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Appels à contributions

"Echelles extrêmes" (La Voix du regardn° 17)

Publié le par Hugues Marchal (Source : Jocelyn Maixent)

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LA VOIX DU REGARD
Revue littéraire sur les arts de l'image


Avant-projet du n° 17


" Echelles extrêmes "

(titre provisoire)



DATE LIMITE DENVOI DES PROJETS : 15 décembre 2003

DATE LIMITE DE REMISE DES ARTICLES : 26 janvier 2004


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Axe général du numéro




Dans son n° 17, La Voix du regard propose une réflexion sur les échelles extrêmes : le très grand et le très petit . Il ne sagira donc pas dune réflexion générale sur des questions de taille ou de proportions (le grand et le petit).
On pourra engager le questionnement à partir des 3 axes suivants.




1. Les échelles limites de luvre



En littérature, du côté du petit, on sinterrogera sur des formes telles que la maxime comme art de la concentration, le monostiche, le haïku, la saynète, le " bon mot ", le trait desprit, les récits en trois lignes de Fénéon, la " brève " journalistique ou la nouvelle, et à des figures telles que leuphémisme, la litote ou les diminutifs. On se demandera quels rapports ces structures exiguës entretiennent avec le silence (voix brisée, amenuissement), mais aussi avec la recherche du plus grand impact (atticisme, condensation, concetto, pointe, sublime), à comparer, peut-être, au " less is more " des architectes. A linverse, on tentera denquêter sur le gigantisme de structures comme les romans-fleuves du XVIIe ou du XXe siècles, les sommes romanesques du XIXe (Balzac : " on ne relit une uvre que pour ses détails "), les romans-feuilletons (rapport entre petites unités découpées et ampleur globale, les dictionnaires et encyclopédies, le théâtre monumental dun Hugo, dun Novarina ou dun Claudel, les épopées, certaines inscriptions textuelles urbaines ou paysagères (voir le travail actuel dun Éric Sadin), etc.


Dans le domaine des arts de limage, on sinterrogera sur le détail, et on se rappellera que le cinéma classe ses productions en fonction de leur métrage, pour sinterroger sur ces flashs que sont les images subliminales, voire lellipse ou le zapping, et sur les uvres à durée maximale qui proposent, au contraire, des films-pauses à la lenteur parfois irritante, des films-sommes cherchant à capter la profusion de la vie elle-même, ou encore des films-monstres jamais montrés et ainsi de nature quasi mythique. On sinterrogera sur la notion de saga : 1900 de Bertollucci par exemple, ou plus récemment Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana. A linverse, il faudra interroger la tendance actuelle à la très grande brièveté dans le court-métrage (S. Tillotson, etc.).
En matière danalyse filmique, il serait bon dinterroger la tendance générale du cinéma à raccourcir à lextrême la durée des plans (comment filmer le furtif ?), ainsi que les plans-séquences qui constituent lextrême inverse, chez Martin Scorsese ou Brian De Palma notamment.
En arts plastiques, on enquêtera sur les miniatures ou ce que Duchamp nomme " linframince ", mais aussi sur les toiles et sculptures géantes concurrençant les monuments architecturaux, ou sur les uvres de land-art impliquant une vision dordre panoramique voire extraterrestre, quand le point de recul exigé se trouve dans le ciel. On pourra dailleurs se pencher sur limportance donnée à la taille dans une partie de la peinture américaine, via des concepts ou mouvements comme lexpressionnisme abstrait, le pop-art ou le color-field (Pollock, Rothko, Kline), et rapprocher ces aspirations de la great American novel. Bien évidemment, on prêtera une attention particulière aux modèles réduits (" boîtes " diverses, espaces dexpositions reproduits au sein de lespace dexposition, cartes et maquettes) et aux agrandissements (en photographie comme ailleurs).
En architecture, on enquêtera sur les projets visionnaires de Boulée et Ledoux, le gratte-ciel et la cabane (à mettre en rapport avec la littérature danticipation ou la culture américaine du XXe), la sociologie de l'espace d'habitation (du placard japonais aux studettes, de l'appartement aux villas, etc.)

Dans le domaine de la télévision, on interrogera limportance des " programmes courts ", aussi bien dans le domaine de linformation (le concept du flash-info, le " 6 minutes ", etc.), de la publicité (le spot de pub), de la culture (le clip musical, la série Dart dart de Frédéric Taddéi), du divertissement (La minute de monsieur Cyclopède) que de la fiction (Caméra-café, Une gars, une fille). On pourra notamment questionner la corrélation fréquente entre forme très brève et recherche du " grand public ".
A linverse, on étudiera les grandes productions télévisées de la période estivale, ou ces programmes-marathons que constituent certaines émissions de débat ou certaines journées dappel à la charité.
La fiction télévisée pourra être abordée sous langle des distorsions entre temps de lhistoire et temps du récit : voir les séries couvrant en quelques secondes plusieurs années, parfois une vie, et à linverse une série comme 24 heures chrono (étirement de linstant, pratique du " temps réel ").
On pourra également examiner les formes de condensation du discours imposées par les médias (ex : les " petites phrases " des politiques).

On sinterrogera, à la suite de la réflexion architecturale et urbanistique dun Rem Koolhaas, sur les modes de composition et de réception spécifiques à toutes ces compositions à échelles extrêmes. Quels types d" accommodation " exigent-elles ? Les formes brèves, se heurtant au risque de linsuffisance, nimpliquent-elles pas, souvent, des processus originaux de rédaction, de présentation et de consommation, marqués par des stratégies de recueil et daccumulation " en série ", ou encore par des dispositifs de soulignement qui empêchent le ténu de passer inaperçu (via, par exemple, labondance du commentaire théorique) ? De son côté, lampleur ne transporte-t-elle pas toujours luvre du côté du défi, la création et la réception du monumental prenant la forme dune épreuve de " longue haleine ", quasi initiatique, quil sagira de surmonter ? Luvre géante (cathédrale, parades, ville, grandes infrastructures) nest-elle pas liée au collectif , et ne sert-elle pas à le penser ? Nentretient-elle pas également un lien consusbtantiel avec le souvenir (des arts de mémoire de lorateur au désir de résistance à lérosion du mémorial) ? Et comment survit-elle aux interruptions, pauses et découpes qui caractérisent sa production et sa réception, tout comme à lémergence de versions réduites concurrentes, ou au risque de lennui ?

On se demandera enfin comment grandes et petites échelles communiquent. Le grand ne se fait-il pas petit dès lors quil cherche son " essence " (ainsi Valéry note-t-il qu " Un vers est le plus petit poème possible " ?). Et réciproquement, le petit naccède-t-il pas à la monumentalité dès lors quune de ses unités occupe seule la place de luvre (ainsi Une phrase pour ma mère, longue phrase tenue à léchelle dun roman par Christian Prigent) ? Ces considérations amènent à sinterroger sur des procédés tels que le résumé, la ponction, ou laccumulation-répétition (pointillisme, entassements, mouvements de masse et foule dans les ballets ou défilés, etc.), le gros plan (paradoxe du microscope comme travail de macrographie), leffet de loupe, la signature (Yves Klein signant geste minimal le monde rendement maximal), etc. ainsi que sur les formes de liaison ou de déliaison qui font passer luvre " moyenne " à létat duvre " extrême ", tant vers le très grand (transformation-fusion des romans balzaciens en Comédie humaine, montage en boucle des vidéos de Guillaume Paris, stratégies de croissance géométrique des mises en scènes dun Yann Delacour) que vers le plus petit (débitage des polyptiques anciens ou tronçonnement de la série Starwars). On pourrait ici réfléchir à la manière dont, dans le land-art, (Richard Long, Robert Smithson, Andy Goldsworthy, etc.), luvre-paysage sélabore à partir de " petits riens " puisés dans la nature (brindilles, feuilles) ou simplement par intervention propre (pas dans le sable, traces laissées avec une branche), pour un résultat à la fois monumental et souvent éphémère (question de la pérennité). Le rapport entre minutie et grand format pourrait être abordé à travers des objets aussi variés que certains tableaux pompiers, la peinture de Chuck Close (de grands portraits obtenus à partir de petits points ou dempreintes digitales), les vastes portraits peints de Yan Pei-Ming, etc., ou encore donner lieu à un travail sur le portillon de Dürer (1525) et ses avatars, qui renvoient au parcours du fameux illeton dans lhistoire de lart, jusquau célèbre " Etant donnés 1) La chute deau 2) Le gaz déclairage " de Marcel Duchamp.
En outre, il serait intéressant détudier le rapport entre le projet et sa réalisation (Christo, Georges Rousse, sculpture devenue superstructure, etc.), et on sinterrogera aussi sur les espaces marginaux qui sont à la fois composés de manière autonome et chargés de jouer le rôle de miroir dune construction parfois très ample : le logo, la quatrième de couverture, la bande-annonce, le jingle, le générique, etc.
Enfin, on se demandera comment les deux domaines sont liés à la quête dun record.





2. Limaginaire, les motifs et les techniques associés au très grand et au très petit



Examinant les versions contemporaines ou historiques du vertige pascalien des " deux infinis " , on sinterrogera sur la peur que suscitent les dimensions dans lesquelles nos certitudes anthropocentriques se dérobent : hantise du microbe, du virus, de la bête infime, donc infâme, capable de se glisser en nous (épidémie / pandémie, le petit à grande échelle), crainte de larme assez fine pour percer toute armure, stupeur face à linfiniment grand, aux espaces stellaires ou aux monstres gigantesques..


Autour des avatars de Gulliver ou dAlice au pays des merveilles, on étudiera la dynamique des récits et films fondés sur un rapetissement des personnages, ou sur leur croissance extrême : comédies ou tragédies du rétrécissement (Les veuves au maquillage de Pierre Senges, Chérie, jai rétréci les gosses, etc.), explorations didactiques et/ou fantasmatiques dun territoire ténu qui est aussi souvent un espace caché (documentaires entomologiques, Microcosmos, voyages au sein du corps, etc.) ; rencontre de ou ingestion par le très grand (type Micromegas, " villes tentaculaires ", etc). On prendra en compte les films dhorreur de série B jouant sur le motif de linsecte énorme, et plus largement, on pourra travailler sur des couples de lextrême : lilliputien vs. géant, bonzaïs vs. séquoias, bateau en bouteille vs. baleine avaleuse de bateau, microgrammes sur grain de riz vs. inscriptions géantes, Laurel et Hardy, Lion et rat, etc.

_ On encouragera un dialogue avec les scientifiques qui ont pour objet de recherche des objets de taille problématique. Comment astrophysiciens ou spécialistes de la cellule, des fractales ou de latome construisent-ils et éprouvent-ils les réprésentations abstraites, de lordre du modèle, quils sont obligés de mettre en uvre faute dun accès immédiat à leur matière ? Quelle est la réalité dobjets tels que certaines particules infra-atomiques, ou de cette " matière noire " nécessaire à la masse de lunivers ? Comment les visualiser ? Les piéger ? De quelle façon lhistoire médiologique des techniques dobservation a-t-elle modifié nos savoirs et façons de vivre ? Pourquoi les lois qui régissent notre échelle deviennent-elles relatives passées certaines bornes ? Ces " dimensions " nouvelles offrent-elles de nouveaux espaces de conquête à lexpansion humaine (des " nanotechnologies " aux ascenseurs cosmiques), et aux arts (de la pyrotechnie à lémergence dune esthétique " biotechnologique " chez Stelarc, Orlan, Art Orienté Objet, Symbiotica, Patricia Piccinini, etc.) ? Comment ces thèmes sont-ils repris dans les uvres danticipation ?


On ne se contentera pas, bien sûr, de ces approches littérales. Petite et grande dimensions ont de nombreuses valeurs figurées, dont témoignent des séries de termes comme grandeur, petitesse, largesse, largeur, magnanimité, mesquinerie, majesté ; petit-bourgeois, gagne-petit, petit-maître ; etc. Plus largement, on pourra aborder des thèmes comme les petits enfants, le minorat vs. le majorat (légal), la minorité vs. la majorité (politique), les micro-états vs. les superpuissances ; les happy few vs. le " grand " public ; le style humble vs. le style élévé, le souffle, la grandiloquence; etc.


3. Les liens qui unissent thème et forme à ces échelles extrêmes


On sintéressera aux cas de concordance, avec par exemple le lien entre célébration des grands et monumentalité des uvres (quon songe à la longueur des discours publics dans les pays totalitaires), ou les jeux iconiques sur le petit et lamuï (comme dans " Les Djinns " de Hugo). La pratique dun Ponge, ainsi que certains courants esthétiques récents (" écrivains minimalistes ", école littéraire du " minuscule " et du " presque rien ", etc.), pourront être examinés dans ce sens.


On explorera aussi les cas inverses de discordance, quand une ampleur formelle semble servir un thème étroit (poésie didactique Delille, etc., boursouflure, style héroïcomique, images farcesques dans lesquelles Wim Delvoye propose de tailler en lettres gigantesques dans la roche des falaises des phrases banales relevant du post-it ou du pense-bête, statues de Jeff Koons, etc.), ou quand à linverse lampleur du sujet paraît comprimée dans un espace concis (concours de résumé de Proust en quelques phrases organisé par les Monty Python, " time-capsule ", etc.).
On pourra interroger la hiérarchisation de linformation télévisée (un événement " majeur " en une phrase, en une image vs. un événement mineur en plusieurs minutes). Et de la même manière, en architecture, on réfléchira à la façon dont on peut réinterpréter le gigantisme de certains installations industrielles (ces flèches dusine de Rouen qui, chez Maupassant, viennent concurrencer celles des églises), fonctionnelles (échangeurs dautoroutes, tunnels " pharaoniques ", etc.) ou commerciales (supermarchés " Géant ", " mall " anglo-saxon, etc.) en termes de représentation des valeurs ou des flux.


On pourra alors analyser des concepts tels que ceux dobjet-univers et dobjet-point, et les images qui les associent (luf, lembryon, le chaos, laleph, etc.).


Tous ces axes proposent un éventail de sujets possibles très ouvert : ainsi se termine cet avant-projet très long, qui en loccurrence mime son objet


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Avant d'envoyer un texte sur un sujet de votre choix, informez-nous de votre projet, par courrier postal ou électronique : nous devons être en mesure d'établir un sommaire prévisionnel, à partir de vos propositions, le 15 décembre 2003.

Une fois le projet accepté, tous les textes devront être envoyés dactylographiés pour le 26 janvier 2004, à l'adresse suivante (version papier seule, inutile pour ce premier envoi de joindre une disquette).