Essai
Nouvelle parution
Enquête en Armancie

Enquête en Armancie

Publié le par Vincent Debaene (Source : Michèle Sautès)

Armance est, à la fois, le « premier roman » de Stendhal et peut-être, singulièrement, le plus abouti et le plus retors. Dès lors qu'elle fonctionne (ou fait mine de fonctionner) comme un Grand Cryptogramme, l'aventure invite toujours à un « supplément d'enquête » à une écoute nouvelle du scandale de son silence, à une auscultation renouvelée des « signes » qui la scandent. Apparemment, le roman repose sur une liponymie : le secret d'Octave n'y est jamais dévoilé (sauf à Armance même, et au confident Dolier). Mais en fait rien, dans Armance, n'est vraiment ou radicalement tutu. D'un côté, l'énigme est sur-dramatisée : elle mixe le « fatal » du tragique, le « bizarre » du fantastique et l'« affreux » de l'éthique. De l'autre, elle déplace sans cesse son « fin mot » (maladie, crime, misanthropie, philosophie, position socio-politique, mysticisme allemand, impassibilité anglaise, et jusqu'à une conjonction : « ce mais affreux »). Le ratage d'un trait définitoire définitif ou « décisif » affole le discours, qui redevient dis-cursus, se met à « courir çà et là ».

Le fiasco définitionnel compromet l'aventure dans des bifurcations incessantes, il rend l'intrigue littéralement imprévisible, ce dont, d'ailleurs, se vante le héros : « Voilà de ces folies, pensait-il, que jamais on ne prévoirait ». De telles « folies » ne font, évidemment, qu'attiser le désir d'interprétation. Armance oblige à recourir à l'herméneutique, à la rhétorique, voire à la mantique : le texte même y incite, en assurant la mise en scène d'un « destin » le mot y revient à plusieurs reprises, comme sa variante « destinée » auquel il refuse, pourtant, toute évidence. Rien n'interdit, bien sûr, d'analyser l'intrigue après coup, en termes « logiques », et même tout y pousse (c'est ce qu'a fait Beyle lui-même). Mais, pour ne pas rigidifier trop vite le destin, il faut s'attacher d'abord à des incidents, à des accidents, à des dysfonctionnements : Armance met en cause et en crise l'espace, le temps, le genre romanesque voire le livre, le discours et la langue. Il ne faut pas réduire trop vite cette violente étrangeté.