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Ecrire (sur) la musique : qui dit quoi ?

Ecrire (sur) la musique : qui dit quoi ?

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Stéphane Lelièvre)

Appel à communications

Écrire (sur) la musique : qui dit quoi ?

 

Journée d’études organisée par l’axe « Littérature et Musique » du

Centre de Recherche en Littérature Comparée

Université Paris-Sorbonne

 

Paris, samedi 15 décembre 2012

 

Procéder à une étude comparée des arts et non des seules littératures est une démarche déjà ancienne, qui trouve notamment sa légitimité dans le fait que les différentes formes d’art peuvent être appréhendées selon des perspectives identiques : art et représentation, art et création, art et langage,… Au sein de ce possible champ d’étude que constituent les arts comparés, les liens que tissent entre elles la littérature et la musique sont tout à fait particuliers. C’est que toutes deux permettent l’expression et la communication selon deux modalités différentes, l’une ressortissant au monde des sons, l’autre à celui des signes graphiques. Une particularité qui, en érigeant la musique comme une forme possible de langage (ce qui, au demeurant, ne laisse pas d’être débattu ou contesté), tantôt place ces deux arts sur un pied d’égalité, tantôt révèle ce qui les singularise.

Leurs relations avec les domaines de la phonè et de la graphè permettent en effet à la  littérature et à la musique de se rejoindre, puisque l’une et l’autre recourent aux signes écrits qui les fixent, dans l’attente d’une possible appropriation par un lecteur/interprète – ce qui inscrit  ces deux formes d’art dans une double temporalité : celle de la pérennité, assurée par l’écrit, celle de l’éphémère, les oeuvres littéraires ou musicales s’actualisant  autant de fois qu’elles sont lues ou interprétées.

Mais les liens entre littérature et musique revêtent également parfois un caractère complémentaire ou conflictuel. Complémentaire puisque toutes deux concourent, par les moyens qui leur sont propres, à cette quête de la poésie – en tant que forme d’expression supérieure, affranchie des contingences humaines – dont chaque artiste est investi ; conflictuel dans la mesure où, en dépit d’affinités indéniables, les moyens utilisés par chacune d’entre elles, mais aussi leurs finalités, les effets produits sur leurs possibles récepteurs diffèrent sensiblement : s’il est bien sûr admis que la musique a pour vocation première de se réaliser dans le domaine des sons, c’est-à-dire d’être exécutée afin que puisse être assurée sa publicité, la littérature, sauf cas particulier, ne se réalise qu’intérieurement, au cours d’une lecture individuelle et silencieuse. Par ailleurs, si toutefois l’on considère la musique comme un langage, se pose le problème d’une adéquation entre la forme (l’agencement des sons) et un éventuel contenu sémantique : la musique a-t-elle pour fonction de signifier, de représenter ?  Tantôt la musique est considérée comme l’art autoréférentiel par excellence (c’est, entre autres, le point de vue d’Alain qui, dans ses Propos sur l’esthétique[1], écrit : « La musique est seulement la musique, […] elle se termine à elle-même et se suffit » ; tantôt est affirmée la possibilité pour la musique d’exprimer, de véhiculer un message. Certes, à la précision supposée du langage verbal, elle oppose un contenu indéfinissable, mais que d’aucuns présentent paradoxalement comme étant très supérieur à celui véhiculé par les mots – voire, pour Balzac, à toute autre forme d’art. Gambara, le musicien génial et fou des Études philosophiques ne déclare-t-il pas : « Vous ne voyez que ce que la peinture vous montre, vous n’entendez que ce que le poète vous dit, la musique va bien au-delà […]. La musique seule a la puissance de nous faire rentrer en nous-mêmes ; tandis que les autres arts nous donnent des plaisirs définis[2] » ?

Cette mise en perspective des lettres et de la musique, révélant dans le même temps analogies et divergences, ne pouvait qu’engendrer une forme de rivalité entre ces deux arts : tantôt la musique est tenue à distance par les auteurs littéraires, qui soulignent les différences irréductibles la distinguant du langage humain, parlé ou écrit. (On se souvient ainsi de certaines déclarations de Théophile Gautier, homme de lettres mélomane s’il en fut, affirmant pourtant dans Les Grotesques sa volonté de « remettre à son véritable rang la musique, que l’on affecte de regarder comme la poésie même, quoique l’une s’adresse plus particulièrement aux sens et l’autre à l’idée, ce qui est fort différent », ou déclarant encore que « la poésie et la musique, que l’on croirait soeurs, sont plus antipathiques qu’on ne le pense communément[3] ») ; tantôt la musique apparaît, aux yeux des écrivains, comme le langage poétique par excellence, permettant de renouer avec la pureté d’une langue originelle définitivement perdue – conception héritée des philosophes des Lumières et que partagent certains romantiques, allemands ou français.

Or le caractère très particulier de cette relation entre musique et littérature, dont le spectre s’étend  de l’ignorance à la rivalité ou l’admiration réciproque, ne se manifeste jamais avec autant d’évidence que lorsque les écrivains décident de faire entrer l’élément musical dans le champ littéraire.  De fait, tout écrit sollicitant une thématique musicale participe, nécessairement, de cette réflexion. Peut-on écrire la musique autrement que par le biais de la composition musicale ? Ou bien doit-on se contenter d’écrire sur la musique, l’objet musical gardant son irréductible singularité sans pouvoir être intégré, assimilé à la trame que tissent les mots ? La réflexion permet des développements différents selon la nature de l’objet littéraire considéré, et/ou la personnalité artistique de son auteur. Qu’il s’agisse d’oeuvres de fiction, d’écrits théoriques ou critiques, de réflexions librement menées dans le cadre d’une correspondance ; qu’il s’agisse d’écrits émanant d’hommes de lettres ou de musiciens analysant leur art ou leurs propres oeuvres, plusieurs questions, nécessairement, se posent :

  • L’auteur choisit-il de rendre compte de la musique par des références ou des citations musicales précises ? Par le recours à certains procédés métaphoriques, ou métonymiques ? S’agit-il pour lui de tenter une transposition d’art ? Ou bien de rivaliser avec la musique en recourant, dans son écriture même, à certains procédés typiquement musicaux ?
  • Quels sont les rôles (dramatique ? esthétique ?) dévolus aux références musicales au sein d’un roman ou d’une nouvelle ? Comment la musique s’inscrit-elle dans le corps du texte  (description/récit de concerts ; citations musicales…) ? Comment sa présence informe-t-elle le texte ?
  • Quelle part est accordée, dans le cas d’écrits théoriques ou critiques, à l’aspect technique de la musique ? Comment, au sein d’un même texte, solliciter à la fois les connaissances scientifiques et la sensibilité, la perception poétique d’une oeuvre ?
  • Faut-il être musicien (plus spécifiquement compositeur) pour parler avec pertinence de la musique ?

Notre journée d’étude se propose d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions, et de compléter les perspectives ici esquissées par l’étude ou la suggestion de nouvelles problématiques.

 

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Les projets de communications (titre et résumé de 2000 caractères maximum), assortis d’une courte biographie, sont à adresser, avant le 15 novembre 2012, à Stéphane Lelièvre (st.lelievre@gmail.com)

 


 

[1] Alain, Propos sur l’esthétique, « Musique », Paris : Presses universitaires de France, 1949, p. 65.

[2] Honoré de Balzac, Gambara in Études philosophiques, I (La Comédie humaine, tome IX), Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1937, p. 436.

[3] Théophile Gautier, Les Grotesques, Fasana di Puglia : Schena ; Paris : Nizet, 1985, p. 204-205.