Essai
Nouvelle parution
Écrire, réécrire. Bilan critique de l’oeuvre de Marguerite Duras

Écrire, réécrire. Bilan critique de l’oeuvre de Marguerite Duras

Publié le par Audrey Lasserre

LA REVUE DES LETTRES MODERNES collection fondée et dirigée par Michel Minard

Editeur de LICOSATHÈQUE (20th) : Michel Minard

LICOSATHÈQUE 19

Écrire, réécrire. Bilan critique de loeuvre de Marguerite Duras

Textes réunis et présentés par BERNARD ALAZET

Volume publié avec le concours du Centre National du Livre

Lettres modernes Minard - PARIS CAEN - 2002

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Avant-propos / Texte reproduit avec laimable autorisation de son auteur ; la version originale contient des notes qui nont pu être indiquées ici.

En écho à la parole de Maurice Blanchot célébrant le chant poétique né du ressassement et de loubli « La poésie est mémoire, voilà lantique affirmation » - loeuvre de Marguerite Duras semble sêtre tout entière lovée dans la conscience de la répétition. Répétition comme parcours, relance et inaboutissement, comme matière fictionnelle et objet de désir, comme substance de lécriture et rythme de son avancée. Car « ce quil importe, ce nest pas de dire, cest de redire et, dans cette redite, de dire chaque fois encore une première fois ». Le discours critique accompagne Duras depuis une trentaine dannées et redit, selon ses procédures propres, ce que cette oeuvre a su déposer et faire vivre durant la seconde moitié du XXe siècle. Avec sans doute ce leurre nécessaire à lécriture, fût- elle seconde, de dire une première fois. Cest en se donnant pour ambition de percevoir dans le corpus durassien les enjeux et les effets de ce processus de la réécriture dun livre à lautre, dune page à lautre, dun mot au suivant «Et qui nest chaque fois ni tout à fait 1[e] même, ni tout à fait un autre » -, que ce recueil détudes a vu le jour.

Mais il sagissait aussi et en même temps de constituer un état des lieux de la critique durassienne, de ses acquis et de ses éclairages comme des questions quelle laisse ouvertes, et de revisiter, à laune de cette oeuvre, les discours théoriques ceux de la stylistique et de la psychanalyse, de la poétique et de la sémiologie - qua produits notre modernité. Cependant, avant de leur donner la parole, il est apparu essentiel de faire entendre celle de Duras commentatrice de son oeuvre et tout aussi bien de son parcours décrivain et dintellectuelle, sil est vrai, comme lécrit ici Christiane Blot-Labarrère, quil ne saurait être question de les distinguer. Duras, on le sait, aura investi les lieux de parole les plus divers, et singulièrement lespace journalistique, attirée par cette écriture fragile, celle du «papier dun jour, éparpillé [e] dans des numéros de journaux voués à être jetés » (Été, 8). Cest en la suivant dans ses parcours multiples, plus souvent chemins de traverse que ligne droite, que Christiane Blot-Labarrère nous permet dentendre ces «paroles dauteur». De cette voix qui accompagne loeuvre, il fallait sacheminer vers celle qui écrit.

Sil apparaît indéniable quil existe un « style Duras », la critique a cependant jusquici peu éclairé ses procédures et, rassemblant ce qui a pu en être dit, jai tenté déclairer la démarche et les outils dune écriture qui, pour exister, puise aux ressources du paradoxe et de labsence. Il semble que les concepts quélabore aujourdhui la stylistique en tâchant de se redéfinir permettent dappréhender le texte durassien comme espace tensionnel, dans lequel écrire sentend comme événement et réécrire comme condition démergence dune voix singulière, tout entière occupée à faire rêver la langue.

Carrefour de tensions, lécriture de Duras lest aussi parce que les différents discours de savoir sy reconnaissent et sont appelés à dialoguer avec elle. Le champ psychanalytique est sans doute celui qui a le plus investi loeuvre et Philippe Spoljar met ici en regard les lectures plurielles et parfois rivales qua suscitées de ce point de vue le corpus durassien. On y perçoit tout ce que lécriture littéraire aura su faire entendre du deuil et de la jouissance, du trauma et de la perte, et combien cest paradoxalement dans la répétition que séprouve la mise à jour de motifs originaires.

Sollicitées par le renouvellement de la forme romanesque au cours du second demi-siècle, les analyses poétiques et sémiotiques se sont, elles aussi, confrontées à la pratique narrative de Duras Madeleine Borgomano en retrace lhistoire difficile et pourtant éclairante, tournant autour de ce pouvoir de fascination du texte durassien, propre à piéger la critique et à faire seffondrer les «barrages» quelle tente de lui opposer. La pratique cinématographique de Duras, analysée par Florence de Chalonge à partir du «cycle indien », problématise pour sa part le système dénonciation qui devient champ dexpérience du travail des voix, réécrivant le livre dans le film et définissant autrement les enjeux narratifs et le rapport texte/image.

Si écrire appelle réécrire, cest en se plaçant du point de vue de la réception, et singulièrement depuis lautre langue ici anglo-américaine que Robert Harvey conclut ce parcours critique en examinant le travail de la traduction, cette autre pratique de la «redite », à laquelle loeuvre de Duras, plus que celle dautres écrivains contemporains peut-être, a été soumise. Mais le texte durassien conduit à interroger le concept même de «traduction» qui perd son acception première pour souvrir à un processus de création immanente devenu modèle de production littéraire.

Au terme de cet état des lieux et au vu des acquis que la critique a pu constituer pour approcher la spécificité dune oeuvre qui semble travailler à seffacer ou à se dérober à un discours évaluatif, il apparaît que cest en entrant dans ce projet de réécriture dont Duras fait lune des clefs de sa production que les chercheurs ici réunis ont pu revisiter et cette oeuvre et ses exégèses les plus marquantes. On le verra, à chaque ligne, sen tend une scansion : celle de lécriture ou de la parole de Duras qui, à tant se répéter, aura réussi à imprimer à nos mémoires la trace de son pas. Et à susciter une nouvelle fois le désir de formuler au plus près, au plus juste, ce que ces textes disent, redisent, inscrivent en se répétant.

Quil me soit permis dintroduire avec Danielle Bajomée les pages qui vont suivre : « Sil est vrai que lart ne nous ravit que dans la mesure où il nous ouvre au monde, parce quil est ouverture dun monde, [] la question se pose dès lors de savoir quel sens inouï, à peine chuchoté, comme retenu, Duras esquisse ou donne à éprouver, au plus aigu de son entreprise, sur les hauteurs du langage, comme dans les balbutiements dune parole à peine ébauchée, voire quelquefois échouée.»

Bernard ALAZET

TABLE

Avant-propos, par Bernard ALAZET.                                                                    

1.         Paroles dauteur les enjeux du paratexte dans loeuvre de Duras, par Christiane BLOT-LABARRÈRE.                          

2.         Faire rêver la langue style, forme, écriture chez Duras, par Bernard ALAZET.

3.         Réécrire lorigine : Duras dans le champ analytique, par Philippe SPOLJAR.  

4.         Les Lectures « sémiotiques» du texte durassien : un barrage contre la fascination, par Madeleine BORGOMANO.                                                                                          

5.         «La Région des voix» énonciation verbale et narration chez Duras, par Florence DE CHALONGE.                                     

6.         Duras traduite, Duras traductrice, par Robert HARVEY.