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Écriture-stigmate : esthétiques de la déviance (Lyon)

Écriture-stigmate : esthétiques de la déviance (Lyon)

Publié le par Romain Bionda (Source : Laboratoire MARGE)

Le séminaire « Écriture-stigmate, esthétiques de la déviance » est organisé par les doctorant.e.s de l’équipe d’accueil MARGE de l’université Jean Moulin Lyon 3 d’octobre 2018 à avril 2019. Ce séminaire s'adresse aux jeunes chercheurs et chercheuses travaillant sur la période allant de la fin du XVIIIe siècle au XXIe siècle. Il sera l'occasion pour eux de présenter leurs pistes de recherche et d'en discuter avec des personnes partageant les mêmes centres d'intérêt.

De L’Homme qui rit à L’Étranger, la littérature s’est souvent faite le véhicule de l’expression d’un mal-être. La souffrance, qu’elle touche au corps ou à l’esprit, laisse des marques profondes, difficiles à faire disparaître, distinguant irrémédiablement celui qui les porte du reste des hommes. Elles deviennent ainsi stigmates.

Historiquement, le stigmate – empreinte au fer rouge faite sur le bras des soldats ou des esclaves romains – marque l’appartenance à une classe sociale, en facilite le contrôle, et peut aller jusqu’à constituer un signe d’infamie lorsqu’il cible le déserteur, le fuyard ou le voleur. Étymologiquement, les stigmata sont des traces profondes, laissées durablement et, pour celui qui les porte, c’est aussi le rappel d’une douleur intense lors du marquage au fer. Pris dans sa dimension religieuse, le stigmate entérine une élection dans la communion avec le divin à travers la souffrance car le terme désigne les plaies du Christ partagées par certains mystiques. Il agit donc en puissant révélateur puisqu’il apparaît dans la chair de l’élu sans autre cause que l’élévation de sa foi. Cependant, dès le XIXe siècle, ceux qui portent les stigmates du Christ sont soupçonnés de folie, d’hystérie ou de machination. La frontière entre élection et infamie se fait alors floue. Dès lors, le stigmate isole celui qui le porte.

Penser l’écriture comme stigmate semble dévoiler des processus de création multiples autour d’un objectif central : exprimer la souffrance. L’écriture-stigmate a pour ambition de laisser une marque durable, gravée profondément à la fois dans l’esprit et la chair. Elle donne à lire la douleur à travers une pratique de mise en tension du texte. Élu ou exclu, l’écrivain interroge non seulement sa place parmi les hommes mais également sa place dans la littérature. L’auteur acte ainsi sa marginalité et explore les formes de la déviance.

L'étymologie latine du terme déviant indique tout d’abord un processus qui écarte du droit chemin, « de la voie, de la direction, de la trajectoire que l'on semblait normalement devoir suivre ». La déviance se définit aussi comme une « manière d'être et de vivre qui s'écarte de celle qui a cours dans une société donnée » (TLF). En conséquence, la double acception du mot, au sens propre comme au sens figuré, fait de la déviance un écart géographique ou moral par rapport à une norme, une majorité, dont résulte un état de marginalité.

Cette dernière entraîne une remise en question des enjeux de la représentation dont la modernité littéraire, qui émerge au XIXe siècle, se fait le défenseur. À partir de Victor Hugo, s’engage une réflexion sur la possible réunion des contraires dans l’art qui inclut désormais dans l'esthétique littéraire la laideur, l'informe, la déviance sous toutes ses formes, ouvrant ainsi les frontières du représentable. L'écart par rapport à la norme n'est plus l'antithèse du sublime, mais un moyen d'élévation vers celui-ci. Lorsque Gwynplaine surgit en 1869, mutilé à vie par une cicatrice allant d'une oreille à l'autre, il est la preuve que la déviance ouvre la littérature aux marges de la représentation. De fait, elle redéfinit ses critères esthétiques par une remise en question de la mimesis traditionnelle, car toute déviance interroge un rapport au réel.

Quatre axes de réflexion sont proposés et couvrent la période allant de la fin du XVIIIe siècle à l’époque contemporaine :

1. Le corps est le premier lieu d’inscription du stigmate en ce que celui-ci est un mal a priori pathologique : la brûlure au fer rouge nous amène à penser et interroger des corps avant tout souffrants, disloqués, déviés. La Passion christique vient renforcer cette vision d’une corporalité mise à mal et va jusqu’à localiser précisément la plaie rougeoyante. Et lorsque cette pensée est sécularisée au plus haut degré, c’est dans le dévoilement d’une sexualité douloureuse qu’elle trouve son expression. Le viol et l’hystérie peuvent ainsi constituer des pistes de réflexion autour de la stigmatisation du corps atteint dans sa matière même.

2. Stigmatiser peut aussi renvoyer à un processus d’exclusion du corps social. L’homme est désormais frappé d’infamie et devient un paria que le monde refuse et réfute. Les minorités, la folie, les secrets de famille, les tabous deviennent autant de marques que de révélateurs du stigmate. Celui-ci se transforme en accusation sévère et publique, en une flétrissure morale qui conduit à l’exclusion de la société. Il nous faudra alors regarder si la déviance produite est acceptée, voire entérinée, par la personne ou le groupe condamné ou si, au contraire, elle est source d’une souffrance que l’écrivain cherchera à exposer, à faire signifier.

3. Le stigmate a également trait, selon l’usage consacré, au sublime et au religieux. L’individu stigmatisé, mis au ban de la société et de l’humanité, découvre par là même une forme d’élection paradoxale. Le stigmate interroge ainsi le rapport de l’écriture avec le divin et le sacré, en même temps qu’il pose la question du sublime, au sens esthétique que Burke lui donne. Du stigmate naîtrait ainsi cette jouissance négative que l’on éprouve lorsque l’on est à la fois terrifié et indemne, plus petit et plus grand que le monde qui nous effraie et nous rejette.

4. Enfin, l’écriture peut elle-même porter les marques douloureuses de sa genèse. Le stigmate vient alors défigurer et altérer le texte, et peut se manifester formellement par l’usage du blanc typographique, par un souci de déconstruction grammaticale, par le refus prononcé ou la subversion des genres traditionnellement établis, etc. … Pour cette raison, l’écriture-stigmate rend propice une très grande perméabilité ou hybridation des genres, elle écartèle ainsi le texte de l’explosion du langage jusqu’à la tentation du silence.

Nous invitons les jeunes chercheurs et chercheuses (doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s) à nous envoyer leur proposition de contribution consistant en un résumé d’une page à l’adresse suivante :

seminaire.doctorants.marge@gmail.com

avant le 1er mai 2018

Les séances se dérouleront les jeudis de 17h à 19h à Lyon aux dates suivantes :

11 octobre, 8 novembre, 29 novembre 2018,

et 24 janvier, 7 février, 7 mars, 21 mars, 11 avril 2019.

Retrouvez toutes les actualités du séminaire sur notre carnet hypothèses:

https://stigmate.hypotheses.org/