la réforme du statut des enseignants chercheurs(1/2) et la réforme de la formation des enseignants (à venir).

Dans la continuité de la loi de liberté et deresponsabilité des universités (LRU), le projet de décret modifiant lestatut des enseignants chercheurs contribue à la disparition del'université française en transformant les universitaires en employésde l'université.

L'un des principaux points de ce projet concerne lareconnaissance de la modulation de service, alors que jusqu'à présent,le statut des enseignants chercheurs (maîtres de conférences etprofesseurs des universités) repose sur un partage égal entre unecharge d'enseignement et une charge de recherche.

Cette modulation doit s'entendre en double sens : lesautorités compétentes peuvent, de manière discrétionnaire, imposer unvolume de service d'enseignement en hausse ou en baisse.

Certes, la modulation de service était déjà inscritedans les textes antérieurs et permettait de diminuer le service par desdécharges officielles.

L'association inextricable entre enseignement et recherche

Dans le contexte de ce décret, sa systématisationattribue aux autorités de l'université le pouvoir de fixer lesobligations de service. Les universitaires ne jouiront plus alors duprincipe d'égalité antérieurement dû au titre de la fonction publique ;la modulation des services imposée par les autorités locales signeainsi la décentralisation de la gestion des universitaires.

En outre, ce décret instaure l'enseignement commemission par défaut ; en effet, une évaluation négative du travail derecherche d'un enseignant chercheur conduira automatiquement à uneaugmentation de son service d'enseignement.

Il est alors important de noter qu'aucune garantien'est offerte dans le projet de décret aux principaux intéressés pourse défendre contre une mesure unilatérale d'augmentation de ce service.

En parallèle, nous pouvons craindre que l'augmentationdu service d'enseignement ne devienne la règle si, dans le contexte derigueur budgétaire, les universitaires partant à la retraite ne sontpas tous remplacés et si l'affectation de la masse salariale conduit àsa contraction.

Manque de moyens, manque de temps ?

Or, le principal problème dont souffrent lesuniversitaires en France est leur manque de temps pour enrichir leurenseignement et effectuer leur recherche. Le décret néglige totalementla spécificité du métier d'universitaire défini par l'associationinextricable entre l'enseignement et la recherche.

Le projet de décret dégrade aussi fortement le statutdes enseignants chercheurs en vidant de son contenu leur qualité defonctionnaires supérieurs de l'Etat. En effet, le décret stipule queles ressources humaines concernant les enseignants chercheurs sontapprouvées chaque année par le conseil d'administration del'établissement et indique donc la volonté de gérer les universitairescomme s'ils étaient une ressource humaine de l'entreprise université.

Ainsi, les présidents d'université disposeront de leurpersonnel comme ils l'entendront, tant pour les recrutements, pour lespromotions que pour l'attribution des primes. Cette réforme introduitdonc un principe hiérarchique en vertu duquel certains universitairesauraient autorité sur la carrière de leurs pairs.

Le principe de collégialité dénigré

Ce décret mettrait ainsi fin aux libertésuniversitaires dues à la particularité de leur statut. Cette libertéconsistait notamment dans la liberté dont ils bénéficient dans leurpropre enseignement et dans la liberté de recherche à travers le choixdes thèmes de recherches sans pression du marché économique ou desforces politiques.

Le projet gouvernemental dénigre le principe decollégialité qui est la véritable garantie de la liberté del'enseignant chercheur puisque ce dernier n'est pas soumis à l'autoritéd'une tierce personne, mais se soumet volontairement à l'autorité deses pairs.

En renforçant de manière inconsidérée les pouvoirs duconseil d'administration, ce projet de décret poursuit une politiqueconsistant à bouleverser le système universitaire français en faisantle pari que son salut viendra des présidents de ses universités.

Enfin, ce décret est très dangereux pour l'imagenégative de l'enseignement supérieur qu'il véhicule, à savoir qu'ilconduira les étudiants à recevoir des enseignements donnés parobligation et non par vocation.