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Échos des villes : espace et urbanité dans les littératures et le film africains francophones contemporains

Échos des villes : espace et urbanité dans les littératures et le film africains francophones contemporains

Publié le par Marc Escola (Source : Ramon Fonkoue)

Échos des villes :

espace et urbanité dans les littératures et le film africains francophones contemporains

 

« Car la ville renvoie à la société tout entière, dont elle est à la fois le reflet et l’incarnation. » Catherine Coquery-Vidrovitch, “De la ville en Afrique noire”, p. 11.

« La ville malaxe les territoires, nations, patries et continents. Elle fonde le vivre-ensemble qui se déprend du vivre-avec-la-terre. Elle noue le vivre-seul qui se dégage du vivre-pour et du vivre-avec. » Patrick Chamoiseau, Livret des villes du deuxième monde, p. 34.

Si l’on en croit les prévisions de l’ONU, l’Afrique urbaine pèsera démographiquement plus que l’Afrique rurale à l’horizon 2040. Bien que les villes africaines aient souvent été mises de côté, ignorées ou prises en compte bien après les faits par les études urbaines globales, elles ont toujours eu un rôle prépondérant dans la création artistique, tout particulièrement en littérature. En effet, les écrivain·es ont toujours serré de près, à travers leurs œuvres, la problématique du développement et de la vie urbains dans ces sociétés où la ville fut historiquement associée au phénomène colonial. Dans sa forme actuelle, elle s’y développa surtout à partir d’un bourg dont le noyau était le dispositif administratif colonial, auquel s’adjoignait souvent un centre commercial. L’idéologie coloniale laissa une forte empreinte sur les schémas de l’urbanisation. Il en résulta une topographie urbaine singulière, que Mongo Beti captura si justement dans Ville Cruelle par cette formule : « Deux Tanga… deux mondes… deux destins » et dont Frantz Fanon conceptualisa les lignes de fracture dans Les damnés de la terre en parlant de « ce monde compartimenté, ce monde coupé en deux ». L’on conviendra donc que la ville africaine présente une physionomie particulière, héritée de son histoire. Les considérations ci-dessus soulignent la singularité de la ville postcoloniale qui, l’on s’en doute, détermine le regard que pose sur elle l’artiste. Les formes d’urbanisation rapides, contrôlées ou informelles, qui ont marqué les décennies post-indépendances, ont également modelé la topographie urbaine, les expériences de celle-ci et les écrits et les films qui en découlent.

La permanence de la dichotomie ville/campagne dans les premières décennies de l’ère postcoloniale dont rendait compte Roger Chemain (La ville dans le roman africain) reste-t-elle d’actualité ? Force est de noter que la ville africaine contemporaine représente pour nombre d’écrivains un espace qui ne se dessine plus forcément contre un arrière-plan rural, ni nécessairement à travers la dichotomie ville coloniale/ville postcoloniale. Elle offre en effet à l’écrivain sa frénésie, son foisonnement d’hommes et de femmes d’horizons divers, ses couleurs bigarrées, et ses paysages en kaléidoscope, un univers où, comme le soulignait Ananda Devi, l’opulence côtoie toujours le dénuement, donnant aux paysages urbains des apparences baroques. Fidèles à leur vocation, les écrivains et les cinéastes n’ont cessé de témoigner des mutations en cours dans ces sociétés. C’est ainsi que le désenchantement qui suivit les indépendances, l’accélération vertigineuse de la mondialisation, des communications et des migrations, entre autres facteurs, n’ont cessé de façonner le regard que portent les artistes sur ces sociétés et singulièrement sur ces villes. Espaces marqués par des contraires parfois irréconciliables, où se télescopent souvent les référents culturels africains et une occidentalisation hasardeuse, où l’ethos capitaliste affiche parfois sans vergogne sa hargne et son pendant qu’est l’individualisme, nombre d’écrivain·es et de cinéastes africain·es entretiennent un rapport complexe, parfois ambivalent, avec les villes qu’ils et elles écrivent. 

À quelle citoyenneté la ville africaine francophone de notre temps donne-t-elle lieu ? Sommes-nous loin du rapport aliénant entre le sujet et l’espace urbain qui domina les textes fondateurs des littératures africaines ? Comment les textes littéraires et les arts visuels contemporains rendent-ils compte de la vie urbaine, des projections dont cet espace est l’objet, des cultures qui s’y développent et des drames qui s’y nouent ? En d’autres termes, quelle cartographie de la ville nous proposent les écrivains et les cinéastes? Quelles sont les voix et identités urbaines mises en lumière par la fiction et que nous disent-elles des urbanités africaines ? En quoi est-ce que la littérature urbaine africaine diffère-t-elle d’autres modes d’information ou de discours sur “la ville africaine” ? Quels sont aujourd’hui les “lieux” de prédilection de la littérature africaine centrée sur la ville? Dans quelle mesure la ville africaine, produit en même temps que projet de la modernité occidentale, se métamorphose-t-elle au point de se prêter, aujourd’hui, à une lecture postmoderne ? En somme, sous quels angles, sous quelles coutures et sur quels modes la ville d’Afrique francophone se dit-t-elle dans les écritures contemporaines ? Nous faisons chorus avec Antje Ziethen, qui note que loin d’être une simple toile de fond, l'espace “s'impose comme enjeu diégétique, substance génératrice, agent structurant et vecteur signifiant.”

Le présent projet est une invitation aux chercheur·ses d’horizons divers à une réflexion sur la ville africaine francophone dans la littérature et le cinéma contemporains. Il encourage des lectures sensibles au spatial turn qui, au tournant du siècle, ouvre la voie aux approches géocentrées du texte littéraire. Il s’agit de penser cette dernière (la ville) dans sa quotidienneté et son originalité, mais aussi de l’envisager dans la pluralité de ses lieux, dans ses polyphonies, et dans ce que Bertrand Westphal nomme ses “virtualités ignorées”, c’est-à-dire dans sa capacité à rendre compte de dynamiques qui ne s’offrent pas à première vue. Dans ce sens, il s’agira notamment de mettre à profit l’approche interdisciplinaire de l’espace urbain dans l'œuvre artistique, telle que théorisée par Westphal (La Géocritique), pour stimuler la réflexion sur l’imbrication des dynamiques humaines et spatiales dans l'œuvre considérée.

Pour ce faire, nous proposons les axes de réflexion suivants, tout en restant ouvert·es à d’autres angles d’approche :

Cultures et identités urbaines contemporaines

Économie(s) urbaine(s)

Espace urbain réel et espace imaginé et/ou fictionnel

Intermédialité et représentations de la ville

L’imaginaire des villes dans la littérature

La fluidité de l’espace urbain et/ou des identités urbaines

La littérature comme source de savoirs sur la ville

La vie nocturne et la ville qui ne dort pas

La vie quotidienne urbaine

La ville africaine au cinéma

La ville comme espace de contrastes

La ville comme lieu de brassages/rencontres/mélanges

La ville comme foyer de convergences et de tensions identitaires

La ville comme promesse et théâtre de nouveaux possibles

La ville et l’expression du genre/de la sexualité

Les cultures urbaines et l’enfance/la jeunesse

Les déclassé·es dans la ville contemporaine

Les non-dits de la vie urbaine

Les phénomènes sociaux récents dans la ville

Périphéries urbaines/littéraires

Poétique de l’espace urbain dans le film

Topoï, tropes et lieux cultes de la ville

Ville et (dés)illusions de la postcolonie

Ville et modernité africaine

Villes, sens, sentiments, sensations

Ville et environnement/écologie

Villes littéraires et/en mouvement

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Les propositions d’articles (en français ou en anglais), ne dépassant pas 400 mots et accompagnées d’une liste de cinq (5) mots-clés ainsi qu’une brève notice bio-bibliographique de l’auteur·e, sont à envoyer à Ramon Abelin Fonkoué (rafonkou@mtu.edu, fonkoue.ramon@ubuea.cm) et Marion Tricoire (tricoire@grinnell.edu) jusqu’au 31 janvier 2021.

Calendrier

– 28 février 2021 – notification d’acceptation

– 31 mai 2021 – date limite pour la remise du texte intégral

– Été 2021 – évaluation par un comité scientifique

– Début 2022 – publication de l’ouvrage

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Bibliographie indicative

Bachelard, G. 1957. La Poétique de l’espace. Paris : Presses universitaires de France. Bakhtine, M. 1978. Esthétique et théorie du roman. Paris : Gallimard. Barthes, R. 1970. L’Empire des signes. Paris : Flammarion. Barthes, R. 1985. « Sémiologie et urbanisme ». L’Aventure sémiologique. Paris : Éditions du Seuil. Bouvet, R. 2011. « Les Territoires traversés en géopoétique : champ, archipel, contrées, espaces culturels ». La Traversée. Atelier québécois de géopoétique (en ligne : http://latraversee.uqam.ca/entr-ede-blogue/les-territoires-travers-s-en-g-opo-tique-champarchipel-contr-es-espaces-culturels). Brosseau, M. 1996. Des Romans-géographes. Essai. Paris : L’Harmattan. Brosseau, M. 2003. « L’Espace littéraire entre géographie et critique ». R. Bouvet et B. El Omari (dirs.). L’Espace en toutes lettres. Montréal : Éditions Nota bene. Butor, M. 1964. « L’Espace du roman ». Essais sur le roman. Paris : Gallimard. Butor, M. 1982. « La Ville comme texte ». Répertoire V. Paris : Éditions de Minuit. Chamoiseau, P. 2002. Livret des villes du deuxième monde. Paris: Monum, Éditions du patrimoine. Chemain, R. 1981. La ville dans le roman africain. Paris: L’Harmattan. Certeau, Michel de. 1990. L’Invention du quotidien. Paris : Gallimard. Collot, M. 2011. « Pour une géographie littéraire ». LHT 8 (en ligne :http://www.fabula.org/lht/8/index.php?id=242). Coquery-Vidrovitch, C. 2006. De la ville en Afrique noire. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 61e année(5), 1087-1119 (en ligne: https://doi.org/10.3917/anna.615.1087). Genette, G. 1969. « La littérature et l’espace ». Figures II. Paris : Seuil. Lévy, B. 2006. « Géographie et littérature. Une synthèse historique ». Le Globe. Revue genevoise de littérature, tome 146, Genève, 25-52. Prieto, E. 2011. « Geocriticism, Geopoetics, Geophilosophy, and Beyond ». R. T. Tally. (dir.). Geocritical Explorations : Space, Place, and Mapping in Literary and Cultural Studies. New York : Palgrave MacMillan. 13-28. Sansot, P. 1973. Poétique de la ville, Paris: Klincksieck. Suberchicot, A. 2012. Littérature et environnement. Pour une écocritique comparée. Paris : Honoré Champion. Tally, R.T. (dir.) 2011. Geocritical Explorations. Space, Place, and Mapping in Literary and Cultural Studies. New York : Palgrave MacMillan. Westphal, B. 2000. « Pour une approche géocritique des textes. Esquisse ». B. Westphal (dir.). La Géocritique mode d'emploi. Limoges : Presses universitaires de Limoges. 9-39. Westphal, B. 2007. La Géocritique : réel, fiction, espace. Paris: Minuit. White, K. 2008. « La géopolitique ». Kenneth White. www.kennethwhite.org. Zapf, H. 2006. « Literature and Ecology : Introductory Remarks on a New Paradigm of Literary Studies ». Anglia - Zeitschrift für englische Philologie, vol 124, no1, Berlin, 1–10. Zapf, H. 2006. « The State of Ecocriticism and the Function of Literature as cultural ecology ». C. Gersdorf et S. Mayer (dirs.). Nature in Literary and Cultural Studies. Transatlantic Conversations on Ecocriticism. Amsterdam; New York : Rodopi. 49-69. Ziethen, A. 2013. Géo/Graphies postcoloniales. La poétique de l’espace dans le roman mauricien et sénégalais. Trier : WVT Wissenschaftlicher Verlag Trier. Ziethen, A. 2013. “La littérature et l’espace”. Arborescences, (3). (en ligne: https://doi.org/10.7202/1017363ar).