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Du récepteur ou l'art de déballer son pique-nique

Du récepteur ou l'art de déballer son pique-nique

Publié le par Pierre-Louis Fort (Source : Bérengère Voisin)

Du récepteur ou l'art de déballer son pique-nique

« Car, beaucoupplus que les concepts dont s'encombrent nos cerveaux, nous sommes ce que nouspouvons voir, entendre, sentir, goûter, éprouver. »[1]

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Ce projettransdisciplinaire a pour objectif de réfléchir à la manière dont on peut aujourd'hui penser, appréhender et analyserl'acte de réception en matière d'expérience esthétique.

Dansles années soixante-dix, l'esthétique de la réception avait affirmél'importance de la bipolarité de l'oeuvre littéraire[2] etouvert un champ d'études critiques et théoriques consacré à la relationtexte/lecteur. Les figures (transcendantales ou non) du récepteur furent dèslors prises en compte et le plus souvent, théorisées. De nombreux travaux sesont ainsi intéressés à la dimension communicationnelle de l'oeuvre et ont, dece fait, interrogé les modalités de l'analyse en développant des outils et desperspectives de recherche propres à rendre compte de la réception et/ou de l'effet des oeuvreslittéraires[3].Malgré cet intérêt grandissant pour l'acte de réception survivaient pléthoresde résistances axiologiques, déplorant l'incapacité à dire la subjectivité ou,plus encore, à la reconnaitre comme valeur cardinale. On justifia ainsi l'effacementde la subjectivité du lecteur réel, sous couvert d'une contingence tropimportante. Pourtant, beaucoup s'accordent à dire les insuffisances d'unsystème d'analyse dépossédé d'un axe sensible et cognitif[4].

Laperspective qui est la nôtre s'inscrit dans la lignée des recherches qui tententde restituer une dimension pragmatique à l'étude de la communication artistique,convaincus que l'art doit aussi être considéré en adoptant une approchemultidirectionnelle. En ce sens, il s'agit d'appréhender l'oeuvre d'art dans sacomplétude, dans un cadre à troisdimensions[5], en envisageant les effets produits parelle sans faire fi des impressions sensorielles et morales.

Plusieurs disciplines ont récemment témoigné del'intérêt pour cette démarche et nous aimerions interroger la possibilité d'untravail transdisciplinaire : au-delà des outils d'analyse spécifiques à unchamp artistique inhérents à ses propres modalités d'expression, ces approches peuvent-ellesnéanmoins se rencontrer ? Les sciences cognitives pourraient probablementconstituer le pivot nécessaire à l'articulation de savoirs.

Scientifiquement,le projet prend la tournure suivante : réunir des spécialistes de différentsdomaines artistiques : littérature jeunesse, théâtre, photographie,musique, fiction romanesque, cinéma, peinture (époque classique et moderne), desreprésentants d'approches spécifiques : didactique, littéraire,comparatiste, psychanalytique, sémiotique, cognitive et des acteurs-passeursde la sphère artistique : commissaire d'exposition, artiste, traducteur demanière à appréhender ensemble l'acte de réception.

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Dansce cadre, le CEREdi (Centre d'Etudes et de Recherche Editer Interpréter –Université de Rouen) organise les 26 et27 mai 2011 deux premières journées d'étude, en partenariat avec le Musée des Beaux Arts de Rouen et le Pôle image Haute-Normandie sous ladirection de Bérengère Voisin, intitulées : « Du récepteur ou l'artde déballer son pique-nique ».

Afin d'offrir un axed'étude commun et de circonscrire les analyses, nous proposons uneproblématique qui nous apparaît fondamentale pour comprendre la manière dontl'art fonctionne et en relation avec la tendance, toute contemporaine, delaisser place à l'investissement du récepteur, qui se conjugue souvent à uneréflexion sur l'art elle-même (voir, par exemple, J. Kosuth, Art afterPhilosophy, 1969).

Ils'agira de réfléchir à la nature des réactions et de l'investissement durécepteur, aux mécanismes d'appréhension de l'oeuvre en même temps qu'àceux de la création de sens qui s'opèrent au sein de l'oeuvre, dans la convictionque ces deux « moments » peuvent être envisagés ensemble, dans lecadre d'une coopération pragmatique. Il nous semble nécessaire d'interroger lanotion de dialogisme, sous l'angle de la question suivante : ce que lerécepteur investit est-il inversement proportionnel à ce que l'auteurdispose ?

Le plasticienFrançois Morellet affirme dans l'article Du spectateur au spectateur oul'art de déballer son pique-nique, que moins l'artiste introduit de subjectivitédans son oeuvre, plus le spectateur peut se frayer un chemin personnel(interprétatif, cognitif, sensoriel...). L'auteur de théâtre, Michel Vinaversuggère que moins la marque de l'auteur est présente plus le spectateur etl'acteur, peuvent « prendre le pas » sur la pièce, afin de pouvoirlittéralement « mordre dedans » et restituer au théâtre l'efficacitéqui lui est propre.

La question de larelation oeuvre/sujet, de la force de l'effet et/ou directives de l'oeuvre sur lesujet, de l'indépendance de ce dernier, posée en terme de proportion devraitpermettre d'identifier les formes de stimuliet les formes d'investissement. En outre, il n'est pas du tout certain qu'uneoeuvre « chargée » sollicite moins le récepteur qu'une oeuvre« épurée », hypothèse que nous aimerions vérifier.

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Les deux premièresjournées d'étude seront suivies d'un colloque à la fin de l'année 2012.

Compte tenu de soncaractère exploratoire, les personnes intéressées par ce projet peuventadresser des propositions de participation sous diverses formes : projetsde communication ou récits d'expérience avant le 15 mars 2011 pour ce qui estdes deux premières journées. Les personnes qui souhaiteraient assister auxjournées peuvent se faire connaître en s'adressant à Bérengère VOISIN, voisin.berengere@gmail.com

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Comité scientifique :

Mario Borillo, IRIT,CNRS

Nicole Evereart-Desmedt,Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles

Marielle Macé,CRAL, EHESS-CNRS

Daniel Mortier,CEREdi, Université de Rouen

Paola Pacifici,Istituto Nazionale di Studi sul Rinascimento, Florence

Laurence Perrigault,CELAM, Université Rennes 2

François Vanoosthuyse,CRP19, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle

Bernard Vouilloux,TELEM, Université Bordeaux 3


[1] SusanSontag, « Culture et sensibilité d'aujourd'hui », L'oeuvre parle, trad. fr. Guy Durand,Paris, Christian Bourgois, 2010, p. 463.

[2] « C'est au coursde la lecture que se produit l'interaction, fondamentale pour toute oeuvrelittéraire, entre sa structure et son destinataire. C'est pourquoi laphénoménologie de l'art a attiré l'attention sur le fait que l'étude littérairedoit viser la compréhension du texte au-delà de sa forme. […] On peut dire quel'oeuvre littéraire a deux pôles : le pôle artistique et le pôleesthétique. Le pôle artistique se réfère au texte produit par l'auteur tandisque le pôle esthétique se rapporte à la concrétisation réalisée par le lecteur,Wolfgang Iser, L'Actede lecture, théorie de l'effet esthétique, 1976, trad. fr., Évelyne Sznycer,Bruxelles, Mardaga, 1985, p. 48.

[3] Sur ladistinction « effet vsréception », voir notamment Vincent Jouve, La Lecture littéraire, n°1, 1996, « Avant-propos ». Egalementdisponible en ligne : http://helios.univ-reims.fr/Labos/CRLELI/Articles/Avant-propos.htm,« Les théories internes, comme leur nom l'indique, ne sortent pas dutexte : elles sont fondées sur l'idée que les effets de l'oeuvre sontinscrits dans ses structures. Dès lors, l'enjeu n'est pas de dégagerl'interprétation de tel ou tel, mais le parcours imposé par le texte à toutlecteur. Ce dernier est considéré comme un rôle, une instance abstraite etprésupposée par l'oeuvre […] Les théories externes délaissent l'étude de l'effetpour se consacrer à l'examen de la réception. Au lieu de subordonner le lecteurau texte, elles soumettent ce dernier au lecteur. Se fondant sur l'inachèvementstructurel de l'oeuvre et sur la relativité historique de toute interprétation,elles font valoir que le lecteur a toujours la liberté d'enrichir le texte decontenus nouveaux. Leur objet, c'est donc la lecture en situation, en tant queréception effective. »

[4] C'est notamment le point de vuede Jean Valenti développé dans « Lecture, processus et situationcognitive », in Recherchessémiotiques, vol. 20, n°1-3, 2000, « Les poétiques de la lecture neproposent pas un cadre méthodologique valable pour rendre compte de toute larichesse et de toute la complexité en jeu dans l'acte de lecture. Ensubordonnant en grande partie le travail du lecteur aux paramètres de latextualité (ou en hésitant entre les dimensions textuelles et pragmatiques dela lecture), Iser, Eco, Crosman Wimmers et Rabinovitz développent des modèlesd'interaction qui mettent surtout l'accent sur la façon dont le lecteurs'inscrit dans les structures du texte. Qu'il s'agisse de coopérationinterprétative, d'effets esthétiques, de poétique renouvelée ou de conventionslittéraires, on en vient toujours à la même conclusion : le texte produitle lecteur. », p. 292. C'est également cette idée qui est à l'origine ducolloque « Sujets lecteurs et enseignement de la littérature »organisé par Annie Rouxel et Gérard Langlade : « On s'intéressedavantage au lecteur en tant qu'instance textuelle qu'aux réactions et auxinférences interprétatives des lecteurs empiriques, jugées trop aléatoires,trop contingente […] Les travaux contemporains sur la lecture littéraire, dansla voie ouverte par Michel Picard, tentent certes de prendre en compte ce sujetlecteur, ce lecteur en tant que sujet, mais il n'est jamais totalement assumé,à tel point que l'on peut se demander à l'instar d'Antoine Compagnon si lalecture réelle peut constituer un objet théorique. », p. 12. Annie-Rouxelet Gérard Langlade, Avant-propos, Lesujet lecteur. Lecture subjective et enseignement de la littérature,Presses Universitaires de Rennes, 2004. Egalement disponible en ligne :http://www.pur-editions.fr/couvertures/1222768520_doc.pdf

[5]A entendre ici en référence à l'ouvrage de Noël Carroll, Art in Three Dimensions, Oxford, University Press, 2010. Voirnotamment le compte rendu de Jean-Pierre Cometti, « L'Art et lereste », http://www.laviedesidees.fr/L-art-et-le-reste.html