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Enjeux épistémologiques des recherches sur les Bretagnes médiévales en histoire, langue et littérature (Brest)

Enjeux épistémologiques des recherches sur les Bretagnes médiévales en histoire, langue et littérature (Brest)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Hélène Bouget)

COLLOQUE

"Enjeux épistémologiques des recherches sur les Bretagnes médiévales

en histoire, langue, et littérature"

Brest, université de Bretagne Occidentale, 12-14 décembre 2017

 

APPEL À COMMUNICATIONS pour le 30 juin 2017 :

 

Depuis une cinquantaine d’années, le champ d’étude des Bretagnes médiévales a suscité des approches et des questionnements à la fois divergents et renouvelés. Ces changements aboutissent aujourd’hui à une situation contrastée, où de nombreux domaines du savoir paraissent en chantier, pour ne pas dire comme un champ de bataille où il semble difficile de réconcilier les résultats apparemment opposés obtenus suivant des démarches différentes. Dans quelle mesure et de quelle manière la culture populaire et l’oralité ont-elles par exemple été traitées et intégrées à ce champ de recherche ? Comment s’est-on interrogé, peut-on encore s’interroger, avec quels présupposés et dans quelle perspective, sur les origines de la légende arthurienne ou des vies de saints ? La sociolinguistique peut-elle contribuer à renouveler l’approche des langues médiévales ? Dans le domaine de l’archéologie, comment les résultats des fouilles ont-ils été analysés et interprétés et quel usage en est il fait aujourd’hui ?

Ce sont là quelques questions qui nous poussent à rassembler les disciplines qui s’intéressent aux Bretagnes médiévales, c'est-à-dire l’Armorique et les îles britanniques, pour questionner leurs fondements. En effet, que ces disciplines se consacrent uniquement à la période intermédiaire entre l’Antiquité et la Renaissance, ou qu’elles ouvrent leur  réflexion sur la représentation des espaces, des langues et des littératures des Bretagnes jusqu’à nos jours, elles semblent aujourd’hui clivées dans leurs démarches mêmes, qui font naître des résultats apparemment irréconciliables.

La période médiévale se prête particulièrement bien à une enquête épistémologique de ce type car le petit nombre de témoignages conservés laisse la place à de nombreuses ambiguïtés. C’est ce qui la rend sujette à des représentations passionnelles et idéologiques révélatrices des tensions et enjeux relatifs aux époques qui s’interrogent sur le Moyen Âge : leur éloignement et leur altérité favorisent des projections fantasmatiques qui doivent être confrontées à l’approche scientifique des disciplines. Nous souhaitons ainsi réfléchir aux rapports entre réalité et fiction, en littérature comme en histoire, ainsi qu’à la question de la construction et de la diffusion des représentations du Moyen Âge entre les spécialistes et le grand public.

Pour ce faire, nous souhaitons engager une recherche épistémologique fondée sur l’analyse critique des connaissances sur les Moyen Âge breton et britannique, ainsi que sur les principes et méthodes diversement élaborés et appliqués dans ce domaine par le passé et jusqu’à nos jours. Les champs d’investigation privilégiés sont l’histoire, la littérature, l’archéologie, l’histoire de l’art, les langues, la linguistique et la sociolinguistique. Par nature interdisciplinaire, le projet ne saurait aboutir à un catalogue des approches et évolutions par discipline ; au contraire, nous avons pour objectif d’élaborer une histoire croisée des disciplines appliquées aux Bretagnes médiévales. Dans quelle mesure les disciplines convoquées peuvent-elles ainsi utiliser les mêmes sources, mener les mêmes questionnements ? Dans quelle mesure leurs objets d’étude sont-ils similaires ou comparables ? Jusque à quel point peut-on travailler à la confluence des différentes disciplines ? Les divergences épistémologiques ne seraient-elles pas plus fortes à l’intérieur des disciplines qu’entre elles ? L’approche épistémologique permet-elle de repousser ou bien au contraire de mieux cerner les éventuelles limites à l’interdisciplinarité ? L’analyse critique des différents domaines de la connaissance scientifique en médiévistique permet-elle d’aborder le terrain d’étude de façon totalement transdisciplinaire ?

Nous sollicitons ainsi des communications portées par des représentants de différentes disciplines, dans la perspective d’une comparaison avec le domaine d’outre-Manche, dans le champ des études sur l’espace breton au sens large : espaces géographiques, espaces représentés dans les textes et les fictions, espaces de production. Nous proposons aux intervenants de réfléchir selon ces trois grandes orientations articulées autour d’un axe dominant, défini par le questionnement sur la confusion ou bien la convergence des disciplines :

 

Les « Pères fondateurs omniscients »

Quelles sont les méthodes, les principes et les connaissances que nous ont légués ceux que l’on peut appeler les Pères fondateurs omniscients, dont les travaux sont aujourd’hui encore reconnus, exploités ou simplement cités dans les différentes disciplines. Ainsi de Léon Fleuriot, celtisant, présenté comme un spécialiste de l’histoire médiévale de la Bretagne et qui a dirigé une Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne[1], d’Hersart de La Villemarqué, rendu célèbre au XIXe siècle par l’écriture des chants populaires d’Armorique dans le Barzaz-Breiz, mais qui a également consacré plusieurs ouvrages à la littérature arthurienne et aux textes médiévaux composés dans différentes langues celtiques, de Ferdinand Lot, connu chez les littéraires comme le pionnier des études sur le roman du Lancelot en prose[2] et chez les historiens pour ses études sur le haut Moyen Âge franc et son admiration des méthodes allemandes… On pourra s’intéresser encore par exemple aux travaux du chanoine Falc’hun, d’Emile Ernault, de Joseph Loth, d’Edmond Faral et à leurs implications.

À ce jour, des travaux de monographie ou des colloques scientifiques ont déjà permis d’approfondir l’histoire de la discipline en mesurant les apports de grandes figures de la médiévistique comme Gaston Paris[3], Joseph Bédier[4] ou Paul Zumthor[5]. Dans le domaine celtique, les travaux menés sur les collecteurs[6] ont permis de mieux comprendre le rapport entre le Moyen Âge et le nationalisme romantique. Il s’agira dans cette première perspective, d’étudier le rapport entre les disciplines convoquées dans les premières études médiévales, lesquelles ont dessiné le monde clos et secret des origines romantiques ; il s’agira corollairement d’en proposer une cartographie et d’estimer sa postérité. Quelles sont les filiations et les transmissions entre les différentes écoles et les premières générations de savants et de chercheurs ? Dans quel contexte les premières théories et recherches sur les Bretagnes médiévales ont-elles émergé ? Structurent-elles encore les différentes approches disciplinaires ?

 

Nouveaux objets, nouvelles démarches ?

Par comparaison, depuis le milieu du XXe siècle, quels sont les nouveaux objets d’étude et quelles démarches leur sont appliquées ? On observe d’une part l’apparition de nouvelles branches disciplinaires spécialisées comme l’histoire des manuscrits distincte de l’histoire des textes et, d’autre part, de nouvelles méthodes d’approche de disciplines bien établies comme le breton médiéval, pour lequel la sociolinguistique vient doubler l’étude de la langue, ou bien l’archéologie, où la génétique vient proposer de nouveaux fondements à l’analyse anthropologique des structures de parenté. Dans le domaine de  la littérature arthurienne, quels sont les apports de la nouvelle critique littéraire sur les récits de la matière de Bretagne ? Comment ont-elles fait par exemple passer au second plan la question ancienne des origines du cycle arthurien ? Les théories de la réception d’Umberto Eco[7] ou de Hans R. Jauss[8] ou bien encore la théorie des mondes possibles et des univers de fiction de Thomas Pavel[9] permettent ainsi d’aborder sous un angle renouvelé les vastes cycles arthuriens et leur « mouvance » inhérente à l’état de la tradition manuscrite. Dans quelle mesure l’étude à peine amorcée des fragments des cycles romanesques arthuriens peut-elle transformer notre regard sur des textes que l’on considère encore souvent comme clos et limités à une forme canonique davantage forgée par des choix éditoriaux ?

Que pourront dès lors nous apporter les études sur les transmissions des textes et des manuscrits, au Moyen Âge et depuis le Moyen Âge, sur les contextes littéraire, culturel et historique, sur le rôle social des langues, les compétences langagières, les structures de la pensée… ?

 

Représentations savantes et populaires

Enfin le projet a pour ambition de clarifier les relations entre les représentations érudites et populaires sur les Bretagnes médiévales depuis l’époque moderne. Comment se sont créées, transformées et diffusées les représentations savantes ? Quelles sont leurs implications dans les pratiques et conceptions populaires et culturelles au sens large ? En lien avec la figure des « Pères fondateurs omniscients », on pourra revenir sur la constitution et l’influence des sociétés savantes à la fin du XVIIIe siècle. Comment les disciplines telles que nous les concevons et pratiquons aujourd’hui se sont-elles séparées : comment est-on passé d’une confusion omnisciente à la convergence inter- et transdisciplinaire ? Pour répondre à ces questions, il sera utile de dresser l’histoire de certaines chaires, notamment la chaire de « celtique », et l’histoire de la discipline des études celtiques. Comment le patrimoine médiéval (patrimoine historique, archéologique, littéraire, linguistique…) a-t-il été perçu et approprié en fonction de ces différents champs disciplinaires ? Par qui ? Quels usages ont pu être faits de ces disciplines pour construire par exemple un mythe national breton ou gallois fondé sur un Moyen Âge fantasmé ? Les situations de part et d’autre de la Manche sont-elles comparables ?

Dans cette perspective, il nous paraît fondamental de faire apparaitre les oppositions, pour mieux analyser leurs fondements et leurs implications idéologiques, aujourd’hui encore. Nous voudrions ainsi non seulement faire le point sur la doxa dans la recherche consacrée aux Bretagnes médiévales en histoire, en langue et en littérature, mais aussi expliquer les points d’achoppement et les désaccords présents en les rattachant aux différentes écoles et  théories scientifiques.

Le dévoiement de certaines pratiques et méthodes d’analyse explique comment certaines interprétations erronées sur l’histoire des Bretagnes et la littérature dite de la « matière de Bretagne » ont vu le jour. Quelle est la part des représentations idéologiques et politiques propres à ces approches ? En histoire, l’intérêt du grand public continue par exemple à soutenir une production aussi pléthorique que régionaliste, malgré les entreprises épistémologiques de déconstruction des « romans nationaux ». Dans le domaine des langues celtiques et du moyen breton, la vision de langues paysannes, transmises de façon figée depuis les temps héroïques continue à dominer certains travaux. Dans le grand public, elle reste dominante, à peine écornée par l’édition d’une littérature bretonne qui parait toujours aussi inattendue[10]. Peut-on donc aujourd’hui envisager une approche critique du terrain d’étude à travers une relation plus consciente et plus distanciée avec les idéologies ? Sur ce point, il semble exister des différences aussi bien régionales que nationales : comment travaille-t-on ici et là, en France et à l’étranger, sur la Bretagne et les îles britanniques du Moyen Âge ?

Les langues du colloque sont le français et l’anglais. Les actes du colloque seront publiés et les frais des intervenants (transport, hébergement, restauration) seront pris en charge. Les propositions de communication, sous la forme d’un titre et d’un résumé d’environ 300 mots, sont à envoyer à Hélène Bouget (helene.bouget@univ-brest.fr) et/ou à Magali Coumert (magali.coumert@univ-brest.fr) au plus tard le 30 juin 2017.

 

Organisation :

Hélène Bouget (MCF langue et littérature médiévales françaises) et Magali Coumert (MCF histoire médiévale), université de Bretagne Occidentale, Brest, CRBC (Centre de Recherche Bretonne et Celtique) EA 4451.

 

Contact :

Hélène Bouget : helene.bouget@univ-brest.fr

Magali Coumert : magali.coumert@univ.brest.fr

Université de Bretagne Occidentale

Faculté Victor-Segalen

20 rue Duquesne

CS 93837

29238 BREST Cedex 3

FRANCE

 

[1] Léon Fleuriot (dir.), Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, Paris, Champion / Slatkine, 1987.

[2] Ferdinand Lot, Etude sur le Lancelot en prose, Paris, Champion, 1918.

[3] Ursula Bähler, Gaston Paris et la philologie romane, Genève, Droz, 2004.

[4] Alain Corbellari, Joseph Bédier, écrivain et philologue, Genève, Droz, 1997.

[5] Un colloque lui a été consacré en octobre 2015 à l’université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense, organisé par Jean-René Valette et Idelette Muzart-Fonseca dos Santos : « Poétiques de Paul Zumthor, 1915-2015 ».

[6] Plusieurs volumes sont parus dans la collection « Collecteurs » du CRBC, Brest, UBO, diversement consacrés à Paul Sébillot (2011), François Cadic (2011), Jacques Cambry (2008), Jean-Marie de Penguern (2008), Emile Souvestre (2006) ; Nelly Blanchard, Barzaz-Breiz, une fiction pour s’inventer, Rennes, PUR, 2006 ; Au-delà du Barzaz-Breiz, Théodore Hersart de La Villemarqué, dir. Nelly Blanchard et Fãnch Postic, Brest, CRBC, UBO, 2016.

[7] Umberto Eco, Lector in fabula, Milan, Bompiani, 1979, trad. Paris, Grasset, « Le Livre de Poche », 1985.

[8] Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. C. Maillard, Paris, Gallimard, 1978 ; «  Littérature médiévale et théorie des genres », dans Théorie des genres, Gérard Genette et al., Paris, Seuil, Points Essais, 1986.

[9] Thomas Pavel, Fictional Worlds, London, Harvard University Press, 1986, trad. Les Univers de la fiction, Paris, Seuil, 1988.

[10] Yves le Berre et Ronan Calvez, Entre le riche et le pauvre. La littérature du breton entre 1450 et 1650, Brest Emgleo Breiz, 2012. Yves le Berre, La Passion et la Résurrection bretonnes de 1530 suivies de trois poèmes, Brest, CRBC, 2011.