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Dynamiques de l'irrespect, entre idéalisme et nihilisme

Dynamiques de l'irrespect, entre idéalisme et nihilisme

Publié le par Marielle Macé (Source : Julien Roumette)

Dynamiques de l'irrespect,

entre idéalisme et nihilisme

6 et 7 mai 2010

" L'homme blanc a une qualité qui lui fera faire du chemin : l'irrespect ". L'irrespect, valeur essentielle de notre civilisation ? L'intuition d'Henri Michaux, dans Un barbare en Asie, est provocante, comme il se doit. Faire du chemin : l'image est significative. La modernité, le progrès, le culte de la nouveauté, autant de dynamiques qui demandent de ne pas trop se sentir lié par ce qui existe.

L'affichage d'irrespect fait partie de la tradition littéraire, qu'elle secoue périodiquement pour la remettre en cause : une certaine tradition médiévale (celle des soties, par exemple) ; la Renaissance, de Rabelais à Cervantès, ou Shakespeare ; tradition que les libertins reprendront avant que le siècle des lumières en fasse une condition de la réflexion, presque une vertu, de Diderot à Beaumarchais ou Voltaire ; à la fin du 19ème siècle, les mouvements fin de siècle, de Jarry aux fumistes, l'illustrent avec éclat, et jusqu'à Gide déclarant : " mon devoir est d'inquiéter ", parmi beaucoup.

Le 20ème siècle fait partie de ces époques de crise où l'irrespect, parce qu'il incarne un réflexe vital pour la pensée, est cultivé comme une valeur. La critique de Michaux est caractéristique d'une époque, les années Trente, où la virulence du conflit idéologique exige presque l'irrespect en préalable à toute pensée comme à toute création véritable. Mettre en discussion, ne rien accepter tel que, provoquer, sont des exercices salutaires. La nécessité s'en fera peut-être encore plus sentir dans les décennies suivantes. Ce n'est pas par hasard que des écrivains issus de la Résistance trouvent là un moyen d'expression privilégié. Romain Gary cultive l'irrespect dès le début de son oeuvre, à une époque qui l'accepte mal (Tulipe, 1946) et au risque de crier dans le désert. La génération d'après-guerre se reconnaîtra dans les farces tragiques du théâtre de l'absurde, volontiers irrespectueuses, de Ionesco, qui s'amuse à joliment dynamiter tout ce qui commande le respect, à Beckett. Des surréalistes aux situationnistes, toute une tradition cultive l'insolence et l'irrespect comme une forme d'authenticité. Elle a en particulier irrigué le roman policier et la science-fiction, qui se sont données les coudées franches pour bousculer et provoquer leur époque. Y a-t-il roman plus assassin pour Staline et ce qu'était devenu le communisme que 1984 d'Orwell ?

La dynamique de l'irrespect va souvent de pair avec le raccourci humoristique qui désacralise en un coup de vent, et libère. Désacralisation qui est, en même temps, une prise de contact. L'irrespect n'est pas, en effet, le strict contraire du respect. Pour Pascal, par exemple, l'inverse du respect, qu'il rapproche de l'estime, est le mépris : deux sentiments qui ont en commun l'établissement d'une distance. L'irrespect, au contraire, nous semble-t-il, et jusque dans sa dimension de provocation, appelle une réaction. " Il n'y a pas de valeurs concevables sans l'épreuve de l'irrespect, cette agression par la moquerie que la faiblesse fait constamment subir à la puissance pour s'assurer qu'elle reste humaine ", écrit Romain Gary. C'est une vérification, à l'adresse autant de celui qui est provoqué que de ceux qui en sont les spectateurs, c'est-à-dire, dans le cas de la littérature, les lecteurs. Derrière la provocation peut se lire sinon toujours la recherche d'une fraternité du moins celle d'une complicité. L'humour rend l'attitude irrespectueuse acceptable. Il marque le triomphe de l'intelligence sur qui se prend trop au sérieux, dans un appel à l'intelligence, à la vivacité contre tout ce qui (se) fige.

Mikhaïl Bakhtine, dans son étude sur Rabelais, souligne le " caractère utopique, la valeur de conception du monde de ce rire de fête ". L'irrespect, loin d'être une attitude purement négative et destructrice peut être une défense de valeurs. Quitte à passer par des genres considérés comme mineurs ou marginaux, il a été parfois le fait d'idéalistes qui voyaient dans le ridicule un levier puissant pour provoquer la réflexion chez le lecteur. Les exemples historiques, de Rabelais à Swift ou Diderot montrent bien la force de ce lien entre irrespect et idéalisme, dont nous voudrions interroger la continuité au 20ème siècle.

Mais la provocation irrespectueuse peut être aussi le fait de qui ne croit en rien. Pour un nihiliste, rien ne mérite le respect parce que rien n'est respectable. Monde d'amertume et de noirceur, jeux de massacre céliniens. L'irrespect alors est pure force négative.

Deux familles d'écrivains se dessinent, qui ne sont peut-être pas sans parenté, et peuvent se retrouver dans une posture cynique qui hésite entre tentation nihiliste et tentation idéaliste. A ces deux variétés d'irrespect pourraient être associées deux modalités d'humour. L'ironie convient à celui qui fait table rase des valeurs. Qui veut fonder une légitimité nouvelle préférera l'auto-dérision et la parodie. Bakhtine opposait ainsi le rire rabelaisien au rire satirique moderne. Nous pourrions à notre tour opposer, par exemple, Uranus, de Marcel Aymé, exemple d'ironie dévastatrice, au Grand Vestiaire, de Romain Gary, non moins corrosif sur l'utilisation de l'image de la Résistance, mais sans renoncer à marquer son camp et ses valeurs.

Entre impertinence et ironie, entre provocation et cynisme, ce colloque veut explorer les différentes modalités de la notion d'irrespect dans la littérature depuis les années 1930, et montrer comment elle permet d'articuler le champ stylistique à des problématiques philosophiques, politiques ou idéologiques, qui définissent, chez certains auteurs, une véritable esthétique.

Organisation :Julien Roumette

Université de Toulouse le Mirail, PLH-ELH