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Enfants perdus, enfants trouvés : discours et littérature sur l'enfance délaissée dans l'Europe d'ancien régime

Enfants perdus, enfants trouvés : discours et littérature sur l'enfance délaissée dans l'Europe d'ancien régime

Publié le par Matthieu Vernet (Source : florence magnot-ogilvy)

Colloque les 14 et 15 avril 2011 IRCL-Université Paul-Valéry.
Enfants perdus, enfants trouvés : discours et littérature sur l'enfance délaissée dans l'Europe d'ancien régime.

"Hélas, ma chère enfant, il n'y a point de condition qui mette à l'abri du malheur, ou qui ne puisse lui servir de matière ! Pour être le jouet des événements les plus terribles, il n'est seulement question que d'être au monde. ",
Marivaux, La Vie de Marianne, IXe partie.

Organisé par Florence Magnot-Ogilvy et Janice Valls-Russell. IRCL. Université Paul Valéry-Montpellier 3.


La question des enfants trouvés, abandonnés, exposés, perdus, délaissés est plus qu'un thème ou un topos dans la fiction : c'est un élément matriciel, sur lequel Marthe Robert a autrefois fondé la distinction générique entre le merveilleux et le réalisme en important le concept freudien de « roman familial » (1) dans le domaine de l'histoire littéraire pour forger celui de « roman des origines  », et dans lequel Jan Herman a vu plus récemment une définition autoréflexive du roman, genre « bâtard » du XVIIIe siècle, l'enfant trouvé devenant une métaphore du texte et de son devenir (2).
La fréquence de la figure de l'enfant sans parent et du thème de l'abandon dans la littérature romanesque a peut-être conduit les littéraires spécialistes du roman à éviter le sujet, de crainte de s'égarer dans une inépuisable réserve de formules et de topoï inlassablement répétés ou encore de sombrer dans un sentimentalisme toujours suspect. La difficulté de traitement du thème tient en effet en partie à son omniprésence à la fois dans les mythes, au théâtre et dans les romans. En nous fondant sur les nombreux travaux d'historiens et d'anthropologues et sans négliger d'observer le fonctionnement en amont du discours social autour de l'abandon et de l'enfant sans parent, nous souhaiterions reprendre la question d'un point de vue à la fois plus large — empan chronologique de plusieurs siècles et aire géographique et culturelle élargie à plusieurs pays et langues— et plus précis — en pratiquant sur les textes une série de microlectures— afin d'examiner ce qui constituerait cette "littérature d'abandon", pour reprendre la formule de l'historien Jean-Pierre Bardet (3). Pour ce faire, nous privilégierons deux pistes :

I. Une direction lexicale et linguistique.
Comme le souligne John Boswell (4) pour justifier son extrême attention aux mots qu'il emploie et à la manière dont il les traduit, la prolifération des termes et la difficulté de les traduire d'une langue à l'autre font de la dénomination une question cruciale, comme le révèle notre approximation délibérée et le triple ancrage de notre titre : "trouvés" en français et en anglais ("foundling"), "abandonnés", "délaissés", mais aussi "exposés" en latin ("expositus", parallèlement à "nutritus" ou "alumnus") et en grec, "jeté" en italien ("gettatello"), sans parler des catégories distinctes mais présentant des points de contact avec les précédentes : enfants illégitimes, bâtards, adultérins, incestueux, ni de la catégorie particulière des orphelins dont les parents sont connus et dont les historiens, comme Isabelle Romero (5) , ont bien montré qu'ils connaissaient un sort bien différent des enfants trouvés aux origines obscures. Les diverses dénominations montrent que l'enfant abandonné ou délaissé est, si l'on change de point de vue, un enfant perdu puis trouvé, recueilli, adopté ; la fiction joue aussi un rôle dans la construction d'un récit autour de et après l'événement qu'est l'abandon ou l'éloignement des parents.
Nous souhaitons donc interroger la logique et la mémoire des langues autour de cette question. Une étude des dénominations qui désignent en latin, en grec, en français, en anglais, en espagnol, en italien, l'être le plus démuni qui soit dans la société d'ancien régime, l'enfant sans parents, nous permettra, avec l'aide des participants à ces journées et de leurs divers domaines de compétences linguistiques et culturelles, d'envisager l'ensemble des manières de désigner et d'envisager ce phénomène. C'est donc au plus près des textes et de leurs mots que les intervenants sont invités à observer le motif et la figure de l'enfant sans parent afin de voir comment la langue est travaillée par des principes, des valeurs mais aussi des contradictions, des inquiétudes et des fantasmes.
Il s'agira bien de "mettre au jour les cadres conceptuels qui se cachent derrière l'usage de la langue – le [nôtre] autant que celui des autres – ou qui le compliquent " (6) et, ajoutons-nous, derrière l'usage de la langue et du discours sur l'abandon que fait entendre la fiction, tant par la reprise d'épisodes vieux comme le monde, que par les incessants et subtils infléchissements qu'ils subissent au fil de leurs réutilisations.

II. Une direction sociopoétique
L'ambition de ce projet est de constituer un faisceau de lectures dont la multiplicité et la diversité pourraient permettre de dégager les caractéristiques et l'évolution d'une "littérature d'abandon", de son fonctionnement et de ses fonctions narratives. L'abandon se présente comme un récit ponctuel dont il faut étudier les modalités précises mais il est aussi le seuil du roman, l'entrée dans le romanesque et, parfois, la condition de possibilité du récit. On pourrait ainsi s'interroger pour savoir quels types de scènes sont induits, comment le ressort dramatique de l'abandon est investi et mis en oeuvre, comment les intertextes dialoguent et circulent, sur quelle temporalité jouent les romanciers, par quel type de personnage, de parole ou de récit l'abandon, qui échappe généralement à la conscience de l'enfant qui le subit, est transmis et raconté à l'enfant et au lecteur du roman, comment la forme de récit (par exemple à la première ou à la troisième personne) influe sur la vision qui en est transmise, quel est le statut des preuves matérielles dans l'énigme de l'identité de l'abandonné, etc. Enfin, dans une perspective plus résolument sociopoétique, nous invitons les participants à s'interroger sur l'existence et la nature des échanges, nombreux, entre textes politiques, juridiques, religieux et littéraires sur le geste et l'action de l'abandon mais aussi sur le statut du sujet abandonné (7).

L'ambition de ce colloque n'est pas de simplifier, d'éclaircir ou d'appliquer aux univers de fiction les données que les historiens et les historiens du droit ont patiemment reconstituées, mais plutôt d'expliquer, de déplier la complexité d'un phénomène – complexe alors, complexe aujourd'hui – qu'il est pourtant nécessaire d'envisager pour lire les textes et mesurer leurs résonances sur les lecteurs que nous sommes, par-delà les siècles. Le problème touche ainsi à notre capacité à lire les textes du passé quand ils abordent une question comme celle des enfants abandonnés, à la fois extrêmement déterminée par une époque donnée et ancrée dans l'imaginaire collectif des sociétés, dans le droit, la fiction, la politique. Nous souhaiterions donc favoriser les échanges entre spécialistes d'histoire, de droit, de littérature des XVIe au XVIIIe siècle et faire de ce colloque un espace de discussion, de travail sur les textes et d'échanges de points de vue.

Les propositions de communication (entre 200 et 500 mots) peuvent être envoyées à florence.magnot@univ-montp3.fr et janice.valls-russell@univ-montp3.fr jusqu'au 28 février 2011.

(1) Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1972.
(2) Jan Herman, Le récit génétique au XVIIIe siècle, Oxford, SVEC, 2009. L'ouvrage de Jan Herman fait le point sur la question en liant fermement le thème de l'enfant trouvé à une redéfinition de la conception du roman au XVIIIe siècle. Il élabore notamment la notion de filigrane, le texte étant le résultat d'un feuilletage de récits et de textes successifs.
(3) "La société et l'abandon", Enfance abandonnée et société en Europe, XIV-XXe siècle, J.P. Bardet (éd.), Publications de l'Ecole Française de Rome, 1991.
(4) Au bon coeur des inconnus : les enfants abandonnés de l'Antiquité à la Renaissance, Paris, Gallimard, 1993 pour la traduction française [The Kindness of Strangers : The Abandonment of Children in Western Europe from Late Antiquity to the Renaissance, 1988].
(5) Isabelle Robin-Romero, Les orphelins de Paris, enfants et assistance aux XVIe-XVIIIe siècles, Paris, PUPS 2007.
(6) Boswell, op.cit., p. 28.
(7)La question du mémorialiste bâtard aux origines obscures chez Courtilz de Sandras et plus généralement dans les romans-mémoires a été abordée par René Demoris dans Le Roman à la première personne du Classicisme aux Lumières, [1975], Genève, Droz, 2000, Chapitre II, "La chance des bâtards ou l'esprit d'entreprise", p. 226-234. Christian Biet attire également l'attention sur les personnages "en défaut de loi commune" dans Droit et littérature sous l'Ancien Régime, Paris, Champion, 2002, chapitre VII "Les personnages en défaut de loi commune : les cadets, les bâtards et les veuves.". Les pages 238 à 247 portent sur la question de la bâtardise de Henriette-Sylvie de Molière chez Mme de Villedieu.