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Nouvelle parution
Echo n°3 - Le Secret

Echo n°3 - Le Secret

Publié le par Pierre-Louis Fort (Source : Rachel Boué)

Le troisième numéro de la revue franco-américaine Echo vient de paraître.

Le thème en est Le Secret

Si l'on suit la variété des réflexions proposées dans ce numéro de Echo, allant de Jean Renart à Benjamin en passant par Derrida et le roman policier, on est tenté de dire que le secret est partout, dans tout et donc nulle part. C'est peut-être, en effet, l'ultime découverte de ces « recherches » que le secret littéraire est par essence un non-lieu, en vertu de quoi la littérature peut advenir. A travers elle, le langage se pose en énigme(s).

Ce secret immanent à la parole littéraire s'est longtemps appuyé sur une réalité objective -  liée notamment à l'identité sexuelle - qu'il faut cacher. Ce schéma, on le sait, a fait les beaux  jours du théâtre baroque dont la trame narrative du roman du XIXe siècle a repris la logique. La littérature du XXe siècle, en se sortant des carcans de l'illusion baroque et réaliste, a mis au jour le secret comme arcane essentiel - tout en le laissant invisible et innommable, comme le dit Beckett. Mais dès le Moyen Age  - Carlos F. Clamote Carreto nous le rappelle -  les fables avaient saisi, dans la forme fusionnelle que représente la métaphore fictionnelle, cette indissociabilité de l'écriture et du secret.

Que le secret soit le fait de l'écriture, c'est ce que les textes de ce numéro de Echo mettent en évidence. La notion de mimesis, vue, depuis les préceptes d'Aristote, comme le fondement de la littérature, s'avèrerait subsidiaire, aux côtés du secret. Si, en effet, la littérature, même au plus fort de sa croyance en l'illusion réaliste, a encore besoin du secret pour se montrer – souvenons-nous de Shakespeare et de Marivaux – c'est que ce dernier constitue in fine l'essence même de la littérature. « Le secret de la littérature, c'est le secret même » dit Derrida. Autrement dit, ce secret reste secret, à jamais séparé, assurant longue vie à la littérature.

Ce secret infini et indéfini que la littérature extrait du langage est un gage de lectures et d'interprétations dont témoignent bien les textes rassemblés dans ce recueil. C'est cette interprétation ou commentaire, posés comme nécessité discursive, que Muriel Walker met au jour dans La nuit sacrée et L'enfant de sable de Tahar Ben Jelloun. Le secret est étymologiquement séparé, en exil, situé dans un hors texte qui émane du texte même. Le romancier Georges Foy, le poète Tony Aiello ainsi que Hélène Cixous, interrogée par l'écrivain Frédéric-Yves Jeannet, avouent que les textes qu'ils écrivent leur échappent, révélant ainsi – est-ce-là le secret ? – toute l'autonomie créatrice de l'écriture.

Indéfini, le secret suscite l'expérience de l'errance, que Derrida, comme l'explique Francesca Manzari, identifie à la condition même du poète  - ce qu'illustre le récit allégorique The Sacred Sharer, de Joseph Conrad, analysé par Antoine Audouard. De même, Michael Cowan et Luc Fraisse repèrent ce principe fondamental de l'errance chez Benjamin et Apollinaire, pour lesquels les méandres imprévisibles de la recherche, et donc du désir, sont l'expression poétique du secret introuvable.

Enfin, cet objet d'une quête littéraire indéfinie peut aussi devenir un instrument narratif d'une grande efficacité, pour la nouvelle noire de Léo Lamarche ou pour L'Enfer, de René Belletto, dont Marion François analyse l'incidence des mécanismes psychiques sur la structure même du roman. L'autobiographie contemporaine semble aussi évoluer sous l'impératif du secret, comme le montre  Sébastien Garaud à propos de Les Romanesques, d'Alain Robbe-Grillet.

Toutes ces exégèses sont l'exigence du secret de la littérature qui reste intact car toujours à inventer.

Rachel Boué