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Du nouveau sur le fabliau ?

Du nouveau sur le fabliau ?

Publié le par Marc Escola (Source : S. Menegaldo)

Du nouveau sur le fabliau ?

Programme de recherche dirigé par Philippe Haugeard (POLEN, Orléans)

et Silvère Menegaldo (CESR, Tours)

 

Le fabliau a beau être « la corne d’abondance de la médiévistique » (R. Trachsler), il a suscité ces dernières années, voire décennies, peu de travaux d’ampleur à la mesure de cette richesse, en tout cas dans le domaine francophone. En dehors d’un certain nombre d’articles isolés, témoignant d’un intérêt aussi constant que dispersé, on ne peut guère signaler en effet que la monographie d’A. Corbellari (Des fabliaux et des hommes, 2015) ainsi que le programme de recherche « Lire en contexte à l’époque prémoderne. Enquête sur les recueils manuscrits de fabliaux » piloté par O. Collet, F. Gingras et R. Trachsler entre 2010 et 2014, qui a donné lieu à plusieurs publications, dont L’étude des fabliaux après le « Nouveau recueil complet des fabliaux » (2014).

L’objectif du présent programme, on l’aura compris, est de tenter de combler en partie ce manque, de renouveler ou en tout cas de relancer la réflexion sur le fabliau, en revenant sur des pistes déjà ouvertes à l’exploration ou bien en tâchant d’en frayer de nouvelles.

Dans cette perspective, nous avons formé un comité scientifique international constitué des deux organisateurs ainsi que d’Anne Cobby (Cambridge), Alain Corbellari (Lausanne et Neuchâtel), Jean-Marie Fritz (Dijon) et Romaine Wolf-Bonvin (Lyon). Après une réunion préparatoire organisée le 12 décembre 2018 à Orléans, nous avons décidé de privilégier quatre axes d’étude, que nous nous proposons d’explorer lors de quatre journées organisées alternativement à Orléans et Tours en 2020 et 2021 – l’ensemble devant donner lieu à une publication unique, qui pourra comporter plusieurs contributions des mêmes intervenants, ainsi probablement qu’une bibliographie analytique par A. Cobby, prenant la suite de celle qu’elle a publiée en 2009.

Axe 1 : Le fabliau comme pièce d’un ensemble (Tours, vendredi 29 mai 2020)

Le fabliau est une pièce courte le plus souvent, et qui en tant que pièce appartient à un ensemble sinon un tout.

Cet ensemble est d’abord celui du manuscrit, au sein duquel le fabliau apparaît isolé ou en groupe, au milieu d’autres textes, les manuscrits comportant seulement des fabliaux représentant de fait une catégorie tout à fait marginale parmi la quarantaine de codices répertoriée dans le NRCF. Au sein des recueils manuscrits, l’association d’un ou plusieurs fabliaux à d’autres textes ou genres parfois très éloignés les uns des autres peut ménager d’intéressants effets de sens que plusieurs études récentes, en particulier dans le cadre du programme de recherche « Lire en contexte à l’époque prémoderne. Enquête sur les recueils manuscrits de fabliaux », ont déjà contribué à mettre en évidence mais qui en appellent d’autres, chaque manuscrit offrant un cas particulier.

Cet ensemble peut aussi être celui de l’œuvre de tel ou tel poète – citons, notamment, Jean Bodel, Gautier Le Leu, Rutebeuf, Jacques de Baisieux, Watriquet de Couvin ou Jean de Condé –, œuvre où le fabliau occupe une place importante ou modeste, évidente ou surprenante et où en tout cas il est susceptible de prendre sens en fonction d’un ensemble de compositions attribuées ou attribuables à un même auteur représentant, pour autant qu’ils se laissent définir, un contexte et une poétique spécifiques.

Enfin on pourra prolonger ce questionnement sur les relations de la partie au tout jusqu’à l’époque moderne et contemporaine, en envisageant la place occupée par le fabliau dans les recueils, anthologies ou histoires de la littérature à partir du XVIe siècle.

Axe 2 : Le matérialismes des fabliaux : relations humaines et rapports sociaux (Orléans, vendredi 13 novembre 2020)

Plutôt que réaliste, le fabliau serait matérialiste en cela que son projet fondamental – fondateur ? – viserait à déconstruire l’idéalisme de la littérature et de la philosophie contemporaines en leur opposant la représentation d’une humanité saisie parfois dans sa trivialité la plus crue et ses fantasmes les moins avouables (A. Corbellari, Des fabliaux et des hommes, 2015). Indépendamment d’une possible construction du fabliau comme contre-pied, ou croque-en-jambe, à un modèle en ferveur mais illusoire, la question du matérialisme des fabliaux mérite d’être envisagée en soi et pour soi, ce matérialisme étant entendu ici comme goût manifeste et assumé pour ce qui constitue la matière même de l’homme comme « animal social », c’est-à-dire comme individu avec ses aspirations propres, souvent matérielles et fréquemment liées au corps et à ses exigences, mais aussi, et en même temps, comme membre d’un groupe ou d’une collectivité, interagissant avec les autres, selon des règles et des normes, au sein d’une structure sociale qui s’impose à lui mais qu’il peut aussi contester, dont il peut être victime mais aussi tirer un profit plus ou moins grand. 

Dans une perspective littéraire ouverte à l’histoire et aux sciences sociales, l’objectif de cet axe est d’étudier la représentation des relations humaines et des rapports sociaux dans un genre qui accorde au corps, à la ruse et au profit, aux rapports de domination et de pouvoir, directs ou médiatisés par les institutions, et à la violence physique une importance tout à fait particulière – une importance qu’il convient peut-être de faire entrer dans la définition même du fabliau comme genre.

Axe 3 : Stylistique du fabliau (Orléans, fin mai 2021)

Il s’agira ici de chercher à développer une approche stylistique du fabliau, en insistant sur l’étude de la langue (y compris dans ses formes dialectales, tel l’anglo-normand, ou français d’Angleterre), de la syntaxe, du lexique et de la prosodie.

Forme en soi banale, le couplet d’octosyllabes adopté par la très grande majorité des fabliaux offre une large palette de moyens d’expression qui méritent d’être considérés avec leurs effets propres, éventuellement en regard d’autres études consacrées, par exemple, au roman en vers (on pense notamment à D. James-Raoul, Chrétien de Troyes, la griffe d’un style, 2007). Il est en outre des exceptions remarquables à cette dominante octosyllabique, tels Richeut ou Le Prêtre qui fut mis au lardier.

Construction du fabliau, organisation de l’intrigue, effets liés à une tonalité plus ou moins courtoise voire épique peuvent aussi être concernés par cette approche stylistique qui voudrait privilégier aussi bien micro-lectures que mono-lectures (utiles à mettre en lumière tel ou tel fabliau méconnu) ainsi que les comparaisons entre différentes versions d’un même fabliau – jusque dans leurs adaptations et réécritures modernes, dont le style peut être aussi tout un poème (voir par exemple les cas d’adaptations versifiées de Barthélemy Imbert en 1788 ou d’Auguste Rigaud en 1825).

Axe 4 : Avatars et postérité du fabliau (Tours, début novembre 2021)

Même si le fabliau proprement dit est un genre dont l’extension est généralement considérée comme relativement limité dans le temps et dans l’espace – de la fin du XIIe siècle au début du XIVe siècle, essentiellement dans le Nord de la France –, les possibilités de rapprochements, qu’il s’agisse de phénomènes intertextuels ou simplement de comparaisons, sont nombreuses entre le fabliau et d’autres formes ou genres qui se sont développés aussi bien en français que dans d’autres langues, à la même période ou bien au-delà, du XIVe au XVIe siècle.

On pourra ainsi envisager, pour prolonger un certain nombre d’études déjà existantes, les rapports d’influence ou simplement de proximité entre le fabliau et d’autres formes de récits ou textes brefs, isolés ou bien en recueils, en France ou ailleurs en Europe, dans trois directions principales : 1) la comparaison avec les genres connexes et contemporains du lai, de la fable ou de l’exemplum ; 2) la comparaison avec la farce et la nouvelle françaises de la fin du Moyen Age et de la Renaissance ; 3) la comparaison avec d’autres formes de la littérature médiévale européenne, Märe en Allemagne, Chaucer et le curieux Dame Sirith en Angleterre, le Novellino et Boccace en Italie, etc.

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Les propositions de contribution pour l’une et / ou l’autre des journées, brièvement résumées en quelques lignes, sont à retourner à Ph. Haugeard (philippe.haugeard@orange.fr) et S. Menegaldo (smenegaldo@yahoo.fr) avant le 15 novembre 2019.