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En lisant en relisant : Conférences sur Don Quichotte

En lisant en relisant : Conférences sur Don Quichotte

Publié le par Marc Escola (Source : Maria Zerari-Penin)

Journée d’étude

 

En lisant en relisant :

Conférences sur Don Quichotte

(équipe CLEA, EA 4083, Université Paris-Sorbonne)

 

Maria Zerari-Penin (org.),

Mercedes Blanco (dir., CLEA)

Roland Béhar (coord. ENS-Ulm)

 

Samedi 14 février 2015

9h00-18h00

En Sorbonne (salle des Actes) /

École normale supérieure, rue d’Ulm (salle des Actes)

 

Classique parmi les classiques, le Don Quichotte de Cervantès est une œuvre qui, selon la définition d’Italo Calvino, n’a « jamais fini de dire ce [qu’elle] a à dire » (Pourquoi lire les classiques, 1991). C’est ainsi que ce « livre de divertissement », ce roman comique, cette manière d’antidote textuel contre la mélancolie, (« Procurad también que, leyendo vuestra historia, el meláncolico se mueva a risa… », « Prologue » I) – que d’aucuns ont pourtant tenu pour le livre « le plus triste qui ait jamais été écrit » (Sismondi, De la littérature du midi de l’Europe, 1813 ») –, tout à la fois tombeau des anciens romans de chevalerie (antiroman ?) et art nouveau de faire des romans, génère, depuis son origine, lectures et relectures, traductions et adaptations, écriture et réécriture. À tel point que, de façon révélatrice, on sait que Jorge Luis Borges – auteur phare, peut-être à son corps défendant, de la littérature postmoderne – en vint à faire du texte en question, et de l’aventure de son « écriture » à l’identique par un fictif polygraphe français, le sujet (apparent) de son Pierre Menard, autor del Quijote.

Autant dire que, à la faveur de sa consécration romantique, Don Quichotte de la Manche a fini par être considéré comme une sorte d’ architexte, de « livre des livres » et de roman des romans, où l’œuvre de fiction, en d’inventives mises en abîme, occupe une place centrale, de telle sorte que la littérature elle-même semble mise en question, si ce n’est un pan de la Bibliothèque gentiment mis à sac ou joyeusement livré aux flammes, comme le montre le fameux chapitre VI de la Première partie, par le truchement de l’examen drolatique (bien que de teinte inquisitoriale et d’envergure critique) de la « librairie » du héros éponyme : l’énumération de certains des livres du personnage, parmi la centaine qu’il détient, face aux plus de trois cents volumes qu’il prétendra détenir (I, chap. XXIV), étant le prétexte du passage au crible de la matière « chevaleresque », épique et pastorale. Une production, il va sans dire, bel et bien réelle, que les lecteurs du Siècle d’Or étaient susceptibles d’avoir lue et que tout lecteur actuel peut encore connaître ou découvrir. Et un tel égrènement de titres, en dépit des plaisantes remarques du curé et du barbier, n’est pas sans introduire, dans une optique moderne, une espèce de vertige référentiel, de trouble, pour ne pas dire d’inquiétude, ontologique, relevant d’une bibliothèque paradoxale : tout à la fois imaginaire et potentiellement vraie. Sur le mode burlesque et parodique, en se construisant sur les ruines d’un fonds chevaleresque qu’il se propose d’anéantir, en intégrant nombre d’échos héroï-comiques d’une tradition italienne encore fort sonore, et tout en se souvenant sans doute de quelque risible Entremés de los romances, Don Quichotte de la Manche accueille, entre autres choses, avec une ironique désinvolture non dénuée d’un esprit de sérieux qui fait mine de se rire de lui-même, une profonde et singulière méditation sur le pouvoir de la fiction et celui de la lecture : une lecture décrite comme ce qui engage l’existence de ce bien vague Quijada ou Quesada, bientôt devenu le reconnaissable et célèbre don Quichotte par la grâce d’une manie livresque créative quoiqu’imitative. Ainsi, tel un écrivain sans œuvre (« y muchas veces le vino deseo de tomar la pluma… », lit-on à propos du Belianís de Grecia, I, chap. I), chemin faisant, au fil des pages cervantines, l’apprenti chevalier errant, flanqué de son folklorique écuyer, inscrit, écrit, les épisodes de son délire romanesque, dans l’espace qu’il est censé parcourir.

Aussi, à l’heure des quatre cents ans de la dernière partie de ce roman d’un lecteur, en quelque sorte, « exemplaire » (J. Canavaggio), d’un lecteur du « pied de la lettre », comprise comme « vérité pure » (I, chap. I), convient-il de rouvrir cet ouvrage, au récit apparemment clair comme de l’eau de roche, écrit « a la llana » (« en la prosa domésica de la vida », Francisco Rico), mais à l’inépuisable discours, en vue de l’examiner en matière d’art et de manière, de comique, d’érotique, ou encore, par exemple, afin d’envisager avec lui la question de l’auteur et de son « sacre ».

Pour ce faire, l’équipe CLEA s’est tournée vers d’éminents spécialistes, lecteurs et « relecteurs » de ce chef-d’œuvre : les professeurs Jean Canavaggio, Antonio Gargano, Nadine Ly et Francisco Rico.

Par-delà les nécessités universitaires, à une époque où la valeur de la littérature est encore mise en cause, au point d’engendrer des défenses contemporaines à son endroit – et la leçon inaugurale au Collège de France d’Antoine Compagnon a efficacement mis au jour ce phénomène (La littérature, pour quoi faire ?, 2007) –, cette journée sous l’égide de Don Quichotte, qui doit bien sûr son titre à l’archilecteur que fut Julien Gracq (En lisant en écrivant, 1980), pourrait bien ressembler à une ingénieuse illustration du « de la littérature que c’est la peine »  de l’hispanophile Valery Larbaud ( cf. « Saintleger Leger : Éloges », La Phalange, 1911).

M. Z.