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Ecritures babéliennes

Ecritures babéliennes

Publié le par Camille Esmein (Source : Violaine HOUDART-MEROT)



UFR LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
Département de Lettres Modernes
Centre de Recherche Texte/ Histoire


Séminaire du CRTH
Année 2004-2005
Coordination : Violaine Houdart-Merot et Daniel Delas


ECRITURES BABELIENNES

8 JUIN 2005

CHÊNES 2, SALLE 217

Dans le cadre de son séminaire annuel, le Centre de Recherche Textes / Histoire organise une journée d'étude sur les « Ecritures babéliennes », le 8 juin 2005 de 9h30 à 17h30.

PROGRAMME DE LA JOURNEE DU 8 JUIN


9h30 : ouverture : Violaine Houdart-Merot (CRTH., U.C.P.)

9h45 : Marie-Madeleine Bertucci (CRTH, U.C.P.), « Variations sur le français : relations du français central et de ses périphéries. »

Le français central renvoie à la norme du beau parler, stigmatisant de ce fait toute autre variété, malgré la grande vitalité des français non standard. Quelle place faut-il faire aux autres variétés ? La question de la légitimité d'une norme endogène se pose d'autant plus que les mêmes mots ont parfois un sens différent dans les périphéries et au centre et que leur coexistence peut perturber la compréhension. On se demandera, dès lors, quelle place il faut réserver au centre aux français des marges, comment l'un et l' (les) autre(s) peuvent cohabiter voire s'enrichir mutuellement. Cette problématique s'inscrit dans celle plus générale de la place du plurilinguisme dans un contexte marqué par un idéal monolingue.
Eléments de bibliographie :
S. Lafage Le lexique français de Côte d'Ivoire, Le français en Afrique n°17, ILF, Nice 2003.
J. Laurent Le Français en cage, Paris, Grasset, 1988
F. Taillandier Une autre langue, Paris, Flammarion, 2004

10h15 : Muriel Molinié (CRTH, U.C.P.), Ecrire : pour renverser la « Babel personnelle »

A la fin de sa Chronique des années égarées (Stock, 1997), Serge Moscovici raconte et analyse longuement un épisode de sa vie errante d'exilé, à la fin de la seconde Guerre Mondiale, en Italie et l'on montrera dans cette contribution, en quoi ce texte s'inscrit « dans la conscience qu'a l'auteur de la pluralité des langues ».
Il a une conscience aiguë non seulement du plurilinguisme qui règne dans les camps d'exilés dans lesquels il séjourne mais également de son plurilinguisme intérieur dont il découvre en 1947, à Nonantola (Italie) qu'il n'est plus le maître. Et c'est bien ce qui l'inquiète, à l'oral et encore plus à l'écrit quand l'envie « d'étudier, de lire, d'écrire» le « reprend ».
L'épisode analysé relate donc la crise que l'errant nomme la "confusion des langues", en référence explicite au mythe de Babel. Le combat pour lui, à ce moment-là consiste à ne pas se laisser enfermer dans cette « névrose de Babel » où règne un langage « décervelé », voué à la seule « communication » entre exilés, une langue non-personnelle, un « no man's language », une « babel personnelle » déconnectée de ce qui a été laissé derrière soi et de ce qui est en projet, devant soi. Il décide alors d'élire domicile (se sédentariser) dans une langue transitoire (l'italien dans un premier temps) tant pour ses échanges que pour ce dialogue intérieur qui recommence à sourdre du côté de l'écriture.
On verra en quoi le « style » plurilingue qui caractérise cet extrait - où affleurent des jeux de langage en différentes langues (vivantes et mortes) montre combien la pluralité linguistique ou, plutôt ce que Moscovici appelle le langage exilique a été, depuis, intégré au projet d'écriture, qui, à partir de Nonantola a pu se réaliser, certes dans une seule langue mais qui pouvait jouer avec d'autres.

11h- 11h15 : pause

11h15 : Rosalia Bivona (CRTH, Italie), Une escapade dans la Babel de l'amour et du langage : L'Esquive d'Abdellatif Kechiche

Dans l'apparente aridité de la périphérie urbaine, Babel avec ses drames, ses déguisements, son théâtre, fait partie de l'ordinaire. Abdellatif Kechiche avec son film L'Esquive, traque le théâtre classique dans des espaces inhabituels, croit aux recoins aussi bien de l'amour que de la langue française. Mon propos n'est pas celui de me pencher sur les lentes alchimies linguistiques vivant au quotidien dans les bâtiments anonymes qui poussent le long des nationales, ni de voir seulement les jeux de miroirs entre la pièce et le langage séduisant de Marivaux et le chaos d'un monde qui a des codes linguistiques, moraux, comportementaux implicites, mais aussi la Babel que, à leur tour, ils engendrent.
Le rôle du texte classique est indéniablement celui de stigmatiser la distance dans le langage des protagonistes, là se joue tout l'humour et le succès du film, mais ce n'est pas une question de distance, au contraire. La proximité entre le langage de Marivaux et celui de la cité est sans doute complexe : tous les deux enchevêtrés dans une merveilleuse étrangeté, ils sont à la fois plus proches et plus éloignés l'un de l'autre. La banlieue est un espace où les codes du jeu aussi bien social que linguistique sont précis et ont leurs propres conséquences, Kechiche jongle non seulement sur ces jeux mais aussi sur leurs limites qu'il confond. Il assume consciemment Babel et la met en scène.

11h45 : Catherine Mazauric (Toulouse), "Transculture et parcours entre les langues"

Vassilis Alexakis et Anna Moï offrent deux versants du bonheur de Babel : l'un, quand le recours à une langue tierce, africaine, ravive les énergies que le dialogue langue maternelle / langue plus jamais étrangère avaient épuisées ; l'autre, parce que l'écriture se joue des langues pour aborder aux langages.
La lecture des textes de ces deux auteurs (Vassilis Alexakis, Les Mots étrangers , Anna Moï, L'Echo des rizières et Parfum de pagode) nous permettra d'envisager la notion de transculture, comme traversée et recomposition, déjouant notamment la question - souvent vécue comme exaspérante par les écrivains - de la langue d'écriture, et offrant, notamment pour penser l'aujourd'hui, une alternative tant au métissage (des langues, des parlers, des cultures) qu'aux constructions identitaires.

L'intervention de Catherine Mazauric sera suivie d'un échange avec Anna Moï, qui, étant de passage en France, pourra assister à cette journée.

12h30-14h : repas

14h : Myriam Jeantroux (Lyon), « Le mot et le masque : l'intervalle du bilinguisme dans l'écriture de Samuel Beckett ».

Nous nous proposons de revenir sur les enjeux des choix linguistiques de Beckett, cet Irlandais devenu un écrivain français dès 1945, qui a passé sa vie à écrire dans une langue ou dans l'autre, et à s'auto-traduire d'une langue à l'autre.
Il s'agira d'abord de définir les raisons du choix du français, puis de montrer que l'une des originalités de l'écriture beckettienne réside non seulement dans l'alternance, mais également dans la coexistence des deux espaces linguistiques. Nous analyserons enfin les enjeux de l'auto-traduction, considérée par l'auteur comme un exercice impossible et cependant nécessaire, rejoignant ainsi la problématique beckettienne de l'acte de création.

14h30 : Joëlle Jean (Toulouse), « Ecrire avec et contre Babel, Grabinoulor , épopée en six livres de Pierre Albert-Birot ».

Il s'agira de dégager les différentes composantes babéliennes de Grabinoulor (engendrement verbal infini et inachèvement, volonté "d'imposer tous les temps et tous les univers", espace de l'utopie et espace utopique, création de la langue-en-barre) puis, plus précisément, de proposer une analyse d'un chapitre où Grabinoulor érige la Tour de Vie, phallus poétique, phare baudelairien, à la fois Babel et anti-Babel.

15h : Echanges avec Aziz Chouaki à propos d'Une virée (V.Houdart-Merot)

Présentation de Une Virée de Aziz Chouaki (par Violaine Houdart-Merot, CRTH., U.C.P.) et analyse de ses enjeux babéliens. Questions à Aziz Chouaki.
Cette pièce, publiée aux éditions Balland en 2003 et montée par Jean-Louis Martinelli au théâtre des Amandiers en 2004, met en scène trois jeunes gens en dérive dans l'Algérie des années 1990, leur virée nocturne et tragique et leur langage, langage composite, métissé, inventé où s'entremêlent arabe, anglais et français. Nous interrogerons Aziz Chouaki, présent durant cette journée, sur la signification et les enjeux de cette écriture particulièrement hybride et « babélienne ».

15h45-16h : pause

16h : Gabrielle Saïd, (CRTH, U.C.P.) « Archipels des langues : Poétique babélienne chez Edouard Glissant et Lionel-Edouard Martin »

A partir de la poétique du Divers formulée par Edouard Glissant, et notamment son développement portant sur le multilinguisme, on s'attachera au langage poétique d'Edouard Glissant (Poèmes complets, Gallimard, 1994) et Lionel-Edouard Martin (Ulysse au seuil des îles, Ibis Rouge, 2004). Le propos consistera à éclaircir l'imaginaire multilingue qui traverse les poèmes, non pas d'un point de vue strictement linguistique, mais essentiellement métaphorique, esthétique et/ou éthique. Les anciennes et tutélaires visions du monde, monochromes et ataviques, sont renversées au profit d'une pensée archipélique, à même d'appréhender la multiplicité du monde et son mouvement inachevé.

16h30 : Christiane Chaulet Achour, (CRTH, U.C.P.), Tenter Babel dans le chaos haïtien : une lecture de Vénénome de Serge Quadruppani.

Un écrivain a une bourse d'écriture à Haïti. Dans son hôtel, il observe une jeune femme venue de Paris, linguiste passionnée par la naissance et la mort des langues. La mission qu'elle s'est fixée est de retrouver une communauté d'enfants qui aurait inventé un nouvel idiome, communauté inaccessible mais dont la découverte la bouleversera. Ce roman, publié en 2004 chez Métailié, est une exploration de la langue et des langues dans un monde où le chaos est la règle. Il est aussi un regard sur l'altérité et la perception que l'on peut en avoir des centres "légitimes" de la culture.

17h : échanges et conclusions.