Essai
Nouvelle parution
E. Fournier, La

E. Fournier, La "belle Juive". D'Ivanohé à la Shoah

Publié le par Marc Escola

La "belle Juive" - D'Ivanhoé à la Shoah
Par Eric Fournier


Paru le: 20 janvier 2012
Editeur: Champ Vallon
Collection: Epoques
ISBN: 978-2-87673-563-7
EAN: 9782876735637
Nb. de pages: 373 pages

Prix éditeur : 26,00€

      
Créée par le romantisme, puis investie des attentes fin de siècle, encore présente lors de la Shoah, la "belle Juive" - une invention d'hommes non juifs - est une figure porteuse d'altérités enchevêtrées : l'Orient, les Juifs, les femmes.

Fascinante et mouvante, elle est autant un archétype partagé qu'un champ d'affrontement capable d'exprimer une féminité sublime, les tensions entre genres, un antisémitisme fanatique ou encore un philosémitisme ambigu. La "belle Juive" est avant tout une figure imaginaire mais elle peut agir sur des êtres de chair. Quelle est son influence sur les Juives de France, de la prostituée anonyme aux Stars d'exception, telle Sarah Bernhardt ? Cette figure dit la beauté du monde et la violence du temps ; la quête d'un idéal esthétique et les épreuves vécues par des femmes.

Agrégé et Docteur en histoire, Éric Fournier a notamment publié Paris en ruines : du Paris haussmannien au Paris communard (Imago, 2008).
 

Sommaire:

CRISTALLISATION
 
L'avènement
Une beauté sublime
Le champ des possibles
 
L'EPREUVE DU REEL
 
Une beauté invisible ?
Courtisanes et prostituées
Actrices et modèles
 
FIN DE SIECLE, FIN DE REVE
 
La trivialisation du thème
La femme fatale
L'antisémitisme
Femmes réelles
 
DISPARITIONS
 
Entre prégnance et effacement
La "belle Juive" face au fascisme français
Banalisation et intégration ?
La "belle Juive" mutilée
Quelques

*  *  *

Dans Libération du 29/3/12, on pouvait lire cet article:

Le fantasme de la «belle Juive»

Critique/Une histoire fatale de femmes

Par YANNICK RIPA

"Judith, Esther, Rébecca, Salomé, Sarah… du Moyen Age au siècle des Lumières, ces figures ont participé de l’évocation picturale de la Bible, mères éplorées puis salvatrices de leur peuple. Elles deviennent au XVIIe siècle, sous la plume de Racine, des modèles pour jeunes filles. Ces évocations ne convoquaient ni une singulière beauté ni la judéité, éléments fondamentaux au XIXe siècle de la «belle Juive» née de l’imaginaire goy français. L’historien Eric Fournier suit le parcours heurté de ce motif, analyse sa composition évolutive et ses relations changeantes avec la matérialité sociale. L’étude, originale et audacieuse, conduit de l’avènement de la «belle Juive», depuis la traduction en 1820 d’Ivanhoé de Walter Scott, qui sublime Rébecca, jusqu’à la proposition en 1938 de Montandon, prêt à mutiler le nez des Juives pour tuer leur beauté.

«Solaire». Dans le livre, ce motif se trouve confronté à «un débat historiographiquement sensible» sur l’existence, ou pas, d’un «type propre aux Juifs». La «belle Juive» peut être à la fois un instrument de l’élaboration de «l’invention du peuple juif» exempt de métissage, selon la vulgate sioniste, et un outil de dénigrement racialiste. Face à un sujet aussi délicat, l’auteur préconise de ne pas juger avec nos critères des propos tenus en un temps où «l’antisémitisme n’est pas un enjeu politique sur lequel il faut se positionner». Aussi, le livre réfute l’invariabilité de la singularité de la «belle Juive» repérée par Sartre (Réflexions sur la question juive), comme «une proie et une victime, un motif indubitablement antisémite, révélateur d’un sadisme sexuel» et se démarque de la «conception tragique de l’histoire» d’un Poliakov (Histoire de l’antisémitisme) qui relie l’antisémitisme antique et le nazisme. Il se refuse donc à utiliser «le seul filtre de l’antisémitisme ou du philosémitisme» qu’il estime mener à une impasse.

Sa chronologie de la gloire et des déboires, enchevêtrés, de la «belle Juive» dessine des tendances. A un emploi timide de cette expression par un XVIIIe siècle qui attaque l’exégèse chrétienne, succède la consécration de la «belle Juive», figure obligée du romantisme, élément clé du rêve orientaliste : elle est la beauté, intemporelle, éternelle, irréelle, «beauté sublime», selon Balzac, et «solaire», suggère Michelet. De la «belle Juive», au regard de braise et à l’abondante chevelure noire, émane une lumière, «manifestation de la présence divine», une beauté supérieure à toute autre car elle est «la fusion rayonnante de la grâce biblique et des charmes brûlants de l’Orient» ; rien ne semble l’atteindre, pas même la misère des ghettos dépeinte par Gauthier, prisonnier des stéréotypes dévalorisants de la judaïté. Or, souligne l’ouvrage, c’est là, plus qu’en Orient, que ses adulateurs ont pu croiser des Juives, bien plus aussi qu’à Paris dans leur petite communauté, et encore moins dans les bordels où, contrairement aux dires malveillants, elles sont rares.

Mais cet imaginaire ne se nourrit pas du réel : «Les laudateurs de la "belle Juive" se désintéressent de ses avatars contemporains.» En ce «siècle tranquille du judaïsme français», la «belle Juive» passe du ghetto à l’émancipation, par la voie de l’ascension sociale de courtisanes, figure balzacienne par excellence, ou de révolutionnaires, telle l’Hérodiade de Sue. Mais dans la vie, la réussite d’une Rachel est due à son talent, non à son physique, éloigné des codes de la «belle Juive». Cet écart ne freine pas les antisémites, minoritaires mais aussi violents que la charge des Goncourt dans Manette Salomon, expression de la hantise d’une invasion juive.

Altérité. Cette hostilité inaugure le second XIXe siècle. D’abord marqué par une nette trivialisation, sous le signe de la femme fatale, voilà le thème victime, tout comme Sarah Bernhardt, de l’offensive antisémite qui culmine avec la publication de La France juive de Drumont en 1886. Désormais la «belle Juive» est une figure de l’altérité. Certes positive chez les philosémites qui en font une patriote, elle perd de son universel comme de sa beauté qui n’est plus le reflet du divin. Les années 20 puis la montée du fascisme la minorent ; elle est une insulte : Blum est assimilé à «une Juive lubrique»."