Édition
Nouvelle parution
E. et J. de Goncourt, L'Art du XVIIIe siècle, édition de J.-L. Cabanès 

E. et J. de Goncourt, L'Art du XVIIIe siècle, édition de J.-L. Cabanès

Publié le par Alexandre Gefen

Edmond et Jules de Goncourt, L'Art du XVIIIe siècle, édition présentée et annotée par Jean-Louis Cabanès

Tusson, Du Lérot, 2007 Vol. I (425 p.) :  Watteau, Chardin, Boucher, La Tour, Greuze, Les Saint-Aubin

Vol. II (385 p.) : Gravelot, Cochin, Eisen, Moreau, Debucourt, Fragonard, Prudhon

EAN : 9782355480089

Les 2 volumes : 85€ Présentation :

Les monographies qui composent L'Art du XVIIIe siècle ne visent pas à l'exhaustivité. Les deux frères dédaignent la peinture d'histoire. Ils privilégient les toiles ou les dessins qui leur semblent anti-académiques : fêtes galantes, natures mortes, portraits au pastel. Ce n'est pas la grande manière qui les intéresse, mais ce qu'on pourrait appeler, en se souvenant de Verlaine, le « mode mineur ». Ni Restout, ni Subleyras ne sont convoqués, sinon occasionnellement. En revanche, à côté des grands noms (Watteau, Boucher, Chardin, Fragonard, Greuze, Prud'hon), on voit surgir des dessinateurs et des graveurs (Eisen, Gravelot, Moreau, Cochin, Augustin de Saint-Aubin, Gabriel de Saint-Aubin, Debucourt). Les Goncourt réservent donc une part importante au dessin d'illustration : il témoignerait qu'au XVIIIe siècle l'exigence artistique se manifesterait jusque dans les « minusculités » des vignettes. Les objets, y compris ceux de la vie quotidienne, n'y seraient pas coupés de l'art. Le siècle des Lumières serait donc un siècle organique.

Ils l'analysent encore d'un autre point de vue. Les toiles, les dessins de Boucher et de Fragonard voilent, dévoilent, jouent d'un colin-maillard érotique. Quant à Greuze, il se plaît trop à évoquer les infortunes de la vertu pour être parfaitement honnête. C'est un « féminaire de la peinture » (Alain Buisine) que l'on découvre en lisant L'Art du XVIIIe siècle. Si la « libidinerie » humaine se manifeste dans les tableaux, le désir semble parfois guider et inspirer la plume des Goncourt lorsqu'ils en rendent compte. Ils donnent à leur tour du plaisir à leur lecteurs par cette érotisation de l'écriture.

Les Goncourt ont écrit leurs monographies à une époque où l'histoire de l'art se donnait des bases scientifiques. Les deux frères, qui demeurent des amateurs et des collectionneurs, sont aussi  des érudits. Ils gagent leurs études sur ce qu'ils appellent des « documents intimes », se fondent sur les brochures et les pamphlets du temps, sur les comptes rendus des salons. Sans confondre les systèmes sémiotiques, ils mettent souvent en relation les textes littéraires et les tableaux, comme pour saisir un esprit du temps. Se réclamant surtout d'une appréhension directe des toiles et des dessins, ils s'intéressent au tracé des gestes de l'artiste, à la matière picturale, pratiquant ainsi ce que Dominique Pety appelle un « formalisme subjectif ». Tout devient alors indice, les réserves de blanc, les taches, la gestualité de la touche, l'épaisseur des pigments.

Les monographies, qui s'écartèlent ainsi entre démarche biographique et démarche formaliste, s'imposent en même temps comme des textes pleinement littéraires. Les deux frères s'efforcent d'énoncer la jouissance optique que leur procure un tableau. A l'impropriété créatrice d'un Chardin qui donne l'illusion du blanc avec du bleu, correspondent les approximations souvent métaphoriques de l'écriture des Goncourt lorsqu'ils tentent de décrire « le cela presque inexprimable qui est dans un objet d'art ».

C'est donc un document sur une période de l'histoire de l'art, mais aussi un monument de la prose poétique que cette édition de L'Art du XVIIIe siècle, dans sa présentation comme dans ses notes, a voulu faire revivre.